Annelies Schaerer Munzker

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Annelies Schaerer Munzker

« Pourquoi et comment je suis venu au Canada »

Je suis né en 1931, deuxième de cinq enfants dans une famille très aisée de Vienne, en Autriche. Après une superbe enfance insouciante, ma vie a changé à la fin de la Seconde guerre mondiale, lorsque nous avons tout perdu. Au début de 1944, j’e fus évacuée avec mon collège vers le flanc d’une montagne hors de Vienne d’où nous avons dû fuir l’armée russe à travers toute l’Autriche en avril 1945 à bord de camions et de wagons pour le transport du bétail. Le voyage dura plusieurs jours, interrompu par des raids aériens, des interruptions dans les lignes de train, à travers des milliers de personnes délocalisées n’ayant nulle part où aller. Nous sommes finalement arrivés dans un hôtel au sommet du « Muttersberg » à Vorarlberg où la nouvelle de la fin de la guerre nous est parvenue plus tard. Puisqu’il n’y avait plus ni téléphone ni courrier depuis plusieurs mois, j’ai dû retrouver mes parents et mes frères et sœurs après une autre traversée mouvementée du pays atteignant à l’automne le NO de Vienne. Pour continuer à étudier, j’ai dû vivre dans le dortoir de mon collège (deux classes avaient été garnies de couchettes pour les filles sans abri comme moi). En 1948-1950, je me suis rendue en Suisse pour y travailler comme aide familiale d’une famille de trois enfants – quelle merveilleuse période ! De 1950 à 1953, j’ai complété mon cours d’infirmière à l’hôpital d’état Allgemeines Krankenhaus à Vienne. Nous étions tous si pauvres et vivions à six dans une chambre, ce qui créait des amitiés de toute une vie. Comme il était impossible de trouver une chambre dans cette Vienne occupée, bombardée et dévastée par la guerre et que je ne voulais plus vivre dans une chambre avec 3 autres jeunes femmes à la résidence des années durant, j’ai décidé d’immigrer.

Grâce à l’aide et aux contacts d’un ami, j’ai choisi le Canada. N’ayant pratiquement pas eu de foyer depuis l’âge de 13 ans, il n’a pas été si pénible de faire mes adieux à mes parents à la gare. J’ai fais un bref arrêt en Suisse chez mes précédents employeurs et poursuivi ma route vers Rotterdam, en Hollande, pour m’embarquer à bord du Groote Beer et entreprendre ma nouvelle aventure et ma nouvelle vie (du 22 au 28 octobre1953).

C’était un petit navire sans flafla. Je partageais une cabine garnie de lits de camp avec Mme Appeltauer et ses deux petites filles d’Amstetten en Autriche, le père devant passer les 8 jours de la traversée dans le quartier des hommes. Ils se sont établis à London en Ontario et nous sommes demeurés en contact durant plusieurs années. Les toilettes et les douches se trouvaient au bout de la coursive et la salle à manger à un autre étage. J’ai eu le mal de mer du deuxième jour à la fin du voyage mais je n’ai raté qu’un petit déjeuner. Le temps passait vite en jouant aux cartes, et à d’autres jeux, en chantant ensemble et en nous amusant avec d’autres jeunes personnes. À la fin d’octobre, il faisait froid à l’extérieur et le temps était parfois difficile, mais nous voyions aussi des dauphins jouant le long du navire. La salle à manger était habituellement presque vide, les tables étaient garnies d’un haut rebord pour empêcher les assiettes et la nourriture de glisser par terre. Je ne peux me rappeler aucun des repas, mais je mangeais suffisamment. Le navire emportait surtout des familles hollandaises et de nombreux enfants portant tous des vestes identiques, peut-être offertes par leur gouvernement ?

Comme j’avais payé mon passage, que j’étais immigrante reçue, détenant une offre d’emploi, que tous mes papiers étaient en règle et que je parlais un peu anglais, j’ai franchi rapidement l’immigration et la sécurité et je me rappelle surtout de l’immense salle presque vide où s’alignaient d’interminables rangées de bagages disposés par ordre alphabétique. Il m’a fallu un certain temps pour repérer les deux valises en carton contenant tous mes biens. Le train se trouvait juste devant. Nous nous y sommes entassés et je suis parvenue à Toronto 36 heures plus tard, fatiguée, sale et affamée.

Je ne peux me rappeler si j’avais un billet ou si j’ai vu une seule fois le chef de train. Je n’avais pas assez d’argent pour acheter de la nourriture, les couchettes étaient inconfortables, ce n’était pas un voyage agréable.

Ma première impression du Canada? De grandes maisons, plates et vides dispersées un peu n’importe où, mais munies de grandes antennes et de grosses voitures près de chacune. Notre train traversait des villes et des campagnes et il n’y avait souvent aucune barrière aux passages à niveau. Enfin, la ville de Québec m’est apparue civilisée et semblable aux « vieux pays ». Pour un pays vieux de moins de 100 ans, je le trouvais plutôt arriéré et pas du tout moderne comme je m’y attendais. À Toronto, j’ai dû attendre presque 12 heures avant d’être accueillie, n’osant pas quitter mes bagages pour aller aux toilettes ou demander de l’aide à un étranger – quelle longue journée solitaire. Plus tard, l’après-midi, l’ami de mon ami viennois est venu me chercher et nous avons roulé 4 heures durant vers Kitchener sur une autoroute à deux voies, c’est maintenant la 401 comptant de 6 à 12 voies ! Nous nous sommes arrêtés à un poste d’essence où j’ai vu mon premier téléviseur en noir et blanc sur une tablette dans un coin. J’ai pensé : alors, c’est ça ? C’est peut-être ce désappointement qui a fait que je ne suis jamais devenue une fanatique de la télé. En arrivant à Kitchener, le salon était sombre à l’exception d’un plus grand appareil de télé. J’ai fait le tour de la famille, distribuant des poignées de mains ce qui n’était pas la coutume ici et je ne me sentais pas du tout la bienvenue. Mais la famille a été assez gentille pour m’aider à obtenir une entrevue à l’hôpital de K. O., à 3 km de là sur la rue principale, et j’ai commencé à travailler à plein temps comme infirmière auxiliaire dès la semaine suivante, à un salaire trois fois plus élevé que ce je gagnais comme I.A. à Vienne et obtenu mon accréditation comme infirmière agréée en juillet 1954. Ils m’ont amenée aussi magasiner, à travers tous ces curieux emballages alimentaires et, Oh ! tous ces coupons-rabais ! Je ne pouvais m’arrêter de manger des bananes, quel régal ! Je payais ma chambre 5 $ par semaine, lessive comprise, je me réjouissais de mes heureux débuts. J’ai rencontré peu après aux cours du soir mon mari d’origine suisse, seul lui aussi au Canada et nous nous sommes mariés en octobre 1954 et avons maintenant 5 enfants bien mariés et 7 merveilleux petits-enfants. J’ai travaillé à Kitchener, à London, et depuis 1957, à Stratford où je jouis maintenant de ma retraite.

Je n’avais jamais pensé quitter ma famille et mon pays pour toujours mais je n’ai jamais regretté ma décision de venir au Canada et de pouvoir me dire, depuis 1959, une fière Canadienne.