Arie et Cornelia Versluys

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
107

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16

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Arie and Cornelia Versluys
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Family

L'arrivée de notre famille au Canada, le 21 avril 1957

Juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, nos parents, Arie and Corrie Versluys, ont songé à émigrer de Hollande pour commencer une nouvelle vie ailleurs. C'est notre mère qui a d'abord suggéré l'idée et mon père a vite embrassé ce projet, tant et si bien qu'il ne pouvait guère parler de quoique ce soit d'autre. Maman et Papa ont eu une vie bien remplie jusqu'à ce que finalement notre famille quitte la Hollande.

D'abord, quand ils étaient adolescents, ils ont enduré la grande Dépression. Tous deux ont dû quitter l'école très jeune pour commencer à travailler. Maman est partie travailler comme domestique dans la maison d'un comptable et Papa est parti travailler dans une entreprise de construction quand il avait quatorze ans.

Ensuite Papa et Maman ont subi l'occupation nazie pendant plus de cinq and pendant la Seconde Guerre mondiale. Maman et papa se sont mariés au milieu de la période d'occupation, le 12 février 1943. Rita est née le 21 septembre de cette même année. Je pense que les vissicitudes, les privations de la guerre et la dévastation qu'elle a entraînée ont créé une envie pour notre famille de prendre un nouveau départ et de rechercher un meilleur avenir.

Après avoir un moment pensé à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande, maman et papa ont rapidement décidé que c'était au Canada qu'il fallait aller. Il y avait déjà certains de nos voisins de Bodegraven et Nieuwebrug qui étaient partis quelques années avant nous. Je me rappelle de papa étudiant l'anglais par correspondance dans notre salle de séjour tous les dimanches. Les critères canadiens pour l'émigration changeaient constamment au début et au milieu des années cinquante. Très tôt, il y avait la possibilité de partir sous condition pour les célibataires, pour les jeunes couples, et pour les travailleurs agricoles. Nous ne remplissions jamais les conditions, jusqu'à ce que, vers 1956, ou début 1957, les familles qui ne travaillaient pas dans une ferme commencent finalement à être acceptées. Cependant, aucun navire de transport d'émigrants ne devait prendre la mer avant l'automne 1957. Il nous a été suggéré qu'à cause de la taille de notre grande famille, nous pourrions être placés à bord d'un paquebot de luxe sur la Holland America Line, mais que si on nous appelait, il faudrait que nous soyons prêts à partir dans la semaine ou dans les dix jours. Maman et papa en ont discuté et ont décidé que c'était chose faisable. Il était hors de question de prendre un vol parce que papa ne voulait pas monter dans un avion. C'était simplement trop dangereux. Maman était fatiguée d'attendre. Le vendredi 5 avril, un message urgent est arrivé à la maison nous annonçant qu'il y avait une place sur le Ryndam, un paquebot de luxe qui avait été construit en 1951 et qui était consacré au tourisme plutôt qu'au transport d'immigrants. Il nous fallait donner une réponse avant 5 h de l'après-midi pour dire si nous acceptions l'offre. Le navire devait prendre la mer le samedi 13 avril suivant. Je suis allé sur le lieu de travail de mon père à la scierie de Nieuwebrug pour lui faire part du message. Quand mon père est rentré à la maison il a regardé maman et elle a dit : "On y va". En une semaine, on nous a fait faire en vitesse tous les papiers administratifs et on a passé les examens médicaux chez un docteur canadien à La Haye. On a vendu les biens de la maison aux voisins et aux amis et on a fait empaqueter le reste par une compagnie de déménagement dans un grande caisse. Nous avons passé les dernières nuits chez d'autres membres de la famille puisqu'il ne nous restait plus rien dans la maison. Ça a été très dur au moment de partir parce que nous nous disions qu'il était fort possible que nous ne reverrions plus jamais notre famille. Le coût de la traversée de l'Atlantique pour une simple visite était considéré comme totalement dissuasif à l'époque. Nous croyions vraiment que ce voyage serait sans retour. Le matin du samedi 13 avril, le frère aîné de mon père, Piet, a loué une voiture et a conduit notre famille jusqu'aux quais de Rotterdam. Piet était avec sa femme Aag et le plus jeune frère de mon père, Henk.

