par Steven Schwinghamer, Historian
Comme le Canada, le soccer est magnifique... tout le monde peut tout faire. Il n’y a pas de restrictions, et s’il y en a, elles peuvent être contestées, comme dans un match de soccer. Comme le Canada, le soccer peut vous offrir la chance d’être sur un pied d’égalité. Si des membres de votre équipe sont plus forts que vous, ils vous soutiendront, ils vous aideront. La société canadienne reflète cette attitude.[1]
Joe Pereira, Canadien d’origine portugaise
Introduction
Le sport est depuis longtemps un outil de production et d’échange culturel; aujourd’hui, nombreux sont ceux et celles l’utilisent formellement et informellement afin de s’exprimer et de contribuer en tant que migrants, ainsi que pour s’adapter et s’intégrer. Le sociologue Ramón Spaaij affirme que « le sport sert d’importante avenue de participation civique, permettant potentiellement aux réfugiés réinstallés d’entretenir des relations sociales avec la communauté d’accueil et d’acquérir une connaissance culturelle de celle-ci ».[2] Le caractère mondial du football, ou soccer, signifie que de nombreuses personnes arrivent avec des compétences et des connaissances préexistantes du jeu. Au Canada, cette expérience préalable offre un bon moyen de s’adapter après l’arrivée. Jouer au soccer permet aux migrants du Canada de mieux s’adapter.
Ce sport profite à ceux qui jouent, qui font du bénévolat, qui administrent, qui arbitrent, qui entraînent et qui encouragent les équipes dans tout le pays. Reconnaître la valeur du soccer, c’est aussi comprendre que les histoires qui découlent du sport peuvent être instrumentalisées pour effacer ou masquer certains aspects de l’expérience des migrants afin de servir d’autres objectifs; et que les histoires et identités produites à travers le soccer sont souvent multiples et pas seulement nationales. En retraçant les expériences des joueurs, les adaptations faites hors du terrain et une partie des complexités identitaires entourant le sport, on constate que les migrants bâtissent des communautés et s’installent au Canada grâce au soccer.
Sur le terrain
Le sport peut être un outil puissant pour favoriser l’inclusion et l’adaptation des personnes marginalisées, notamment des immigrants et des réfugiés. Un jeune réfugié interrogé par l’historien Greg Yerashotis s’est souvenu que cela avait affecté sa vie bien avant son arrivée au Canada :
Quand j’étais petit, nous déménagions beaucoup. En Afghanistan, à cause de la guerre, nous avons été expulsés, alors nous sommes passés de l’Afghanistan au Tadjikistan, puis du Tadjikistan au Kazakhstan. Mais la seule chose que j’aimais et que je recherchais dans tous ces endroits, c’était le soccer. C’est ainsi que je suis entré en contact avec des personnes issues de ces nouveaux milieux.[3]
Sa familiarité de longue date avec le jeu, qu’il a acquise en jouant dans le monde entier, se reflète dans les souvenirs d’Alan Efetha, qui a grandi au Kenya :
Nous étions censés nous occuper des vaches, mais de temps en temps, nous oubliions et nous jouions. Les vaches mangeaient de l’herbe dans le pâturage – c’était un pâturage communautaire – et nous étions tellement pris par le jeu que les vaches s’en allaient et rentraient à la maison seules le soir venu. Lorsque nous réalisions que les vaches étaient reparties, elles étaient déjà à la maison. Elles savaient où aller. Ouais. Donc, quand nous étions jeunes, nous nous occupions donc des vaches et nous jouions. Et nous avons aussi beaucoup joué au soccer, au football, comme nous l’appelons.[4]
Efetha n’a pas perdu sa passion pour le soccer lorsqu’il est arrivé en Saskatchewan. Alors que ses études progressaient, après avoir immigré, le soccer occupait une place importante dans sa vie sociale, notamment au sein de l’association des étudiants africains de l’Université de la Saskatchewan. Son association étudiante s’est jointe au groupe d’étudiants d’Amérique centrale et du Sud pour jouer au soccer – encore une fois, quelque chose qu’ils avaient en commun avant et après leur arrivée au Canada – et cela a donné aux groupes l’occasion de tisser des liens sociaux plus vastes.
