De nombreuses villes canadiennes ont un quartier chinois. Il existe aussi des quartiers appelés le quartier grec, la petite Italie et le petit Portugal.
Dans le Vancouver d’avant-guerre, le quartier de la rue Powell, dans la partie est du centre-ville, abritait des milliers de Canadiens et de Canadiennes d’origine japonaise. Il s’agissait de Canadiens et de Canadiennes de première, de deuxième et de troisième génération. Ces gens originaires du Japon avaient commencé à immigrer en Colombie-Britannique à la fin des années 1800. Face au sentiment anti-asiatique, ils se sont enracinés, ont créé des entreprises, ont économisé pour acheter des terres et ont fondé leur famille.
Alors pourquoi n’appelle-t-on pas ce quartier « le quartier japonais »?
Répondre à cette question révèle l’histoire du sentiment et de la politique anti-asiatique du 20e siècle. Une histoire de déplacement, de dépossession et de dispersion.
Le sentiment anti-asiatique
Les Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise de la Colombie-Britannique ont fait face à des hostilités. En 1907, une parade a été organisée par l’Asiatic Exclusion League, un groupe dont le maire de la ville faisait partie. Ce groupe cherchait à stopper l’immigration asiatique au Canada. La Ligue défendait l’idée que les immigrants d’Asie faisaient baisser le coût de la main-d’œuvre. La parade s’est transformée en émeute. Des fenêtres de maisons et d’entreprises appartenant à des Canadiens et Canadiennes d’origines chinoise et japonaise ont été brisées.
La communauté a tout de même continué à s’enraciner, non seulement à Vancouver, mais aussi ailleurs en Colombie-Britannique.
Les raisons liées à cette discrimination à l’égard des Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise ont évolué. Le Japon est devenu une puissance militaire de plus en plus importante et, en 1931, son invasion de la Mandchourie (en Chine) a fait craindre que le pays puisse attaquer la côte Pacifique. Cela a donné aux Canadiens et aux Canadiennes une nouvelle excuse pour soupçonner leurs voisins. À la fin des années 30, des plans ont été préparés afin de saisir les bateaux des Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise en cas de guerre. Le gouvernement provincial a créé une liste de Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise possédant un permis d’exploitation commerciale. En 1940, le cabinet fédéral a créé un comité spécial chargé de faire un rapport sur la « situation orientale » en Colombie-Britannique.
Internement
Après le bombardement de Pearl Harbor, en 1941, le Canada a déclaré la guerre au Japon. C’est alors que les choses se sont précipitées. De nouvelles politiques touchant les Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise ont été adoptées, peu importe leur citoyenneté ou leur temps de résidence au Canada. Du jour au lendemain, les enfants des Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise n’étaient plus les bienvenus à l’école. Les bateaux de pêche appartenant aux Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise ont été saisis. Quelques jours plus tard, un bureau du gardien des biens ennemis a été ouvert à Vancouver. Dans les semaines qui ont suivi, le gouvernement canadien a adopté une loi visant à retirer les Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise d’une « zone de protection » de 160 km le long la côte Pacifique. Hommes et femmes, nourrissons et personnes âgées, ont été placés dans des camps d’internement, vivant dans des tentes ou des cabanes.
Le premier ministre Mackenzie King a déclaré publiquement que « les personnes de race japonaise, canadiennes de naissance ou par naturalisation, et les ressortissants japonais résidant au Canada seront traités de façon juste. Leurs personnes et leurs biens recevront la pleine protection de la loi. » En privé, cependant, il partageait l’avis d’un diplomate chinois selon lequel il ne fallait pas faire confiance aux personnes d’origine japonaise, que ces gens « seraient des saboteurs et aideraient le Japon le moment venu ».
L’internement a duré toute la guerre. Les restrictions sur les déplacements des Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise sont demeurées en vigueur jusqu’en 1949.
Dépossession
Le gouvernement a promis de prendre soin des biens saisis et de les restituer une fois l’internement terminé. Au cours des années suivantes, on a cependant laissé ces biens se détériorer. Malgré les protestations de leurs propriétaires, les terrains et les maisons ont été vendus de force à un prix inférieur à leur valeur marchande. Les objets personnels ont été vendus aux enchères. Les bâtiments du quartier de la rue Powell, cœur de la communauté nippo-canadienne de Vancouver, avaient désormais de nouveaux propriétaires.
Dispersion
En mars 1945, le gouvernement canadien a fait pression sur les Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise de la Colombie-Britannique pour qu’ils déménagent à l’est des Rocheuses et commencent une nouvelle vie loin de la côte, ou pour qu’ils soient embarqués sur un bateau afin d’être renvoyés au Japon de façon définitive. Certaines personnes ont accepté l’exil. Certaines personnes sont parties vers l’est. Peu de ces personnes sont revenues. Le quartier de la rue Powell a été transformé.
Retour?
Le festival annuel de la rue Powell a été lancé en 1977 afin de célébrer les arts et la culture des Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise. Plus récemment, un groupe appelé Heritage Vancouver a demandé à ce que le quartier soit désigné comme le quartier japonais, une zone de conservation du patrimoine. Certaines personnes résistent à l’adoption de ce nom, y compris des membres de la communauté nippo-canadienne. L’est du centre-ville est une région qui connaît plus que sa part de pauvreté et de problèmes sociaux complexes. Les créateurs de 360 Riot Walk, une visite interactive à pied des émeutes anti-asiatiques de Vancouver en 1907, s’inquiètent du fait que cette désignation patrimoniale coïncide avec des efforts d’embourgeoisement du quartier, donc avec le déplacement de ses résidents actuels, répétant ainsi les erreurs du passé.