N. Peerboom

Femmes et hommes célibataires

6 juin 1952 – Waterman

Je me rappelle très bien le jour où je débarquai du MS Waterman à Halifax Nouvelle-Écosse, le 6 juin 1952 et traversai le désormais célèbre hangar du Quai 21. Les agents des douanes et de l’immigration traitèrent efficacement les 900 arrivants néerlandais avant que nous nous dirigions vers le train qui nous emmènerait à traverser le Canada. Je me rappelle de l’agent des douanes, examinant gentiment mais rigoureusement les trois grandes malles de bateau que j’avais traînées sur la passerelle et le quai jusqu’à son guichet et en faisant rapidement le contrôle. Il devait se demander pourquoi emporter tant de marchandises sèches, tissus, draps et serviettes, des rideaux que ma mère avait insisté pour que j’emporte, de même que mes biens les plus précieux.

Le voyage en train fut animé, car lorsque le train s’arrêtait, soit pour faire le plein d’eau et de charbon, soit pour laisser descendre certains compagnons immigrants à des gares aux noms étranges, nous perdions souvent des passagers, qui étaient partis se balader et n’étaient pas de retour au moment où le train repartait après quelques coups de cloche et de sifflet. Le personnel du train devait être étonné du comportement fantasque d’un si grand nombre de passagers de ce train en plus d’être ennuyé par les retards. De plus, la chaleur estivale transformait le train en incubateur ambulant et plusieurs cas de varicelle se déclarèrent à bord, nécessitant des mises en quarantaine.

Le train fut séparé en une section familiale et un wagon pour célibataires à l’avant où nous, c’est à dire quinze jeunes hommes célibataires, ouvririons les fenêtres à bordure de cuir pour laisser entrer un peu d’air frais et des quantités de suie qui nous transformèrent en tableau d’horreur à l’arrivée à la gare du CN de Vancouver avec le reste des 120 «Néerlandais ». Comme les célibataires avaient été confinés à leur antique wagon de passagers, nous avions dû ces six derniers jours demeurer assis sur des banquettes en lattes de bois de style voiture-coach, de sorte qu’à notre descente du train, on pouvait reconnaître les jeunes hommes célibataires aux marques de lattes sur le dos et le postérieur des vêtements. De fait, même plusieurs jours après, je sentais encore les marques de lattes sur ma peau. Je me suis souvent demandé ce qu’il était advenu de mes amis célibataires et des autres passagers après qu’ils se furent dispersés dans l’avenue de la gare de Vancouver.