Source : MCI (DI2019.66.1)
Le soccer peut aider les gens à bâtir une communauté, en partie grâce aux sentiments et aux relations que les joueurs partagent sur le terrain. L’autonomisation et l’exaltation du sport comptent beaucoup pour les athlètes immigrants, tout particulièrement là où ils pourraient autrement se sentir seuls et marginalisés. Le sport peut également offrir la chance de repousser les frontières culturelles. Une jeune femme interrogée par Greg Yerashotis a fait la remarque suivante :
J’aimais les choses qui me donnaient l’impression d’être forte. J’aimais le taekwondo et le soccer. J’aimais les activités qui me donnaient l’occasion d’être un peu physique sans m’attirer des ennuis... Dans la société, les femmes en particulier doivent avoir une certaine apparence et agir d’une certaine manière, mais lorsque vous pratiquez un sport, votre apparence n’a pas d’importance si vous n’avez pas les compétences... Le hijab n’était alors plus pertinent. Je n’ai jamais eu l’impression, lorsque j’étais dans la zone, en faisant du sport, d’être différente. Je me sentais liée à mon corps et à ma peau.[5]
L’idée de surmonter les différences revient également dans les propos d’un immigrant portugais interrogé par l’anthropologue Marcelo Herrera :
Grâce au soccer, nous avons trouvé le moyen de recréer un peu de notre chez-nous ici, à London. Grâce à nos parties improvisées, nous avons finalement commencé à nous intégrer à notre communauté, parce que nous nous sentions suffisamment à l’aise. Bien que certains d’entre nous étaient ici depuis des années, aucun d’entre nous n’avait le sentiment de s’être intégré avec qui que ce soit... Le soccer est devenu [notre] moyen de nous détendre, d’oublier nos nombreuses angoisses et nos lacunes dans ce pays. Le soccer était une activité que nous pouvions pratiquer sans avoir un bon niveau d’anglais et sans connaître la culture et les coutumes canadiennes. Ça aide une personne [...] dans sa tête et dans son cœur.[6]
Surmonter les différences sur le terrain peut toutefois éluder ou réduire certaines distinctions importantes. Dans le cas des joueurs vedettes, il existe un risque de créer un récit qui écrase l’athlète individuel pour créer ou promouvoir une représentation instrumentale et idéale des expériences des migrants. Lorsqu’on parle du soccer canadien contemporain, on peut le remarquer dans le cas d’Alphonso Davies, dont le parcours l’ayant mené d’un camp de réfugiés au statut de vedette internationale du soccer le présente « comme l’incarnation de “l’immigrant idéal” (McLaren et Dyck 2004) et sa constitution comme figure de “la diversité” au Canada. »[7] Bachir Sirois-Moumni et Jean-Charles St-Louis retracent cette mise en scène des expériences d’Alphonso Davies, y compris le voile mis sur les complications que sa famille aurait pu rencontrer après son arrivée au Canada.[8] Cela indique qu’il faut faire preuve d’une certaine prudence en présentant des études de cas et des étoiles, pour éviter de perdre leurs particularités historiques au service d’une harmonisation avec un mythe utile.
L’histoire du soccer de la Colombie-Britannique offre un exemple frappant de communautés migrantes s’adaptant et s’autonomisant grâce au sport. L’équipe de soccer Chinese Students (Étudiants chinois) a été créée en 1919 à Vancouver, en Colombie-Britannique, et est devenue une équipe de soccer célèbre dans le Lower Mainland.[9] Ils jouaient dans une ligue contre des équipes blanches à une époque où la discrimination contre les Canadiens d’origine chinoise était omniprésente et acceptable dans presque tous les aspects de la vie canadienne. Les Canadiens d’origine chinoise n’avaient pas le droit de vote et, dépourvus de ce pouvoir, étaient facilement visés par des lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux destinés à bloquer leur entrée et à les empêcher de participer à la société canadienne.
