Maria Rosaria Pagano

Je suis venue au Canada en novembre 1961 avec mon fils, Luigi Antonio Pagano, et ma fille, Maria Grazia Pagano. Mon fils avait sept ans et ma fille en avait douze. Nous sommes venus rejoindre mon mari, Antonio, qui avait immigré au Canada en 1958.

Nous sommes partis d'Italie, d'une petite ville appelée San Pietro Infine, dans la région de Campanie. Nous sommes arrivés à bord d’un bateau appelé le Saturnia sur lequel nous sommes montés à Naples. J'avais trente-sept ans à l'époque et je me souviens que j’étais à la fois tout excitée d'aller rejoindre mon mari que je n'avais pas vu depuis plus de trois ans, et toute triste de quitter mes amis et ma famille. De Naples nous nous sommes rendus en Sicile pour aller chercher encore plus de passagers, et je me souviens aussi d’avoir fait escale à Gibraltar et à Lisbonne. Nous sommes arrivés à Gibraltar durant la nuit, et à Lisbonne durant la journée. Nous sommes débarqués du navire pour une courte durée à Lisbonne. Je me souviens que le bateau était très grand et qu’il comportait une grande salle à manger, un théâtre et même une chapelle. Quelques jours après avoir quitté Lisbonne, nous avons été frappés par quelques orages en mer. Je me souviens que presque tout le monde sur le bateau semblait être atteint du mal de mer. Ma fille et moi avons passé beaucoup de temps au lit, malades, jusqu'à notre arrivée à Halifax. Mon fils semblait être immunisé contre le mal des transports et souhaitait explorer tout le navire. Comme j’étais malade, il m’était très difficile de garder un œil sur lui. Heureusement, il y avait un garçon plus âgé de ma ville natale qui était aussi sur le bateau. Lui, sa mère et ses sœurs s’en allaient à Montréal pour rejoindre son père. Je l'ai donc chargé de s'occuper de mon fils et ils s’amusèrent ensemble partout sur le bateau – autrement, je n’aurais jamais laissé mon fils quitter notre cabine seul. Notre cabine se trouvait sous le niveau de la mer et loin de la coque extérieure du navire, nous n'avions donc aucune fenêtre pour regarder dehors. Nous partagions la cabine avec une vieille dame originaire de la même ville que moi qui immigrait à Montréal pour retrouver ses enfants.

À notre arrivée à Halifax, nous étions tous très contents de descendre du bateau. Le voyage a duré onze jours, je crois. Après être descendus du navire à Halifax, on nous a conduits au Quai 21. Je me souviens qu'il y avait beaucoup de valises, de malles et d’autres bagages dans l'entrepôt. Il nous a fallu trouver nos bagages, puis appeler un agent des douanes pour qu’il en fasse la vérification et qu’il les marque afin d’indiquer qu’ils avaient bien été contrôlés par les douanes. J'avais mis un sac de haricots dans une de mes malles. Je me souviens avoir vu des haricots sur le sol autour de mes bagages qui ressemblaient drôlement aux haricots que j'avais mis dans ma malle. Et en effet, en trouvant ma malle, j’ai réalisé qu'elle avait été endommagée et que mes haricots s’étaient répandus un peu partout. Je me souviens que les gens se demandaient : « D’où viennent donc tous ces haricots? » Une fois nos bagages vérifiés par les douanes, nous sommes passés par le bureau des douanes où l’on nous dit de nous rendre à la gare. Je me souviens qu'il y avait une longue table dans l’entrepôt sur laquelle se trouvait tout plein d’articles que les nouveaux immigrants n’étaient pas censés apporter au Canada, tels que des jambons, des saucisses, du fromage, de la charcuterie et des bouteilles d'alcool. Nous ne parlions pas anglais et les agents des douanes ne parlaient pas italien, mais ils étaient très serviables. Ils nous ont fait sentir les bienvenus et se sont assurés que nous montions sur le bon train. Un des hommes voyageant avec nous sur le bateau n'arrêtait pas de nous dire qu'il apportait un bon prosciutto qu'il avait préparé lui-même et qu’il avait très hâte de le manger avec sa famille une fois arrivé à Toronto. Bien sûr, on lui confisqua aux douanes à Halifax et je me souviens qu’on l’a quelque peu taquiné à ce sujet.