Je crois que, sur le bateau, il y avait deux familles d'émigrants, dont la nôtre. Le paquebot était vraiment luxueux, avec plein de gens de la bonne société. Il devait nous débarquer à Halifax, puis continuer vers New York, sa destination finale, avant de retourner en Europe. Après avoir récupéré un lot de passagers au Havre, à Southampton et en Irlande, nous nous sommes lancés dans la traversée de l'Atlantique. À bord, il y avait maman et papa, Rita, qui avait treize ans, Hennie, 10 ans (11 une semaine après être arrivée au Canada), moi (Gerrit) 9 ans, Corrie 6 ans, et Albert, 11 semaines. Tom est né au Canada six ans plus tard. Notre traversée s'est passée sans problème car nous n'avons essuyé aucune tempête. Par contre, à part maman et Albert, nous avons tous eu le mal de mer jusqu'à quelques jours de l’arrivée à Halifax. Pour maman, ce voyage était formidable parce que, pour une fois, elle n'avait pas besoin de cuisiner et de nettoyer pour toute la famille. La nourriture était splendide dans la très élégante salle du restaurant, mais vers la fin, je me languissais de l'excellente cuisine fait maison de maman.

Il y avait du brouillard quand nous nous sommes approchés du port de Halifax, mais alors le soleil est sorti et a laissé paraitre un jour merveilleux. La mer était étale et nous regardions les remorqueurs aider notre paquebot à manœuvrer vers le quai. Notre navire a accosté au Quai 21 à Halifax le dimanche 21 avril 1957 vers 1 h de l'après-midi. J'ai regardé par-delà les immeubles sur la rive pour voir si je pouvais distinguer les montagnes rocheuses du Canada au loin. Je n'avais jamais vu de montagnes avant et, à neuf ans, je n'avais aucune idée de l'étendue de ce vaste pays. On ne devait pas traiter notre procédure d'immigration avant 9 h du soir et nous n'avons donc pas été autorisés à quitter le navire avant tard le soir. Dès que les officiers du service d'immigration ont réalisé que nous avions un bébé, on nous a placé en tête de file. Aucune de nos valises n'a été inspectée et peu après, nous nous sommes retrouvés dans une salle de repos où des volontaires de la Croix-Rouge nous ont offert des cookies et des boissons. Papa, jamais timide, avait entamé une discussion avec quelqu'un en uniforme (je crois de la compagnie de chemin de fer) dans son anglais hésitant. Il semblait toujours attirer l'intérêt des gens. Le train a quitté Halifax très tard la nuit et il n'y avait pas grand monde. Nous pouvions utiliser tous nos sièges pour nous détendre et nous allonger. Nous avons réussi à tourner les sièges pour nous faire face. Le matin suivant on était au New-Brunswick ou juste au Québec. Il y avait encore beaucoup de neige le long des voies ferrées une fois que nous étions loin des côtes. Je me souviens avoir vu ces immeubles avec ces étranges toitures (en bardeaux d'asphalte) et par contre aucune maison avec des toits en tuiles comme en Europe. J'ai demandé à quoi servaient ces tiges sur les toits et on m'a dit que c'était des antennes de télévision. Alors j'ai demandé : « C'est quoi, la télévision ? ». Je n'avais jamais vu un poste de télé auparavant. Nous sommes arrivés à Montréal tard dans la nuit et avons changé de train pour Hamilton, en Ontario. Ce train était bondé et je me rappelle m'être endormi agenouillé sur le plancher et la tête sur la banquette. Maman, Rita et Albert sont restés dans les toilettes et n'ont pas réussi à dormir beaucoup. Nous sommes arrivés extenués à Hamilton tôt le matin et ce sont d'anciens voisins qui sont venus nous chercher, la famille Erkelen, qui vivait alors à Winona. À ce moment-là, le temps était chaud et ensoleillé et il n'y avait plus de neige.

Après être restés chez nos anciens voisins pendant une ou deux nuits, nous sommes allés dans une vieille maison pour les immigrants, sur l'escarpement qui surplombe Grimsby près de la route Wolverton. Ce sont des gens de la paroisse qui s'occupaient de cette maison. Je crois que cette maison existe toujours. Elle accueillait plusieurs familles d'immigrants, qui ne restaient là que le temps de se trouver un logement plus permanent. Nous sommes restés dans cette maison pendant 3 semaines et y avons vécu dans deux chambres à coucher jusqu'à ce que d'autres immigrants arrivent et partagent une chambre à coucher avec nous.

