par Jan Raska PhD, Historien
(Mise à jour le 9 octobre 2020)
En mai 2015, le Musée canadien de l’immigration du Quai 21 a ouvert de nouvelles expositions sur l’histoire du site canadien historique du Quai 21 et sur l’histoire de l’immigration au Canada. Ce blogue est basé sur la recherche qui informe les nouveaux présentoirs sur l’histoire de l’immigration au Canada.
Introduction
Il y a souvent un vide entre la politique et les procédures d’immigration et ce qui est promulgué en pratique dans les ports d’entrée canadiens et outre-mer. Les agents d’immigration doivent tenir compte de nombreux facteurs lors de la décision d’admettre, détenir ou de refuser l’entrée à un immigrant potentiel. Ces facteurs comprennent la politique, les précédents et l’opinion publique. En conséquence, le désir d’une personne de venir au Canada ne constitue qu’un des nombreux facteurs qui délimitent l’immigration.
Dans l’exposition Que feriez-vous ? les visiteurs auront l’occasion d’agir à titre d’agent d’immigration canadien et d’admettre, détenir ou refuser l’entrée à des passagers. Les visiteurs choisiront entre deux études de cas historiques : l’arrivée de réfugiés baltes à bord du SS Walnut au Quai 21, en décembre 1948 et la découverte de demandeurs d’asile tamouls dans des canots de sauvetage au large des côtes de Terre-Neuve, en août 1986. L’exposition interactive démontrera le rôle de l’état dans le traitement d’immigration. Tout comme les agents d’immigration responsables, les visiteurs se verront présenter du matériel de première main incluant : articles de journaux, politiques d’immigration, rapports et témoignages de réfugiés. Le visiteur devra alors examiner le matériel devant lui et décider ce qui doit être fait : admettre, détenir ou refuser l’entrée? Une fois une décision prise, le visiteur verra alors la conclusion réelle à partir du dossier historique. Que feriez-vous ? encourage la participation du visiteur.
Ci-dessous se trouve la recherche effectuée pour une des deux études de cas historique. Elle est structurée autour de la question : comment l’arrivée des demandeurs d’asile a influencé la politique d’immigration canadienne et le pouvoir discrétionnaire de l’agent local aux points d’entrée du Canada?
Les agents d’immigration canadiens tiennent compte de nombreux facteurs pour déterminer si une personne est admissible et peut être autorisée à entrer au Canada. L’arrivée de demandeurs d’asile tamouls, en août 1986, est un cas qui a illustré comment la législation et le traitement pour les nouveaux arrivants au Canada ont été influencés par plusieurs facteurs comme la Loi sur l’immigration, les règlements et procédures, le pouvoir discrétionnaire des agents d’immigration locaux, l’opinion publique et le désir d’une personne d’immigrer. Ce groupe de nouveaux arrivants a contribué à façonner la politique d’immigration canadienne, ainsi que la manière dont les fonctionnaires canadiens ont traité les arrivées irrégulières.
Années 1980 : Le Canada fait face à un nombre croissant de demandes de statut de réfugié
Dans les années 80, les fonctionnaires fédéraux ont été confrontés à l’un de leurs enjeux d’immigration le plus difficile : l’augmentation du nombre de revendications de statut de réfugié au Canada. La question des réfugiés a dominé le débat national sur l’immigration et largement attiré l’attention publique et la couverture médiatique.[1] À la fin des années 80, la population mondiale des réfugiés est passée à près de presque 15 millions de personnes à cause de la guerre, la famine, les catastrophes naturelles, l’instabilité politique, les conflits interethniques et la persécution.[2] Parallèlement à cette augmentation de réfugiés s’est ajouté le phénomène des migrants illégaux ou sans papier. Les réseaux de transport et de communication améliorés, le voyage moins dispendieux, et la disparité croissante entre les nations riches et pauvres ont contraint de nombreuses personnes à rechercher des occasions économiques et une sécurité personnelle ailleurs. Dans plusieurs cas, ces migrants n’avaient pas l’éducation, les compétences, ou de la famille résidant dans le pays choisi pour leur réinstallation, normalement en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord, en Australie ou Nouvelle-Zélande, pour être officiellement autorisés à entrer. Revendiquer le statut de réfugié est devenu « la meilleure chance de devenir résident permanent ».