Familles
21 septembre 1952 – Groote Beer
En 1952, mon mari Johannes C. Kreeft et moi avons quitté la Hollande avec nos trois petits enfants, Jacomina Susanna, Gerard Jan et Willem (âgés respectivement de 5, 4 et 3 ans). Nous avons voyagé à bord du Groote Beer, quittant le quai le 21 septembre 1952 pour arriver à Halifax 9 jours plus tard, le 30 septembre. Ineke célébrait alors son sixième anniversaire. Le dernier matin du voyage, tout le monde s'était levé tôt pour voir la terre s'approcher. Nous devions arriver à six heures, mais il semblerait que nous ayons pris un certain retard, car nous nous rappelons avoir pris le repas du midi sur le bateau ce jour-là. La première chose que nous avons remarquée est la différence dans la manière de manipuler la cargaison dans le port; à Rotterdam, on utilisait les grandes grues et les palans, mais ici, à Halifax, on utilisait plutôt des cordes, des poulies et des hommes pour déplacer la cargaison. Le fait de quitter la Hollande nous avait remplis de sentiments mitigés. Avec les conditions de surpeuplement et la nécessité de reconstruire après la guerre, il était devenu difficile de progresser. Le Canada semblait offrir plus de possibilités, un avenir meilleur et nous remplissait de l'optimisme dont nous avions besoin. Cependant, quitter des êtres chers, notre patrie et ce qui nous était familier nous remplissait également de tristesse.
Nos souvenirs de la traversée ne sont pas tous agréables. Notre navire était un ancien bateau de l'armée qui était autrefois utilisé pour transporter des soldats. Ce n'était en rien un bateau de croisière de luxe. Nous nous souvenons qu'on y séparait les familles, les femmes et les enfants d'un côté du navire, les hommes et les jeunes garçons de l'autre. Je partageais une cabine avec une autre femme et son enfant, mon mari partageait, quant à lui, une cabine avec 5 autres hommes. Nous nous souvenons que nous devions faire la queue pour tout : les toilettes, le service de blanchisserie et même pour obtenir du café. La nourriture sur le bateau était plutôt bonne.
Dès que nous avons approché les eaux libres, nous avons commencé à avoir le mal de mer. La femme qui était avec moi dans la cabine était si malade que j'ai dû prendre soin de son petit enfant en plus des miens. Bon nombre de passagers ont été malades. Les enfants ne semblaient pas affectés de la même manière que les adultes; ils avaient une grande salle de jeux avec une panoplie de jouets, de livres à colorier et de crayons. C'est aussi là qu'ils prenaient leur repas. Souvent, nous emmenions les enfants sur le pont pour observer les poissons ou pour simplement leur donner une pause du vacarme de la salle de jeux toujours bondée. Chaque soir, nous avions droit à un service religieux. Nos garçons aidaient le pasteur à placer les recueils de chansons sur les chaises. Le prêtre et le pasteur partageaient une même cabine, mais un soir, ils sont tous deux tombés malades. On a alors cru que Dieu ne voulait pas qu'ils fassent de sermon ce soir-là. Un jour, nous avons dû faire un exercice et apprendre à utiliser les canots de sauvetage et ce qu'il fallait faire en cas de tempête. En fait, il ne s'agissait pas d'un exercice; un gros orage s'approchait rapidement de nous. Heureusement, nous n'avons finalement pas eu à utiliser les petits canots.
Après être passés par le service d'immigration, nous avons pris un train dans la soirée à destination de l'Alberta, où vivait notre beau-frère qui nous parrainait. Le voyage de train a duré cinq jours. Le train était très sale et il y faisait très froid. Entre chaque voiture se trouvait un poêle ventru. Certains passagers ramassaient du bois autour des gares afin d'alimenter le feu. Nous avions donc un peu de chaleur et parfois de l'eau chaude pour se faire du café. Dans les gares, mon père allait au magasin acheter du pain, des confitures et des boissons pour toute la famille. Mais nous devions faire attention à nos dépenses, ayant quitté la Hollande avec seulement 200 dollars. Heureusement, le gouvernement nous avait fourni une aide financière pour nous rendre au Canada.
Nous sommes arrivés à Medicine Hat un jeudi. Notre beau-frère et sa sœur, Ernie et Elsie Van Oostenbrugge, nous attendaient à la gare. Ils nous ont emmenés dans un café pour le petit déjeuner et nous ont ensuite conduits en voiture jusqu'à leur ferme de Burdett (à une heure de route). Le lundi, John a commencé à travailler pour Raymond Clark, un fermier local qui était aussi propriétaire d'une entreprise de matériel agricole et d'une scierie. John gagnait alors 135 dollars par mois et nous devions payer 75 dollars par mois pour le logement et les repas. Après un an, nous sommes devenus locataires d'une maison dans le village et quelques années plus tard, nous avons acheté notre propre maison. Notre famille est passée de trois à cinq enfants. Nous avons poursuivi notre collaboration avec Raymond qui a par la suite donné la responsabilité à John d'assurer la tenue des comptes de son entreprise, tout en nous encourageant à démarrer la nôtre en tant que comptable, agent d'assurance et agent immobilier. John a également été l'administrateur du village pendant plusieurs années, ce qu'il a continué à faire une fois que nous avons vendu l'entreprise. Nous sommes déménagés à Lethbridge après la retraite. Nous n'avons jamais regretté notre expérience d'immigration et sommes reconnaissants pour les opportunités qui nous ont été offertes, à nous ainsi qu'à nos enfants, par notre nouveau pays.