Maria Grazia, Maria Rosaria et Luigi Antonio Pagano.
Maria Grazia, Maria Rosaria et Luigi Antonio Pagano.
Crédit : Musée canadien de l’immigration du Quai 21 [DI2013.1420.4[.

Je suis allé au magasin de la gare pour acheter du pain et de la mortadelle dans le but de nous préparer des sandwichs. Mon fils et ma fille ont trouvé le pain et la mortadelle si sucrés qu'ils ont refusé d’en manger. C'était la première fois que nous mangions du pain et de la viande transformés au Canada. Comme ils n’allaient pas manger mes sandwichs, une fois à bord du train, je les ai emmenés dans la voiture-restaurant où nous avons commandé un plat de spaghetti chacun. Encore une fois, ils ont trouvé cela si sucré qu'ils ont refusé d’en manger. J’ai commencé à m’inquiéter qu'ils tombent malades s'ils ne mangeaient pas. Heureusement, j'avais quelques biscuits que j'avais faits moi-même avant de quitter l'Italie et qu’ils ont dévorés jusqu'à notre arrivée à Toronto. Notre train faisait le lien entre Halifax et Montréal, et une fois à Montréal, nous avons changé de train pour nous rendre à Toronto. Durant le trajet, nous avons vu beaucoup de neige. Par endroits, il y avait vraiment beaucoup de neige et il faisait très froid. Plutôt habitués à un climat doux, les vêtements d'hiver que nous avions apportés n'allaient certainement pas suffire à nous tenir au chaud. Regardant toujours par la fenêtre, je me suis dit : « Mais où sommes-nous, en Sibérie ? ».

Quand nous sommes arrivés à Montréal, mon cousin Guido Fuoco et son épouse Madalena nous ont accueillis à la gare. Ils sont restés avec nous et nous avons discuté ensemble jusqu'au départ de notre train pour Toronto. Nous sommes arrivés à la gare Union de Toronto dans la soirée. Je me souviens qu'il faisait froid et que mon mari, ma belle-sœur, mon beau-frère, Dolorosa (la sœur de mon mari), et son mari, Federico Masella, étaient venus nous chercher à la gare. Comme mon mari était parti quand mon fils n’avait que 3 ans, mon fils n'avait aucun souvenir de lui et l’ignorait. Je crois que mon mari a été un peu déçu de cela. Ma fille, au contraire, se souvenait de son père et courut pour le serrer dans ses bras et lui faire la bise.

Dans l'ensemble, le voyage a été une épreuve passionnante. Nous étions heureux d'être arrivés dans notre nouvelle demeure. Je ne pense pas que nous avions prévu passer le reste de nos vies au Canada. Comme beaucoup d'immigrants à l'époque, notre plan consistait à aller faire un peu d'argent, puis de rentrer à la maison. Je suppose que nous nous sommes tous habitués au Canada et avons décidé de ne pas revenir dans nos terres natales. Nous avons finalement acheté une maison et une voiture, et avons voyagé à notre retraite. Nous avons appris que le Canada était bondé d’opportunités pour quiconque est prêt à travailler.

Bien que 37 années se soient déjà écoulées depuis mon arrivée au Quai 21, je n'ai toujours pas oublié le jour où nous y sommes débarqués. Je ne suis jamais retournée à Halifax, mais j'ai été heureuse d'apprendre que le Quai 21 allait devenir un monument national en l’honneur de ceux qui sont arrivés au Canada par le Quai 21. C'est une merveilleuse façon de commémorer tous ceux qui sont partis à l’aventure pour trouver une vie meilleure au Canada.