Source : Temple de la renommée des sports de la Colombie-Britannique.
Dans ce contexte, les Étudiants chinois, appelés ainsi parce que de nombreux joueurs étaient encore à l’école secondaire à l’époque où ils se sont formés, représentaient leur communauté, qui les a adoptés et a fêté leur succès. Citons tout particulièrement la victoire de l’équipe de 1933 dans la Mainland Cup, qui a donné lieu à un jour férié et à des festivités enthousiastes dans le downtown East Side de Vancouver, où vivaient alors de nombreux immigrants asiatiques.[10] Le fils de l’une des vedettes de l’équipe se souvient de leur impact :
Il est né ici, mais mon père n’avait aucun des droits des autres Canadiens. Le soccer était l’une des seules occasions où il a pu se battre sur un pied d’égalité... Ces joueurs ont gagné plus qu’un trophée. Ils ont fait tomber des barrières, ont gagné du respect pour leur communauté et ont laissé un patrimoine qui perdure à ce jour.[11]
Dans les gradins et les fourgonnettes
Comme nous le voyons avec les Étudiants chinois, l’influence inclusive du soccer s’étend bien au-delà du terrain et des joueurs. Les spectateurs, les commanditaires, les administrateurs et d’autres personnes font partie des identités forgées par le soccer. Comme le souligne l’historien Stephen Fielding, « les clubs de soccer ont été parmi les premières entités créées par les nouveaux arrivants, qui ont fait reposer nombre de leurs aspirations de communauté, de reconnaissance et d’inclusion sur les athlètes qui les représentaient... Ces équipes ont formé le cœur d’une scène de soccer dynamique évoluant dans les marges sociales du Toronto de l’après-guerre. »[12] De plus, comme le note Hugo Santos-Gomez dans son travail sur le soccer immigrant en Californie, « les joueurs de soccer sont obligés de s’engager civiquement et politiquement afin que les conditions minimales pour jouer soient rencontrées, c’est-à-dire d’avoir accès à des espaces publics propices à la pratique du sport. »[13]
L’engagement des immigrants envers l’instauration et le développement de ce sport se reflète dans les débuts du soccer au Canada. David Forsyth, connu comme le « père » du soccer canadien, était un immigrant écossais. Il est arrivé d’Écosse en 1853, alors qu’il était encore bébé. David Forsyth a connu une carrière de joueur remarquable à l’époque des premiers matchs internationaux et universitaires, et a également œuvré à l’expansion de ce sport au Canada. En 1880, il a fondé la Western Football Association, une ligue de 19 équipes située dans le sud de l’Ontario, puis a entraîné de nombreuses futures vedettes du soccer en tant qu’enseignant dans une école secondaire de la région de Berlin (aujourd’hui Kitchener)/Waterloo, en Ontario, à la fin des années 1800 et au début des années 1900.[14]
Ce travail de leadership sportif se poursuit de nos jours, à tous les niveaux du jeu. Au niveau local, Alan Efetha, immigrant kenyan, a joué au soccer pendant son enfance en Afrique et a continué de pratiquer le sport à l’Université de la Saskatchewan après son arrivée au Canada en 1984. Lorsque Alan Efetha a déménagé à Lethbridge, il est devenu entraîneur. Il associe l’entraînement à sa valeur du service, notant que « Lethbridge est trop grand pour devenir pompier volontaire, alors j’ai fait le choix de― parce que je me dis, bon, je ne bouge pas comme je le faisais avant, mais j’ai une passion pour le soccer. J’ai commencé à entraîner. Je suis donc entraîneur de soccer pour l’association de soccer de Lethbridge. »[15] Alan souligne qu’être entraîneur alors que ses fils sont également actifs dans le sport est un défi, mais il est manifestement fier de partager ce sport avec sa famille : « Je suis l’entraîneur de mon fils de sept ans, mais il joue avec des garçons plus âgés. C’est un grand garçon. Il voulait être mis au défi. Il voulait jouer avec des enfants de dix ans. Il joue donc avec des enfants de dix ans. Et il semble plutôt bien s’en sortir. »[16]
