Irene Gadja

Familles d’avant 1956

Mon père parlait très peu de sa famille. Pour ma part, seuls quelques faits sont connus : il vivait dans un village de Hongrie, proche de la frontière roumaine, sa maison en était une de chaume avec une surface de terre comme plancher qu'il partageait avec ses six frères et sœurs. Il n’a jamais parlé de son père. Tout ce que je sais, c’est que sa mère était très sévère et très catholique.

Lorsqu'il avait neuf ans, il a entendu parler des Grands Lacs du Canada. Il était fasciné. Il a alors décidé que lorsqu’il serait grand, il irait au Canada pour voir ces grands lacs intérieurs. Il n’abandonna jamais ce rêve. Lorsqu'il avait 27 ans, qu’il était marié et père dune petite fille (moi), il a emprunté de l'argent de sa mère et est parti au Canada. Ses frères et sœurs pensaient qu'il était devenu fou ! Ma mère et moi sommes parties vivre chez sa mère. Il a quitté Anvers le 15 mars 1929 sur le S.S. Pennland. Winnipeg était sa destination ultime. À son arrivée, il recevrait 25 dollars du ministère de la Colonisation, de l'Agriculture et des Ressources naturelles. Il devrait travailler sur une ferme. Lorsque le train s'est arrêté à Montréal, il en est descendu et il disparut dans la foule. Il ne connaissait personne et parlait ni l’anglais ni le français. Il n'a jamais reçu la somme de 25 dollars. C'était au cours de la dépression et il a trouvé du travail à creuser des tranchées pour la compagnie de gaz. À la maison, il était tailleur. En un an et demi, il a été capable d'envoyer assez d’argent pour payer le voyage et le rejoindre. Maman et moi avons pris la mer au port de Brême sur le Stuttgart et nous sommes arrivées au Quai 21 le premier novembre 1930.

Mes parents ont travaillé très fort et ont connu des moments difficiles. Ils ont prospéré et vécu très confortablement durant leur vieillesse. Le reste de la famille est resté en Europe. Quand j'étais jeune, ça ne m’a jamais irritée de ne rien savoir au sujet de mes grands-parents. Aujourd’hui, je regrette vraiment ne pas avoir posé de questions sur la famille. Mes parents sont maintenant tous deux morts, il est donc trop tard. Je me questionne souvent sur leur jeunesse, leur vie et le village où ils ont grandi.