Marie Ori Burns

Femmes et hommes célibataires

Autant que je m'en souvienne, le nom du paquebot ayant accosté au port de Halifax le 17 janvier 1948 était le General Stuart Heintzelman. Il s'agissait d'un navire marchand qui avait quitté le port de Brême, en Allemagne, pour réaliser un voyage de onze jours, dont plusieurs furent fortement orageux. Ce fut, pour un marin novice comme moi, une expérience terriblement effrayante.

Je n'étais alors qu'une jeune immigrante de dix-huit ans, naviguant seule, laissant ma famille derrière dans la banlieue de Salzbourg, en Autriche. Nous avions enduré une vie de réfugiés (que l'on appelle personnes déplacées) de décembre 1944 à décembre 1947.

La traversée de l'Atlantique m'apporta d'abord trois jours misérables de mal de mer, jusqu'à ce que je réalise que la meilleure manière de me changer les idées était de demander à travailler dans la galerie du navire, où l'on m'attribua des fonctions toutes simples – distribuer les plateaux de nourriture aux passagers du navire, trois fois par jour.

Cela m'a fait « oublier » d'avoir le mal de mer. La nourriture était délicieuse et le personnel, principalement des Américains il me semble, était formidable.

Je fus très chanceuse d'être parmi les premières personnes déplacées à arriver dans ce merveilleux pays, libre et prospère, mon Canada bien-aimé. Être ici me donnait l'impression d'être tout près du paradis.

Comme j'avais une certaine connaissance de l'anglais, on m'envoya à Brockville, en Ontario, pour être aide-soignante à l'Ontario Hospital pour malades mentaux.

Le jour de notre arrivée à Halifax, le temps était froid et pluvieux. Comme nous avions pris le train, le voyage jusqu'en Ontario nous parut interminable.

Ma première expérience à l'Ontario Hospital fut effrayante; je n'avais aucune formation préalable, pas même en psychologie, et je n’avais jamais été en contact avec des malades mentaux.

Mais j'étais bien déterminée à une chose : atteindre un niveau d'anglais parlé le plus près de la perfection possible et perdre mon accent étranger. Il était trop tard pour ce dernier objectif, mais je sais aujourd'hui que mon accent n'est pas un obstacle et que, plutôt, il ajoute du caractère à mes propos.

Mon pays d'accueil n'aurait pas pu avoir été plus gentil ou plus généreux envers moi, et j'ai souvent remercié Dieu de l'avoir attribué à mon destin.

L'œuvre maîtresse de ma vie a été d'élever avec amour ma fille et mon fils, aidée de mon bon mari canadien, Robert Burns, de descendance écossaise-irlandaise. Les gens blaguent à son sujet en disant qu'il a un lien de parenté avec le célèbre poète écossais. Robert, soit dit en passant, m'écrit des poèmes de Noël.

Comme par miracle, un souhait que j'ai désiré voir se réaliser toute ma vie me fut accordé en 1984, alors que j'ai obtenu mon baccalauréat en littérature anglaise. Ma joie fut double ce jour-là, mon fils ayant reçu son baccalauréat en administration des affaires également à l'Université Bishop de Lennoxville, au Québec.

Je dis souvent à la blague que je marche sur les pas de ma fille, laquelle a également obtenu un diplôme dans la même discipline que moi.

Et pour ajouter à tout cela, The Record, le journal des Cantons de l'Est, publiait une rubrique mensuelle signée par votre humble serviteur, lui donnant ainsi un avant-goût du journalisme.

Voilà, en bref, l'histoire d'une ancienne réfugiée, devenue une citoyenne enthousiaste et patriotique après avoir obtenu sa citoyenneté à la première occasion.

Serait-il possible de vérifier le nom du navire à bord duquel j'ai navigué, et de me donner la nature de sa propriété ? Je disposais d'un livret souvenir fait à la main depuis des années, mais je l'ai malheureusement égaré.

Je suis grandement redevable envers Dieu et envers le Canada pour avoir eu le privilège d'être l'un des citoyens de ce pays.

Cordialement,

Marie Ori Burns

P.-S. J'ai oublié de mentionner que je suis née à Budapest, en Hongrie, et que j'y ai passé les quinze premières années de ma vie, jusqu'à ce que nous soyons évacués au printemps 1944. Nous étions bombardés par des avions soviétiques la nuit et par des bombardiers alliés le jour.