Cesidio Mariani

6 juin, 1955

J’ai quitté une petite ville d’Italie centrale pour venir au Canada. Je suis arrivé le 12 juin 1955 à bord du Queen Frederica. J'ai suivi mon père, qui était venu au Canada en 1952 en raison des mauvaises conditions économiques en Italie. Le voyage a été pour moi très spectaculaire. Le jour où je suis monté sur le bateau, le 4 juin 1955, était un jour bien triste. Ma mère et une de mes tantes nous avaient accompagnés, ma sœur aînée Maria et moi, jusqu’à Naples. On nous avait dit que nous pouvions monter nos bagages à bord et qu’il nous serait possible de débarquer du navire jusqu'au moment du départ. Cependant, lorsque nous avons tenté de descendre du navire, l'officier à bord ne nous l’a pas autorisé, pas plus que celui sur la rive n’autorisait ma mère à monter à bord pour nous parler. Je n'ai donc pas pu dire au revoir à ma mère qui se trouvait derrière avec ma sœur cadette, Louisa. J'entends encore ma mère crier mon nom. J'ai pleuré en agitant mon mouchoir bleu jusqu'à ce que ma mère ne soit plus visible.

Le voyage a été relativement agréable durant les deux premiers jours en mer. On pouvait profiter de bonne nourriture, de jeux et de films. Par la suite, j'ai eu le mal de mer et je ne suis pas sorti de ma cabine, que je partageais avec deux vieillards, pendant plusieurs jours. J'ai à peine mangé durant le reste du voyage.

J'ai quitté mon pays natal le cœur rempli de sentiments contradictoires. D'un côté, j'étais triste parce que je laissais derrière ma mère et ma sœur cadette. De l’autre, j'avais très hâte de retrouver mon père après plus de trois ans.

Au moment de mon arrivée au Canada, j'avais 13 ans. Après le débarquement, nous avons été amenés au Quai 21. Je me souviens de la salle de réception comme un lieu de chaos organisé. Les gens étaient debout à côté de leurs bagages, attendant les douaniers pour le dédouanement des biens qu'ils avaient apportés. Ma sœur et moi n’avons eu aucun problème. Cependant, je me souviens avoir vu les douaniers confisquer de la viande et des bouteilles d'alcool, et même fracasser des bouteilles sur le sol. C'était un endroit très animé.

Quand nous sommes descendus du bateau, nous étions épuisés de notre voyage de huit jours – et n’avions pas mangé suffisamment les derniers jours en raison du mal de mer. Les choses n’allaient pas s'améliorer. L’une des pires choses dont je me souvienne est la nouvelle nourriture; d'abord le pain, puis les macaronis. La deuxième pire chose a été le voyage en train d’Halifax à Montréal. Le train n'était pas aussi confortable que celui que l’on trouve actuellement à l'extérieur du Quai 21. Il n'était pas fait pour le transport de personnes, surtout sur une telle distance. Les sièges étaient faits de bois massif et le soir on les ouvrait (le dossier se couchait pour doubler la surface du siège) pour les utiliser comme lits. Nous n'avions pas de couvertures, mais, même si c'était la mi-juin, je me rappelle toujours de la fraîcheur de ma première nuit au Canada. Le train s'arrêtait à chaque petit village que nous rencontrions, même si personne ne montait ou ne descendait. Le train était tiré par une locomotive à vapeur (par combustion du charbon). Lorsque nous sommes arrivés à Montréal, mes vêtements étaient tout noirs. Inutile de dire de quelle couleur était l'eau de mon bain le lendemain matin. Je me suis senti désolé pour certains de mes nouveaux amis qui devaient se rendre à Toronto ! Pour en revenir à la nourriture, même si je n'avais pas mangé de bon repas depuis des jours et que j'avais très faim, je ne pouvais pas avaler le pain en tranches blanc comme du marbre que nous avions acheté à Halifax. Cette expérience est encore très présente à ma mémoire. Plus tard, dans le train, nous nous sommes rendus dans la voiture-restaurant où j'ai commandé du macaroni. Cela s’est également avéré être une mauvaise expérience. Ça n’avait rien à voir avec tout ce que j'avais pu manger auparavant dans ma vie. Je me suis efforcé d’avaler quelques cuillerées de macaronis, mais ça n’a pas duré longtemps. J'allais devoir supporter la faim une journée de plus. Nous sommes finalement arrivés à Montréal au cours de la soirée du 13 juin. Je me suis assuré de ne pas emporter avec moi le pain et le poisson que j'avais achetés à Halifax; je les ai déposés sur une marche de la station de train.

J’étais très heureux d’être enfin arrivé et de revoir mon père. Il était là à nous attendre, ma sœur Maria et moi, en compagnie de mon oncle. Ils nous ont emmenés à la maison où nous allions vivre pendant quelques mois. J'ai été très surpris par l’accueil que mon père nous avait réservé; il y avait plusieurs personnes, beaucoup de bonne nourriture et un orchestre de trois musiciens !

Cet été-là m’a paru très long. Il est très difficile de se faire de nouveaux amis quand on ne parle pas la langue locale. J'ai fini par rencontrer le fils d'un ami de mon père qui était arrivé quelques mois avant moi et nous sommes devenus de bons amis (nous sommes toujours amis aujourd'hui). Avec le mois de septembre arriva une autre mauvaise expérience : l'école. Quand je suis arrivé au Canada, je ne savais pas un mot d’anglais. Pendant des mois, qui m’ont semblé une éternité, j'étais en classe sans rien comprendre. Le seul ami que je m’étais fait durant l'été s’en allait dans une autre école. Il n'y avait personne dans mon école qui pouvait m'aider et mon père ne comprenait que quelques mots anglais. J'étais démoralisé et déprimé. Finalement, mon père a demandé à une jeune fille d'origine italienne de me donner des petites leçons d'anglais, une fois ou deux par semaine. Quelques semaines plus tard, les choses allaient beaucoup mieux et j'aimais beaucoup l'école. Puis, je suis allé à l'université et j'ai par la suite obtenu un titre professionnel comptable, ce qui m'a permis d’occuper plusieurs postes intéressants et gratifiants.

Je suis retourné en Italie à plusieurs reprises. Ma femme et mes trois enfants y sont également allés et nous avons tous bien aimé nos séjours là-bas. J'aime toujours l'Italie et je trouve que c’est un beau pays à visiter… mais le Canada est maintenant mon pays.