Dans les bureaux des équipes et des ligues de partout au Canada, les immigrants – et notamment les femmes bénévoles – peuvent acquérir une expérience de travail administratif et un réseau social et professionnel afin de soutenir leur évolution vers des identités canadiennes et éventuellement un emploi rémunéré au Canada.[17] En gardant cela à l’esprit, nous voyons le cadre de l’affirmation de Marcelo Herrera selon laquelle une ligue comme la Muslim Youth Soccer League, avec son noyau de dirigeantes bénévoles, « n’est pas destinée à séparer les femmes musulmanes des autres Canadiens et Canadiennes idéologiquement, mais à les intégrer à la société canadienne », puisqu’elles reproduisent les normes canadiennes.[18]
Cette intégration s’étend au-delà de la création d’identité par les immigrants et touche également leurs réseaux sociaux et informels. Les parents immigrants gravitant dans la sphère du soccer, par exemple, se sont rappelé lors d’entrevues « qu’ils se sont fait leurs premiers amis canadiens en s’impliquant dans le monde du soccer avec leur enfant. »[19] Une étude sur le soccer et l’intégration en Allemagne reflète l’importance sociale du soccer hors du terrain. Les joueurs de soccer qui ont participé à l’étude ont en effet déclaré rendre visite aux Allemands, chez eux.[20] Un exemple pratique et important de l’engagement que le soccer favorise peut être observé chez les parents immigrants dont les enfants pratiquent le sport, et qui sont poussés à obtenir un permis de conduire pour aider au transport de l’équipe.[21] Bref, les avantages pour les communautés et les parents peuvent être considérables. Comme le dit Sonia Pereira à Marcelo Herrera :
Sur les terrains, j’ai rencontré d’autres immigrantes portugaises et des immigrantes d’autres pays. Nous avons échangé des histoires sur notre vie au pays et sur notre nouvelle vie ici. J’ai eu l’impression d’être entendue et considérée comme autre chose qu’une mère et une épouse. J’ai eu le sentiment de faire partie d’une grande communauté d’immigrants et d’une grande communauté en général. J’avais l’impression d’être vraie. C’est possible, vous savez, d’être vraie tout en se sentant invisible.[22]
Se servir du soccer pour renforcer ses liens culturels est un processus complexe. Au Canada, des parents d’enfants immigrants de deuxième génération ont transformé les voyages internationaux de soccer en occasions pour leurs enfants de forger ou de retrouver des liens avec la terre de leurs ancêtres. Stephen Fielding observe « qu’en se rendant sur leur terre ancestrale, ils ont transformé un sport de jeunesse, une pratique locale ordinaire, en un événement d’importance transnationale. »[23] TCes voyages, souvent organisés par des chefs communautaires investis dans la conscience diasporique de leurs jeunes, ont également complété la politique de l’État et les réseaux transnationaux des communautés.[24] Stephen Fielding cite une entrevue avec l’immigrant italien Michael di Biase, qui a déclaré : « Nous appelions ça “ritorno ai radicci” (retour à nos racines). » Michael di Biase est lui-même un exemple d’immigrant ayant assumé des responsabilités au Canada, tant au sein de la communauté du soccer qu’en politique : il a été président du Woodbridge Strikers Soccer Club et maire de Vaughan.[25]
Identités multiples