[3] Dans les années 1980, le Canada a été submergé de demandeurs d’asile demandant le statut de réfugié, des personnes arrivées au Canada dont les demandes n’avaient pas encore été jugées. Plusieurs de ces personnes ne remplissaient pas les conditions requises de la 1951 Convention des Nations Unies relatif au statut des réfugiés et du 1967 Protocole relatif au statut des réfugiés. En 1986, par exemple, 18 000 demandes ont été faites dont les deux tiers ont été déclarées « fausses ». Les fonctionnaires canadiens soupçonnaient que des escrocs commerciaux s’impliquaient dans les demandes de statut de réfugié au Canada.[4]
Des demandeurs d’asile tamouls arrivent à Terre-Neuve
Une majorité de demandeurs d’asile tamouls sont arrivés au Canada sans attirer l’attention. Dans certains cas, l’arrivée de personnes revendiquant le statut de réfugié a amené une large couverture médiatique et l’attention du public. Le 11 août 1986, des canots de sauvetage lancés à la dérive ont été repérés au large de la côte sud-est de Terre-Neuve. Un pêcheur local a secouru les canots de sauvetage transportant 135 Tamouls qui, une fois sur le rivage, ont affirmé être venus directement du Sri Lanka, après un voyage de trente-cinq jours dans la cale d’un navire. Un des demandeurs d’asile a déclaré à un journaliste de Radio-Canada (CBC) qu’il était chinois. Un jour plus tard, le sauveteur Felix Dobbin a dit au Globe and Mail qu’un des Tamouls lui a demandé s’il était proche de Montréal. Dobbin a informé le nouvel arrivant : « Je leur ai dit que c’était Terre-Neuve et je ne crois pas qu’il n’en n’avait jamais entendu parler. Il voulait savoir s’il était proche de Montréal. »[5] Les officiers de la Garde côtière canadienne ont trouvé les canots de sauvetage sans aucune identification ce qui a éveillé les soupçons sur les naufragés qui tentaient d’entrer illégalement au Canada. Après le débarquement à St. John’s, les Tamouls ont été loges dans les dortoirs de l’Université Memorial pendant qu’ils étaient interrogés par les agents de l’immigration canadienne.[6] Les demandeurs d’asile tamouls ont affirmé avoir payé entre 4 200 $ et 7 000 $ pour le passage au Canada. L’inspecteur de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), J.W. Lavers, demeurait sceptique face à la demande des Tamouls qui prétendaient être restés à bord des canots cinq jours « C’est étonnant qu’après cinq jours de brouillard et de pluie leurs vêtements aient été secs. »[7]
Authentification de leur voyage vers le Canada : Traitement et réinstallation des demandeurs d’asile tamouls
Après avoir été interrogés et traités par les responsables canadiens, les Tamouls ont avoué qu’ils étaient arrivés dans les eaux canadiennes en provenance de l’Allemagne de l’Ouest où tous, à l’exception de deux d’entre eux, avaient travaillé jusqu’à deux ans. Le navire qui les a transportés jusqu’à Terre-Neuve n’était pas originaire de l’Inde comme ils l’avaient initialement dit, mais plutôt du port de Brake, en Allemagne de l’Ouest. Les Tamouls avaient chacun payé 3 450 $ pour leur passage vers le Canada sur le cargo. Le voyage a duré onze jours et ils avaient séjourné dans les canots de sauvetage deux nuits et trois jours. Selon les Tamouls, le capitaine allemand du cargo encaisse environ 500 000 $ des Tamouls pour les transporter au Canada. Il avait chargé les Tamouls dans les canots de sauvetage, les avait remorqués pendant une demi-journée avant de les détacher et de leur pointer la direction de Montréal. La police d’Allemagne a plus tard arrêté deux Tamouls et un Turc à Hambourg, soupçonnés d’avoir orchestré un complot de contrebande d’humains. Selon le Globe and Mail, aucune charge n’a jamais été portée.[8] Les Tamouls ont obtenu un permis ministériel d’un an leur permettant de travailler au Canada en attendant que leur statut juridique soit défini. Plus tard, ils ont tous été autorisés à rester au Canada, à titre d’immigrants reçus. La majorité des demandeurs d’asile se sont réinstallés à Montréal où une communauté tamoule existait déjà. Les autres ont quitté pour Toronto et se joints à une autre communauté de leurs compatriotes au Canada.[9]
