Enfants
1er août 1953 - Waterman
Mes parents, ma sœur (alors âgée de quatre ans) et moi (âgé de dix ans) avions quitté la Hollande le 24 juillet 1953 pour arriver à Halifax le 1er août. Pour ma mère, ce voyage ne fut pas l'un des plus grands moments de sa vie. La Hollande avait subi une importante inondation cette année-là et mes parents avaient d’abord voulu aller en Australie. En raison des limites et des quotas, cela ne nous fut pas permis; ils optèrent donc pour une vie meilleure au Canada.
Ma mère a passé la plus grande partie du voyage sur une couchette, souffrant de mal de mer; elle qui, déjà, n’aimait pas vraiment l'eau, était loin d’être des plus heureuse. Nous étions trop jeunes à l'époque pour comprendre ce qu'elle vivait. Le navire étant un cargo converti, il nous fallait passer par la cuisine pour nous rendre à la salle de spectacle. Il s’agissait d’une expérience très excitante pour nous qui étions des enfants, mais comme notre chambre était près de la cuisine, les odeurs qui s’en dégageaient n'ont rien fait pour aider ma mère et son mal de mer. Je me souviens de l'équipage fort sympathique qui tentait de nous tenir occupés. Nous devions parfois partager notre cabine avec d'autres familles pendant que mon père logeait dans une autre cabine. Mon père était habitué à la vie de bateau, ayant commencé à naviguer en mer à partir de 16 ans; mais ce n’était pas notre cas. Lorsqu’on annonça que la terre et le port de Halifax étaient en vue, tous furent très excités. Nous avions connu, pour la majeure partie du voyage, de mauvaises conditions météorologiques; nous étions donc excités et heureux de pouvoir enfin atteindre notre destination.
Je me souviens n’avoir rien vu d’autre que des arbres, du brouillard et un grand bâtiment près duquel le navire fut attaché; il s’agissait du Quai 21, où l’on nous faisait entrer en troupeau dans les douanes et dans des salles si nous ne disposions pas déjà d’hébergement ou d’endroit où aller au Canada. Nous n'étions pas habitués aux repas de ce pays, ni à vivre dans un bâtiment ayant des barreaux aux fenêtres. Ma pauvre mère était tellement bouleversée qu'elle fit une dépression nerveuse et dut recevoir de l'aide médicale. Je me souviens m’être tenu debout dans le couloir en regardant dans la chambre où ma mère criait et pleurait, avant qu’elle ne soit mise sous sédation. Je comprenais un peu ce qui se passait, mais ma petite sœur, pas du tout. Ils eurent la gentillesse de nous donner un endroit ne comportant des lits que pour notre famille, ainsi que de l'aide pour ma mère. Des années plus tard, j'ai appris que nous aurions pu être renvoyés en Hollande à ce moment-là.
Nous étions venus dans ce pays car le Canada avait besoin d'ingénieurs; on nous avait dit que nous aurions une maison et mon père, un emploi. Eh bien, ce ne fut pas le cas. Mon père était le seul à parler un peu l’anglais et se mit donc à la recherche d'un emploi. Il en dénicha un aux chantiers navals de Halifax, ainsi qu’un endroit où nous loger à Port Wallis, dans la semaine suivant notre arrivée. Nous nous fîmes alors expédier certaines choses dans une grande caisse, mon père put nous construire des lits à partir de bois de charpente et les gens ont eu la gentillesse de nous donner un réfrigérateur, chose que nous n'avions jamais eue en Hollande (les magasins n’étant jamais loin de chez soi dans ce pays, les réfrigérateurs étaient une chose peu communément achetée à cette époque).
J'ai commencé l'école en septembre cette année-là et on m’a fait passer un test afin de déterminer dans quelle classe me placer. Je fus rétrogradé de deux ans en raison de la langue, même si en mathématiques, j'étais très en avance sur la classe. La vie à l'école était difficile; je ne comprenais pas la langue et les autres enfants se moquaient de moi. J'ai pleuré chaque soir en rentrant de l'école, pendant plus d'un mois. Une généreuse enseignante m'apprit l'anglais en me faisant venir à son bureau, commençant par les livres de base. C’était plus facile pour nous, les enfants, car nous apprenions des autres enfants en jouant dehors avec eux. Mais ce ne fut pas aussi facile pour ma mère. Mon père travaillait toute la journée, ma mère était donc seule à la maison en compagnie de ma petite sœur. Je lui ai souvent demandé pourquoi nous avions quitté nos familles, mais ma mère n’aimait pas trop parler de ce sujet et comme nous savions que cela pouvait la bouleverser, nous n’insistions pas.
Mon père est maintenant décédé et ma mère est dans une maison de soins, incapable de parler en raison d'un accident vasculaire cérébral. Ma sœur vit à Toronto et mes deux frères – qui ont été adoptés ici, au Canada – vivent à Dartmouth. Je suis retourné en Hollande plusieurs fois et suis chaque fois triste de quitter à nouveau ma famille là-bas; mais nous avons nos familles ici au Canada et la Hollande n'est plus loin comme elle l’était. Le Canada a été bon pour nous, mais rien ne peut jamais remplacer sa patrie d'origine. Nous finissons tous par devenir de vrais citoyens canadiens; j'ai même servi dans les Forces armées canadiennes pendant un certain temps.