Papa s'est très rapidement trouvé un travail chez Thorold Concrete Block Co. sur la Highway 20 à Stoney Creek, pour charger et décharger des blocs de ciment des hauts-fourneaux, un travail qu'un père et son fils avaient quitté juste auparavant. Il y est resté un an, après quoi il a été engagé par Stelco aux quais minéraliers, un travail qu'il a gardé jusqu'à sa retraite, 25 ans plus tard, à l'âge de 66 ans.

Après nos trois semaines passées dans la maison de l'immigration de la paroisse, nous avons déménagé dans une vieille ferme en toile goudronnée au milieu d'un terrain de 54 acres à Fruitland. Le loyer était de 30 $ par mois. Nous n'avions pas d'électricité, ni d'eau courante ni de toilettes, et papa a dû remplacer les carreaux de 40 fenêtres parce qu'ils avaient été cassés. Papa s'est procuré deux poêles à bois, un pour la cuisine et un pour la salle de séjour. C'était notre seule source de chaleur. On a installé deux bouteilles de propane pour donner de la lumière dans la chambre à coucher de papa et maman, la salle de séjour et la cuisine et un réchaud à deux feux pour cuisiner. On utilisait des lampes torches pour retrouver le chemin vers notre chambre à coucher. On a placé un frigo à glace dans la cuisine. Le garde-manger était équipé d'une pompe à bras qui fournissait de l'eau puisée dans une citerne collectant les eaux de pluie. Mais il a d'abord fallu nettoyer la citerne et souvent, pendant les vagues de sécheresse, on devait la faire remplir à ras-bord par un camion-citerne d'eau. Papa a fabriqué des toilettes avec notre caisse de déménagement et un seau d'eau qui devait être vidé fréquemment. Nous nous sommes procurés une radio qui fonctionnait avec des piles et que nous n'écoutions qu'occasionnellement. Nous lisions énormément. Notre maison était au bout d'un long chemin de terre que l'on ne pouvait pas voir de la route. Quand il neigeait ou qu'il pleuvait, le chemin était difficilement praticable et plus d'une fois papa s'y est embourbé avec la voiture. (Mais comme nous étions nombreux, on arrivait toujours à le tirer de là en poussant la voiture). On était entouré de pommiers, de pruniers, de cerisiers et de vignes. Il y avait de grands champs et une petite forêt à proximité. La maison avait une grande véranda à l'avant et une petite à l'arrière. Même si nous n'avions pas beaucoup de confort, nous étions chez nous, nous pouvions profiter de la liberté de nous balader dans la propriété à notre guise. Nous y avons passé des moments très agréables.

La caisse que nous avions expédiée avec nos affaires est arrivée alors que nous avions déjà passé plusieurs semaines à Fruitland. On avait emprunté des lits et des plats. On portait des habits d'hiver longs qui devenaient de plus en plus inconfortables au fur et à mesure que le temps se réchauffait. On n'avait pas de meubles. On dormait sur des matelas à même le sol. La table de notre salle à manger était une porte que l'on avait placée sur deux valises vides et nous avions trouvé des bancs pour nous servir de sièges.

Une des premières tâches de papa a été de démarrer un potager. L'argile rouge collait quand elle était mouillée, était dure comme de la roche quand elle était sèche, et le reste du temps elle avait un aspect poussiéreux. Papa a persisté dans ces efforts pour travailler le sol, mais ses résultats ont été mitigés.

Rita a continué d'étudier à l'école secondaire de Stoney Creek. Elle avait déjà appris l'anglais à l’école secondaire en Hollande. Hennie et moi, nous sommes allés à la Memorial Public School à Stoney Creek où nous avons rapidement commencé à apprendre l'anglais. Corrie a commencé sa première année d'école en automne. Nous avons vécu dans cette vieille ferme pendant quatre ans, jusqu'à ce qu'elle soit démolie pour faire place à un magasin en gros, le Banner Store. En 1961, nous avons déménagé à Grimsby Beach, dans un duplex tout neuf de onze cent pieds carrés, avec un chauffage à contrôle thermostatique, de l'eau courante froide et chaude et une salle de bain intérieure complètement équipée. Il y avait des parquet en bois et du carrelage dans l'entrée. Un luxe incroyable, au delà de toutes nos attentes !

