Lina Douwasma

Enfants

22 janvier 1952 – Zuiderkruis

En ce 22 janvier 1952, après un adieu éploré à nos amis et voisins d'Ens, notre ville natale aux Pays-Bas, notre famille – composée de mon père, de ma mère et de leurs quatre enfants alors âgés de trois à dix ans – s'entassa dans une voiture de location pour se rendre à Rotterdam. C'est là que nous allions monter à bord du bateau qui allait nous mener dans notre nouveau pays, le Canada. Dans ces années suivant la Deuxième Guerre mondiale, cela signifiait d'aller vivre sur la terre de nos libérateurs, sur une terre de promesse et d'abondance. Même les plus jeunes enfants en avaient conscience !

Pour un enfant de dix ans qui n'avait jamais vraiment voyagé, la première partie du voyage – la conduite à travers les Pays-Bas – semblait déjà longue. En réalité, les Pays-Bas sont un petit pays et nous sommes arrivés sur les quais de Rotterdam le matin même. Sur place, on nous apprit que, en raison d'une erreur administrative, mon petit frère Fred ne se trouvait pas sur la liste des passagers et que nous devions attendre avant de procéder à l'embarquement. Lorsque le problème fut finalement résolu, on nous pressa dans la procédure en nous prenant rapidement en photo (voir l'image ci-jointe) avant de nous faire monter sur la passerelle qui allait nous mener à bord de cet énorme navire, le Zuiderkruis.

Les premiers jours à bord furent des plus amusants ! Nous montions et descendions les escaliers, jouions à cache-cache dans les coins et recoins avec les autres enfants immigrants et nous faisions de nouveaux amis. Nous étions surpris de voir tant de nourriture si délicieuse sur les tables (en particulier tous ces fruits, tels que les oranges et les bananes). Dans les années qui suivirent la guerre, les Pays-Bas étaient encore en reconstruction; la nourriture était chère et les tickets de rationnement seraient encore utilisés pendant un certain nombre d'années pour acheter nourriture et autres biens indispensables. Ma sœur et moi portions des robes et mes frères, des shorts et des chandails, tous tricotés à la main. Les mains de ma mère n'ont jamais pris de pause ! Sur la photo ci-jointe, on peut voir que les jeunes enfants portent tous des vêtements fabriqués à partir de vêtements d'extérieur ayant appartenu à des adultes. Je me souviens que j'étais très fière, car je portais un tout nouveau manteau acheté en magasin – je devenais trop grande pour porter un modèle fabriqué à partir de vieux vêtements.

Nous adorions voir les films présentés dans la salle de cinéma du navire qui, tous les dimanches, se transformait en église. Cependant, alors que nous progressions dans l'Atlantique, le voyage nous parut soudainement un peu moins agréable. Une violente tempête se leva et la plupart d'entre nous eurent le mal de mer. Ceux qui ne l'avaient pas aidaient les stewards débordés qui devaient s'occuper des jeunes enfants dont les mères étaient malades. En ce qui me concerne, j'avais pris la décision de ne pas être malade. Je me souviens toutefois qu'un matin, ne pouvant supporter de voir de la nourriture, je ne me rendis pas à la salle à manger pour le petit déjeuner. L'un des stewards moluquois qui aimait bien parler avec moi, demanda à mon père où j'étais. Il lui répondit que j'étais malade et le steward donna gentiment à mon père un œuf de la table pour moi. C'était très aimable de sa part, mais la dernière chose que je voulais manger était bien un œuf ! Nous logions dans la première cabine à l'avant du navire. Un jour, regardant par le hublot, je vis une énorme montagne verte. « Mais quelle est donc cette montagne au loin ? » pensais-je. Je me mis alors à paniquer, convaincue que nous allions entrer en collision avec celle-ci ! Puis, soudainement, la montagne se déplaça et je réalisai qu'il s'agissait en fait d'une énorme vague ! Je me rendis ensuite dans le salon, là où il n'y avait aucun hublot. Le problème fut résolu !

