Familles
22 février 1951 – Volendam
L'immigration n'est pas quelque chose que vous décidez et faites sur un coup de tête; vous en discutez, vous y réfléchissez, vous en discutez à nouveau et vous rendez visite à plusieurs types de services pour obtenir de l'information. Lorsque, enfin, cela devient sérieux, vous commencez à prier pour que tout fonctionne. Puis, vient le temps où vous ne priez plus Dieu qu'afin qu'il vous indique le chemin… du moins, c'est comme ça que ça s'est passé pour nous.
C'est donc avec la bénédiction de Dieu que nous avons quitté Rotterdam, en Hollande, le 3 février 1951 à bord d'un grand navire, le Volendam, qui comptait alors 1 400 passagers et 500 membres d'équipage, pour nous rendre dans notre nouveau pays, le Canada. L'océan Atlantique peut être assez rude en hiver, vous imaginez donc le nombre de passagers pris de mal de mer. Nous avons vu plusieurs passagers sortir en courant de la salle à manger et vomir leur repas par-dessus bord. Un homme en a même perdu son dentier. On nous avait dit qu'il ne nous était pas permis d'apporter de l'argent à bord, nous avions donc laissé toutes nos économies à tante Mina (la sœur aînée de mon père). Mais nous aurions bien aimé avoir un peu d'argent, voyant d'autres passagers s'acheter de la crème glacée et d'autres gâteries.
Nous avons atteint Halifax le 22 février 1951 et avons passé la douane le jour même, bien que nous ayons dû rester à bord du navire une nuit de plus. Nous nous sommes promenés un peu dans les environs. Les membres d'équipage étaient déjà en train de décharger les grosses caisses à l'intérieur desquelles se trouvaient tous les biens matériels des passagers. Alors que nous regardions, une des caisses fit une chute. Nous nous sommes alors dit que celui à qui appartenait la caisse était bien malchanceux. Le lendemain, nous avons découvert qu'il s'agissait de la nôtre ! Les pieds de la table en dépassaient et mon père devait absolument trouver un charpentier pour la réparer; on n'allait certainement pas la transporter à bord du train dans cet état.
Le 23 février 1951, avant de monter à bord du train, un agent est venu nous souhaiter la bienvenue et nous donner quelques renseignements. Bien sûr, aucun d'entre nous ne pouvait comprendre ce qu'il disait; il parlait anglais et pas nous. Le train quitta Halifax vers midi, et pas n'importe quel train ! On aurait dit un train de charbon; il était tout noir. Mais nous avons rendu le voyage aussi agréable que possible. La nuit, les enfants dormaient au-dessus des sièges, là où sont habituellement placés les bagages. Dans la même voiture que nous se trouvaient Rie Brandt, ainsi que M. et Mme A.N. deJonge en compagnie de leurs enfants Nancy, Arie et Janny. Nous préparions nous-mêmes le café, le thé et les repas.
À notre arrivée à Winnipeg, M. Wieringa, notre agent agricole, est monté à bord du train pour nous dire que Red Deer était le plus bel endroit de l'Alberta. Le dimanche, nous nous sommes mis à chanter pour nous sentir réellement comme un dimanche. Une fois à Edmonton, M. Wieringa nous fit prendre le train en direction de Red Deer. Nous étions toujours en compagnie de la famille deJonge, mais M. et Mme Doorenbos s'étaient joints à nous. Ils venaient tout juste de se marier et de quitter la Hollande (quelle lune de miel cela a dû être pour eux, les hommes et les femmes devant dormir séparément à bord du navire !). Nous nous sommes alors tous dit qu'il ne nous restait plus que quelques heures avant d'arriver à destination. Ça n'allait pas être si simple !
En arrivant à la gare de Camrose, quelqu'un – le chef du train, je crois – est venu nous dire que nous devions descendre, car nous n'étions pas à bord du bon train (après notre départ d'Edmonton, M. Wieringa avait découvert qu'il nous avait fait prendre un train en direction de la Saskatchewan). Harm Doorenbos était le seul parmi nous à parler un peu l'anglais et il lui fallut parler beaucoup pour arriver à régler notre problème, mais il finit par apprendre qu'un train de passagers s'en allait à Mirror, en Alberta. On aurait dit un train du 17e siècle : il y avait des lampes à l’huile suspendues, nous devions mettre nous-mêmes les bûches dans le poêle, notre eau se trouvait dans un baril et les toilettes étaient de l'autre côté de la balustrade. Il fallait chaque fois supporter le froid pour y aller.
Lorsque nous sommes arrivés à Mirror, notre sang était comme du karnemelk(du babeurre) tellement nous avions subi de secousses et de bousculades. M. Doorenbos dut encore jouer les porte-parole. Il téléphona à sa famille qui se trouvait à l'Église chrétienne réformée Woody Nook de Lacombe afin de leur faire savoir où lui et son épouse étaient rendus. Il voulait passer la nuit à Mirror, mais sa famille s'y refusa et allait plutôt venir les chercher en voiture sur le champ. Puis, M. Doorenbos a téléphoné, pour la famille deJonge, à Rocky Mountain House et on leur proposa également de venir les chercher. M. Doorenbos a ensuite dû téléphoner à la famille Hansum par l'intermédiaire de l'école de formation provinciale (Michener Centre), puisque ni Mme Hansum ni le révérend VanLaaar ne disposait de téléphone à l'époque. Le révérend VanLaar (de la Christian Reformed Home Missionary) est venu nous chercher pour nous amener à Red Deer où nous attendait, chez Mme Pearl Hansum, le meilleur repas depuis notre départ de Hollande (le mari de Mme Hansum était décédé pendant le voyage en bateau pour venir ici au cours de l'année précédente). Et quel bonheur de prendre enfin un bain !