Ces voyages reflètent le type de double conscience que l’on retrouve souvent dans les communautés de migrants et de diasporas. Au Canada, chaque Coupe du monde est un spectacle de passionnés concurrents, en partie grâce à cette polyvalence. En 2014, David Common de la CBC a fait remarquer qu’il n’est « pas surprenant dans un pays fondé sur l’immigration de retrouver des supporters des 32 équipes. »[26] Cette expression publique d’engouement pour d’autres pays marque un tournant dans le multiculturalisme sportif canadien. Après la victoire de l’Italie sur l’Allemagne de l’Ouest lors de la Coupe du monde le 11 juillet 1982, un quart de million d’Italo-Canadiens ont envahi les rues de Toronto (en particulier autour de St. Clair West) lors d’une formidable fête de rue. L’historien Stephen Fielding affirme que « la fête de rue de la Coupe du monde de 1982 a donné à la communauté italienne de Toronto un “passé identitaire” grâce auquel elle a construit une mémoire collective qui explique l’histoire de son établissement, de sa lutte et de son succès. »[27] Cet envahissement massif des rues canadiennes par des gens portant les couleurs de l’Italie est un bon exemple des multiples façons dont une passion du soccer produit l’identité : les supporters affirment qu’ils ont leur place dans les lieux publics canadiens en tant que Canadiens et Canadiennes, tout en se réjouissant de se reconnaître dans les champions italiens. La sémiotique fluide du soccer est décrite par le spécialiste de la communication Francesco Ricatti et l’historien Matthew Klugman, qui affirment qu’il « est clair que les signifiants ethniques et nationaux, comme les noms des équipes et les drapeaux apportés au stade, ne doivent pas être simplement confondus avec la défense d’une identité fixe. »[28]
Les appartenances pouvant être favorisées par le sport sont particulières et locales, et non seulement nationales. Comme le souligne le sociologue Federico Genovesi, « le soccer communautaire solidaire peut offrir la chance de partager des sentiments d’appartenance avec la communauté locale au sens large... [et] peut jouer un rôle vital pour ce qui est de résister à la liminalité imposée par les politiques d’appartenance rattachées strictement à la terre. »[29] En d’autres termes, organiser et pratiquer le soccer communautaire permet à un groupe de se présenter en public, au Canada, de sortir de la marginalité et de s’intégrer dans l’activité générale. Il s’agit d’une contestation efficace de la pensée nativiste concernant l’appartenance, car le sport (bien que mondial) est également considéré comme « canadien ».
Source : MCI / Colin Tim
L’historien Greg Yerashotis souligne l’interconnexion des appartenances urbaines, politiques et de groupe dans le cadre de son appel à faire évoluer « les discussions sur l’intégration au-delà des perspectives instrumentales quant à l’influence du sport sur l’établissement des jeunes, pour penser à comment le sport peut faciliter de multiples formes d’appartenance dans la vie des participants. »[30] Ces ensembles d’appartenances complexes et chargées négociées par l’entremise du sport soulignent l’importance d’être attentif à l’adaptation et à l’intégration à des niveaux autres que le niveau national.
Suivre la bonne fortune d’un club de soccer favori à l’étranger ou encourager son pays d’origine lors de la Coupe du monde apporte un changement subtil, mais important, à la culture canadienne du sport et des loisirs. Stephen Fielding décrit que les immigrants apportaient « une culture de trottoir provenant de régions où les hommes se mêlaient en tant que groupe et se déplaçaient fluidement entre les espaces intérieurs et extérieurs. Dans le domaine du sport, les rues étaient fusionnées avec les petites entreprises, les maisons privées, les lieux de travail et les centres communautaires pour créer une géographie alternative de lieux où l’on peut regarder ses jeux préférés, en discuter et y jouer. »[31] Il s’agit là d’une différence radicale par rapport à la culture générale des loisirs au Canada, qui n’incluait pas les espaces publics comme les rues et les trottoirs, et qui a donné lieu à une contestation des espaces, allant jusqu’au maintien de l’ordre.[32]