Comme mon père l'écrivit plus tard dans ses mémoires, après neuf jours sur une mer agitée et turbulente, on entendit enfin quelqu'un s'écrier « Terre! Terre en vue! ». Nous ne nous précipitâmes sur le pont que pour être déçus; la terre n'était qu'une fine ligne grise à l'horizon et ne semblait pas du tout vouloir se rapprocher. Je retournai donc jouer avec les autres enfants. Mais en soirée, on put enfin voir les maisons de Halifax construites sur les collines. Pour nous qui venions d'un pays très plat, il s'agissait d'un spectacle inhabituel, mais plutôt accueillant.

Je me souviens avoir marché depuis le navire jusqu'à une grande salle où mon père dut répondre à quelques questions. Puis, en compagnie de ma mère, il alla acheter de la nourriture pour le voyage en train jusqu'en Ontario. Ils avaient calculé qu'il nous serait plus économique d'acheter la nourriture d'avance plutôt que sur le train. Ma mère, ne se sentant pas suffisamment confiante en anglais, avait préféré que mon père l'accompagne. Étant l'aînée, je devais m'occuper de mes frères et sœurs, ainsi que des bagages ! Alors que je tentais de calmer les pleurs de ma petite sœur de trois ans, mon frère Bill, âgé de sept ans, disparut soudainement ! Mon sang ne fit qu'un tour en pensant à ce qui avait bien pu lui arriver. Je n'osais pas laisser mes jeunes frères et sœurs le chercher, pas plus que je n'osais demander aux étrangers autour de moi de m'aider. Lorsque je réunis suffisamment de courage pour demander à quelqu'un, je réalisai que je ne parlais pas du tout leur langue ! Heureusement, je perçus bientôt le sourire espiègle de Bill derrière un grand pilier qui pointait en direction d'une autre pièce, là où se trouvaient mes parents qui faisaient leurs achats... Ils étaient juste à côté !

Nous avons adoré le goût du pain blanc canadien coupé en tranches. Il avait, pour nous, un goût de gâteau et cela n'était que la première des nombreuses surprises qui nous attendaient. Le soir même, je montai avec ma famille à bord du train qui allait nous mener, après un voyage de deux jours, à Toronto. Le lit, que l'on constituait à partir de deux sièges de train, était quelque chose de fascinant pour nous ! Nous avons vite découvert, cependant, qu'il n'était pas du tout confortable pour quatre enfants qui y dorment en même temps. Mais mon père et ma mère avaient besoin de l'autre siège pour s'asseoir. Malgré la dureté du lit, la nuit fut bonne et je me réveillai le lendemain matin avec la vue de ma mère soufflant sur la fenêtre gelée afin d'en nettoyer une partie et voir au travers. Traversant le Québec au début du mois de février, il nous était impossible de voir quoi que ce soit à l'extérieur et je ne me souviens que de m'être retrouvée à la gare de Hamilton (laquelle est, maintenant, également considérée comme un bâtiment historique). Là, les dames de l'Imperial Daughter of Empire nous servirent un verre de lait et autant de petits biscuits que nous pouvions en manger ! Après un certain temps, des Hollandais que nous ne connaissions pas passèrent nous prendre (ils étaient arrivés au Canada quelque temps avant nous). Ils nous trouvèrent un endroit où rester en compagnie d'autres immigrants en attendant que mon père trouve du travail et la maison que nous allions habiter : une petite maison avec trois chambres à Burlington, en Ontario. Bien sûr, les premières années furent difficiles. Nous n'étions pas habitués au froid, à la langue et aux coutumes de notre nouveau pays. Nous avons connu des jours de dur labeur sous le soleil brûlant de l'été, des jours de chômage pendant l'hiver et des jours d'anxiété lorsque notre mère dut subir une opération sérieuse, un an tout juste après notre arrivée. Mais nous y sommes parvenus ! Grâce au travail acharné de mes parents, à leur ingéniosité, à leur persévérance et à notre foi en Dieu, nous ne nous sommes jamais sentis démunis. Et grâce aussi à la gentillesse de nos voisins canadiens qui nous ont aidés au cours des premières années, les plus difficiles. Nous avons toujours senti que nous avions vraiment notre place ici.