Au bout d'un an passé au Canada, comme nous dépendions de l'aide des anciens immigrants pour nous rendre au travail, faire les courses etc., papa a acheté un Dodge 1947. Après être resté embourbé bien des fois dans la longue allée enneigée ou boueuse, avec toute la famille qui le poussait pour le sortir de là, papa a fini par maîtriser l'art de passer les vitesses en souplesse, sans caler et sans forcer sur l'embrayage. Il s'est débrouillé pour obtenir son permis de conduire après trois essais. Les années suivantes, papa s'est rattrapé en voyageant partout en Amérique du Nord, avide d'explorer chaque recoin de ce continent. Nous avons commencé par des voyages à la journée, puis nous nous sommes mis au camping et nous avons fini par tirer remorque et caravane.

Après notre arrivée au Canada, notre famille s'est immédiatement mise à fréquenter l'Église réformée à Fruitland. Cette église avait été fondée quelques années plus tôt par des immigrants hollandais qui étaient arrivés peu après la Seconde Guerre mondiale. Cette église procurait aux immigrants hollandais une aide sociale et spirituelle, et nous permettait de partager notre expérience quotidienne de transition et d'ajustement à la vie canadienne. En tant qu'enfants, nous partagions avec les enfants des autres immigrants des expériences telles que celles d'aller pour la première fois dans une école canadienne, d'apprendre l'anglais, de jouer au baseball et au hockey pour la première fois et de nous faire des amis à l'extérieur de notre propre culture.

Malgré nos débuts primitifs, papa n'a jamais perdu son enthousiasme pour notre vie au Canada. C'était la terre promise. Notre Canada. Pour maman, le Canada, c'était là où sa était sa famille et donc c'était aussi son foyer. Pouvoir acheter une voiture et une maison, aller au dépanneur du coin et acheter un demi-gallon de crème glacée pour quatre-vingt-dix-neuf sous quand vous vouliez et ne rien en laisser (une chose que notre famille nombreuse faisait souvent), c’était une aubaine dont nous n'avions aucune idée avant. C'était une grande aventure. La vie était bonne. Chaque année nous prospérions davantage. À la différence de la situation en Europe après la guerre, ici, nous allions de l'avant.

Nous avons aussi eu nos moments d'humour. Nous avons vite appris qu’elles étaient ces créatures nocturnes noires avec une rayure blanche sur le dos (des putois) et à quel point elles pouvaient sentir mauvais. Nous avons été soulagés d'apprendre que tous les serpents que nous voyions, couleuvres et vipères, n'étaient pas mortels. Papa a vite appris qu'en 1957, boire une bière dans un verger longeant la très passante Queen Elizabeth Highway n'était pas la meilleure chose à faire. (Il ne comprenait pas tout le foin qu'on faisait à propos de cela. Heureusement, il n'a pas été arrêté). Nous n'étions pas au courant des lois qui réglementaient la consommation de la boisson en Ontario à cette époque.

Nous nous amusions aussi beaucoup. Nous jouions dans les vergers et explorions les bois. On ne comptait plus les pique-niques sur la plage. Nous passions de nombreuses après-midi à nous promener en voiture ou à faire des balades à pied dans les parcs. Nous faisions du patin à glace en hiver et jouions dans la neige. Et nous rentrions toujours à la maison pour profiter des excellents repas cuisinés par maman.

En avril dernier, cela faisait cinquante ans que nous vivions et voyagions dans ce pays. Papa est décédé il y a six ans et maman est dans sa quatre-vingt-douzième année. Les six enfants de notre famille se sont mariés et ont à leur tour eu des enfants et des petits-enfants. Nous, les enfants, avons mûri, et quand nous réfléchissons aux temps difficiles que nos parents ont passés en Europe, nous pouvons mieux comprendre et apprécier ce que signifie de vivre dans un pays magnifique, riche et libre. Des regrets ? Absolument pas. L'aventure que nos parents ont commencée il y a cinquante ans dure toujours.

Au Quai 21 le Mur d’Honneur Sobey est maintenant fier d'annoncer « La Famille Arie and Cornelia Versluys Family ».

-Gerrit Versluys 31 août 2007