Les adaptations du soccer sont également un élément important des échanges culturels et, dans le Nord, le soccer en salle a lentement fait son chemin, au point d’avoir fait partie des Jeux d’hiver de l’Arctique de 1980 à 2014. La spécialiste du sport Vicky Paraschak note que cela s’inscrivait dans le cadre d’un mouvement des Jeux visant à organiser des événements « mieux adaptés aux participants natifs des petites communautés. »[33] Un exemple local pour notre communauté muséale d’Halifax est le Mundialito, une petite Coupe du monde organisée par Latispánica pour une communauté latino-américaine en pleine croissance.[34] Organisé dans les installations sportives publiques d’Halifax, cet événement illustre une fois de plus que le soccer permet aux communautés de migrants de revendiquer les espaces publics de leur nouveau lieu de résidence. Notamment, au Canada et aux États-Unis, tout autant que la communauté latino-américaine migrante se rassemble grâce au soccer, la pratique du soccer reflète également l’adaptation à de nouvelles normes. Ainsi, les femmes, les futboleras, entrent sur le terrain, revendiquant un espace qui est, pour beaucoup d’entre elles, culturellement masculin et créant une identité hybride reflétant à la fois un amour constant du sport (venu de leur ancienne patrie) et une inclusion des femmes en tant que joueuses (adoptée de leur nouvelle patrie).[35] Comme l’a dit une femme latino-américaine à Marcelo Herrera à propos de cette différence entre le soccer d’ici et de là-bas, « être consciente que les choses sont différentes au Canada et jouer selon ces règles ne fait pas de nous des hypocrites, cela fait de nous des citoyennes conscientes. »[36]
Conclusion
Jouer au soccer permet aux migrants de mieux s’adapter. De David Forsyth à Alphonso Davies, de la Muslim Youth Soccer League de London au soccer en salle au Nunavut, ce jeu est fondé sur des échanges culturels complexes et des adaptations réciproques. Certains des plus grands avantages et des plus importants ajustements ne surviennent toutefois pas sous les feux des projecteurs, car soutenir le soccer et y participer peut bousculer des normes culturelles antérieures et créer de nouveaux réseaux sociaux et professionnels. Ainsi, les migrants peuvent produire (et reproduire) de nombreuses identités par l’entremise du soccer, notamment en renforçant ou en créant des liens avec des groupes culturels, et en affirmant leur appartenance à l’espace public canadien. Le fait même d’adopter l’équipe d’un autre pays est considéré comme non seulement acceptable, mais souhaitable dans le cadre des contraintes du multiculturalisme canadien largement accepté. Les migrants bâtissent des communautés et s’installent au Canada grâce au soccer.
- Marcelo Eduardo Herrera, « Soccer, Space, and Community Integration: Being and Becoming Canadian in London, Ontario through the World’s Game » (London (Ontario), University of Western Ontario, 2018), 42, ProQuest Dissertations & Theses.↩
- Ramón Spaaij, « Beyond the Playing Field: Experiences of Sport, Social Capital, and Integration among Somalis in Australia », dans Ethnic and Racial Studies 35, no 9 (septembre 2012) : 2, https://doi.org/10.1080/01419870.2011.592205.↩
- Greg Yerashotis, « Kickin’ It in “the Hood:” Soccer and Social Inclusion in Global Toronto » (Doctorat de philosophie, kinésiologie et éducation physique, Toronto (Ontario), University of Toronto, 2022), 188.↩
- Alan Efetha, histoire orale, vidéo numérique, 25 mai 2014, collection du MCI.↩
- Yerashotis, « Kickin’ It in “the Hood:” Soccer and Social Inclusion in Global Toronto », 236.↩
- Herrera, « Soccer, Space, and Community Integration: Being and Becoming Canadian in London, Ontario through the World’s Game », 33.↩