Comme nous étions venus à Red Deer sans avoir recours à un parrain, mon père devait partir à la recherche d'un travail. Après maintes déceptions, il décrocha finalement un emploi au Canadien Pacifique, entre Red Deer et Penhold (Tuttle), payé 65 dollars aux deux semaines. C'est sur un vélo emprunté à John Entrop que mon père allait devoir se rendre au travail tous les jours à partir du 1er avril 1951. Il en profitait pour ramasser les bouteilles vides traînant le long de la route afin d'augmenter notre revenu.
Le 7 avril 1951, nous sommes devenus locataires d'une maison à Westpark, chez les Indiens (ce que nous ignorions à l'époque). Ils se révélèrent être de bons voisins, bien que d'une culture complètement différente de tout ce que nous avions pu connaître. C'était quelque chose que de voir de vieilles femmes fumer la pipe ! La maison nous coûtait 35 dollars par mois durant hiver et 5 dollars de plus durant l'été, celle-ci disposant d'un très grand jardin. Pier Maseru, notre voisin néerlandais, nous a beaucoup aidés avec le jardin et les légumes y poussèrent très bien; nous pouvions déjà imaginer tous les légumes que nous allions manger à l'hiver. À la fin du mois de juillet, une averse de grêle tomba et ne laissa dans le jardin que trois haricots et plusieurs betteraves rouges. En raison de la grêle, il ne serait pas possible de cuire les betteraves pour les manger. Nous avions eu aussi beaucoup d'endives, de sorte que nous aurions tout de même quelque chose à manger une fois l'hiver venu.
Un bon lundi matin de septembre, le révérend Vanlaar vint nous demander s'il pouvait, avec sa femme, venir prendre un café le soir même, ce qui ne posa, bien sûr, aucun problème. À leur arrivée ce soir-là, Mme Vanlaar nous dit qu'ils étaient allés aux États-Unis et qu'ils avaient ramené quelques petites choses pour notre famille. Elle nous dit que, plus tôt dans l'été, ils avaient reçu trois boîtes de vêtements des États-Unis, mais que rien s'y trouvant n'était destiné à notre famille et qu'ils se sentaient vraiment mal pour nous, nous considérant alors comme la famille la plus pauvre des environs (mon père était le seul de la famille à travailler pour subvenir aux besoins de six personnes). Nous avons tous ri, car nous ne nous sentions pas vraiment pauvres (il nous restait encore 50 dollars du premier chèque de paie de mon père).
Un bon lundi matin de septembre, le révérend Vanlaar vint nous demander s'il pouvait, avec sa femme, venir prendre un café le soir même, ce qui ne posa, bien sûr, aucun problème. À leur arrivée ce soir-là, Mme Vanlaar nous dit qu'ils étaient allés aux États-Unis et qu'ils avaient ramené quelques petites choses pour notre famille. Elle nous dit que, plus tôt dans l'été, ils avaient reçu trois boîtes de vêtements des États-Unis, mais que rien s'y trouvant n'était destiné à notre famille et qu'ils se sentaient vraiment mal pour nous, nous considérant alors comme la famille la plus pauvre des environs (mon père était le seul de la famille à travailler pour subvenir aux besoins de six personnes). Nous avons tous ri, car nous ne nous sentions pas vraiment pauvres (il nous restait encore 50 dollars du premier chèque de paie de mon père).
En fait, lors de sa visite aux États-Unis, Mme Vanlaar avait parlé de nous à l'une des ses amies, lui disant qu'elle connaissait une famille à Red Deer aussi nombreuse que la sienne à qui elle n'avait pas été en mesure de fournir de vêtements. La dame en question a donc fait le ménage de ses placards pour nous en trouver et est même allée en ville pour nous en acheter de nouveaux. Il faut croire que Dieu veillait sur nous !
En 1952, nous avons finalement acheté une maison sur la promenade Spruce de M. et Mme George Gross pour la grosse somme de 4 000 dollars (dont les paiements mensuels seraient de 40 dollars). Cette maison n'avait pas de sous-sol, pas d'eau courante, n'était équipée que d'un poêle à bois et les toilettes se trouvaient à l'extérieur. Nous devions aller chercher notre eau en bas de la colline (dans le parc Rotary) où nous allions avec deux seaux de cinq gallons. Nous nous servions de palanches que nous mettions sur nos épaules pour transporter les seaux (je pense que c'est Opa Zee qui nous les avait données). Monter ainsi la colline n'était pas un mince exploit. Ma mère parvint à faire suffisamment d'économies pour acheter une machine à laver avec moteur (comme elle pouvait être fière de cette machine !). Elle avait également économisé suffisamment pour permettre à sa mère de venir nous rendre visite au Canada (pendant près d'un an) en 1953.
Mon père passait tout son temps libre à creuser sous la maison pour nous faire un sous-sol. Pour ce faire, il devait remplir un seau de cinq gallons de terre et le transporter à l'extérieur, un seau à la fois. Le jour arriva où il eut creusé assez profondément et posé assez de briques pour décaler la maison afin qu'il puisse terminer le sous-sol. M. Sandy Gerke amena donc deux chevaux de trait blanc pour déplacer la maison; pendant six semaines, notre maison allait tenir sur des blocs. Une fois le sous-sol terminé, la maison fut remise à sa position initiale. La taille de notre maison avait doublé ! Nous n'avons jamais eu de pompe à eau; nous avons plutôt attendu que la ville de Red Deer installe les conduites d'eau et d'égout quelques années plus tard.