Conclusion
Les spécialistes ont accordé beaucoup d’attention à la documentation et à l’évaluation de la politique canadienne d’immigration et du rôle qu’elle a joué à l’arrivée de nouveaux arrivants au Canada. Inversement, les politiques d’immigration canadiennes ont été façonnées par les immigrants entrants. Ces personnes ont également influencé comment les agents de l’immigration canadienne aux points d’entrée du Canada et dans les bureaux outre-mer utilisent leur pouvoir discrétionnaire pour traiter les personnes qui cherchent à se réinstaller de façon permanente au Canada. Il y avait un écart entre la politique d’immigration canadienne et la procédure officielle, et ce qui était adopté dans la pratique dans les bureaux canadiens outre-mer et dans divers ports d’entrée au Canada. L’arrivée de demandeurs d’asile tamouls à Terre-Neuve, en août 1986, et de demandeurs d’asile sikhs en Nouvelle-Écosse, en juillet 1987, illustre que la législation et le traitement réservé aux nouveaux arrivants au Canada demeurent fortement influencés par plusieurs facteurs, notamment la Loi sur l’immigration et les règlements pertinents, les procédures d’immigration, le pouvoir discrétionnaire des agents d’immigration locaux et l’opinion publique. Comment l’arrivée de réfugiés a influencé la politique d’immigration du Canada et la discrétion officielle locale aux points d’entrée canadiens? Dans bien des cas, une combinaison de législation, d’opinion publique et de discrétion locale ont façonné l’expérience d’immigration des nouveaux arrivants. Cela démontre que le désir d’immigrer d’une personne est souvent un des facteurs déterminants qui fera qu’il ou elle sera autorisé(e) de se réinstaller de façon permanente au Canada. Dans les cas mentionnés ci-dessus, les deux vagues de nouveaux arrivants ont contribué à modifier la politique d’immigration canadienne et comment les responsables canadiens ont traité les nouveaux arrivants.
- Valerie Knowles, Strangers at Our Gates: Canadian Immigration and Immigration Policy, 1540-2007 (Dundurn Press, 2007), 221; Victor Malarek, Haven’s Gate: Canada’s Immigration Fiasco (Toronto: Macmillan of Canada, 1987), 136-149.↩
- Knowles, 221.↩
- Knowles, 221.↩
- Knowles, 222.↩
- Canadian Broadcasting Corporation (ci-après CBC) Digital Archives , “1986: Sri Lankan migrants rescued off Newfoundland,” consulté le 15 avril, https://www.cbc.ca/player/play/1707584996.↩
- Knowles, 222; CBC Digital Archives, “1986: Sri Lankan migrants rescued off Newfoundland.”↩
- CBC Digital Archives, “1986: Sri Lankan migrants rescued off Newfoundland.”↩
- CBC Digital Archives, “1986: Sri Lankan migrants rescued off Newfoundland.”↩
- CBC Digital Archives, “1986: Sri Lankan migrants rescued off Newfoundland.” Pour un contexte plus large, voir Malarek, 136-149; Leslie Plommer, “German reveals Palestinian link in Tamils’ trip,” Globe and Mail 15 août 1986, A1; Mark Kingwell, “Tamils get right to work while their status is considered,” Globe and Mail 15 août 1986, A4; Carey French and Leslie Plommer, “Tamils ‘key’ to ship’s name,” Globe and Mail, 15 août 1986, A4; W. Gunther Plaut, “Tamils rate same help as any other refugees,” Globe and Mail, 19 août 1986, A7; Graham Fraser, “Admitting Tamils regrettable, Tory MP says,” Globe and Mail, 21 août 1986, A5; “Leslie Plommer, “ Captain could get slap on wrist: Charge over Tamils called unlikely,” Globe and Mail, 30 août 1986, A1; Leslie Plommer, “Tamils rate Canada their first choice,” Globe and Mail, 6 septembre 1986, A7; Andrea Baillie, “Painful memories revived for Tamils: First ‘boat people’ still struggling to belong 13 years after arrival,” Globe and Mail, 30 août 1999, A2.↩