- Bachir Sirois-Moumni et Jean-Charles St-Louis, « La Star de soccer, figure de “la diversité” au Canada », dans International Journal of Canadian Studies 61 (1er mars 2023) : 87, https://doi.org/10.3138/ijcs-2022-0005.↩
- Sirois-Moumni et St-Louis, 88.↩
- Rod Mickleburgh, « Nearly 70 Years on, an Act of Inclusion », Globe and Mail, 11 janvier 2011, s. A.↩
- Jason Beck, « 1933 Chinese Students », BC Sports Hall of Fame (blogue), consulté le 6 décembre 2024, https://bcsportshall.com/honoured_member/1933-chinese-students/.↩
- Mickleburgh, « Nearly 70 Years on, an Act of Inclusion ».↩
- Stephen Fielding, « Sporting Multiculturalism: Toronto’s Postwar European Immigrants, Gender, Diaspora, and the Grassroots Making of Canadian Diversity » (Doctorat (Histoire), Victoria (C.-B.), University of Victoria, 2018), 30.↩
- Hugo Santos-Gómez, Immigrant Farmworkers and Citizenship in Rural California: Playing Soccer in the San Joaquin Valley, dans The New Americans : Recent Immigration and American Society (El Paso: LFB Scholarly Pub. LLC, 2014), 144.↩
- Canada Soccer, « Profile - David Forsyth », 28 janvier 2020, https://canadasoccer.com/profile/.↩
- Efetha, histoire orale.↩
- Efetha.↩
- Herrera, « Soccer, Space, and Community Integration: Being and Becoming Canadian in London, Ontario through the World’s Game », 104–5.↩
- Herrera, 104.↩
- Herrera, 69.↩
- Martin Lange, Friedhelm Pfeiffer, and Gerard J. Van Den Berg, « Integrating Young Male Refugees: Initial Evidence from an Inclusive Soccer Project », dans Journal for Labour Market Research 51, no 1 (décembre 2017) : 9, https://doi.org/10.1186/s12651-017-0234-4.↩
- Herrera, « Soccer, Space, and Community Integration: Being and Becoming Canadian in London, Ontario through the World’s Game », 68–69.↩
- Herrera, 38–39.↩
- Fielding, « Sporting Multiculturalism: Toronto’s Postwar European Immigrants, Gender, Diaspora, and the Grassroots Making of Canadian Diversity », 105.↩
- Fielding, 109.↩
- Fielding, 105–6.↩
- « Canada Has Supporters of All 32 FIFA Soccer Teams », The National (Toronto (Ontario) : CBC, 12 juin 2014).↩
- Fielding, « Sporting Multiculturalism: Toronto’s Postwar European Immigrants, Gender, Diaspora, and the Grassroots Making of Canadian Diversity », 168.↩
- Francesco Ricatti et Matthew Klugman, « “Connected to Something”: Soccer and the Transnational Passions, Memories and Communities of Sydney’s Italian Migrants », dans The International Journal of the History of Sport 30, no 5 (mars 2013) : 479, https://doi.org/10.1080/09523367.2013.770735.↩
- Federico Genovesi, « Spaces of Football and Belonging for People Seeking Asylum: Resisting Policy-Imposed Liminality in Italy », dans International Review for the Sociology of Sport 59, no 1 (février 2024) : 84, https://doi.org/10.1177/10126902231179624.↩
- Yerashotis, « Kickin’ It in “the Hood:” Soccer and Social Inclusion in Global Toronto », 306.↩
- Fielding, « Sporting Multiculturalism: Toronto’s Postwar European Immigrants, Gender, Diaspora, and the Grassroots Making of Canadian Diversity », 42.↩
- Fielding, 211–12.↩
- Vicky Paraschak, « Sport Festivals and Race Relations in the Northwest Territories of Canada », dans Sport, Racism and Ethnicity, Grant Jarvie, éd. (London : Falmer, 1995), 64.↩
- Javier Ortega-Araiza, « Amid a Booming Latin American Population in Canada, This Halifax Group Is Building Community from the Ground Up », Canadian Press, 7 février 2024, s. Wire Feed.↩
- Paul Cuadros, « We Play Too: Latina Integration through Soccer in the “New South” », dans Southeastern Geographer 51, no 2 (juin 2011) : 228, https://doi.org/10.1353/sgo.2011.0021; Herrera, « Soccer, Space, and Community Integration: Being and Becoming Canadian in London, Ontario through the World’s Game », 54–55.↩
- Herrera, « Soccer, Space, and Community Integration: Being and Becoming Canadian in London, Ontario through the World’s Game », 59.↩