« Nous ne sommes pas les seuls à vouloir guérir. »
L’artiste en résidence du Musée, shalan joudry, est une artiste mi'kmaq pluridisciplinaire. Son travail en cours a été présenté au Musée le 19 avril 2024.
Nos lecteurs pourraient se demander si nous n’avons pas commis une erreur en ne mettant pas de majuscule à votre nom. Pourquoi écrivez-vous votre nom en minuscules?
Ne pas mettre de majuscule à mon nom a commencé lorsque j’avais 16 ans et que je lisais des poèmes d’écrivains du monde entier. J’ai remarqué que certains écrivains n’avaient pas besoin de mettre de majuscule à leur nom. Cela m’a fait réfléchir aux règles de grammaire que nous avons en anglais et aux cas où les gens sont autorisés à les ignorer. Je me suis demandé comment, dans notre langue mi'kmaq, qui est une langue orale, nous allions décider des règles de grammaire et de la signification réelle des majuscules. J’ai décidé que garder toutes les lettres minuscules donnait une impression de fluidité, qu’il n’y avait pas de mot plus important que le reste. Comme les cercles de partage que nous avons dans notre culture et que j’ai appris à connaître en participant au camp culturel Wolastoqey/Mi'kmaq quand j’étais jeune. Garder mon nom en minuscules me rappelle que je n’ai pas plus d’importance que les autres.
les tensions montont
du temps que le soleil se couche
j’nous trouvons drette au ras le bord
il faudrait point que j’nous oublions les uns les autres
dans le frette qui s’en vient
ej garderai la flambe tandis que tu pries pout la santé
et tu peux garder la flambe pour moi
et pis ej mettrons les deux flambes dans une maçoune
faite de nos grands-parents les roches de la terre ioù-ce qu’ej sons
- extrait du poème Kmɨtkinu, par shalan joudry, traduit en francais acadien par André Muise
Kmɨtkinu signifie « notre patrie » en langue mi'kmaq. De quoi le poème parle-t-il?
Le poème suit les couleurs du jour, au fil des saisons, autour d’un cercle de partage, le temps qu’il faut pour réfléchir, puis faire son deuil, puis s’éveiller les uns les autres, prendre soin les uns des autres. Il décrit un cercle de partage abstrait dans lequel je m’imagine, au sein de la famille, de la communauté et de toutes les personnes ici présentes. Je l’écris ainsi parce que je crois au pouvoir de la guérison et que je crois en des lendemains paisibles.
Quand l’avez-vous écrit?
Après la publication du rapport Vérité et Réconciliation du Canada en 2017, j’ai reçu de plus en plus d’appels téléphoniques et de courriels de personnes souhaitant me parler de ce qu’elles avaient appris, et cela a suscité cette réflexion. Je voulais réfléchir à la longue histoire des Mi'kmaq dans ce même paysage, et au fait que les années/générations de colonisation étaient courtes en comparaison. En accord avec d’autres, j’ai estimé que tout le monde, y compris les immigrants, devrait être informé des diverses vérités difficiles qui existent dans ce domaine. J’avais l’intention de le faire traduire dans d’autres langues, afin de représenter que je voulais que différents peuples m’entendent et me comprennent.
Vous avez également retravaillé le poème pour en faire un collage de sons en balado. Quel est votre intérêt à retravailler le matériel de différentes manières?
Chaque fois que je parle de l’intention du poème, cela me rappelle qu’il y a d’autres façons d’entrer en contact avec les gens pour partager mes sentiments sur la « patrie ». Nous pouvons le chanter, le danser et nous asseoir en cercle à son sujet. Lorsque j’ai voulu l’écrire pour la première fois, je savais que je voulais qu’il soit traduit en plusieurs langues, mais je voulais que chacun des traducteurs le lise avec sa propre voix. Une fois que j’y avais pensé, j’ai vraiment voulu que certaines parties de leurs lectures se mêlent aux miennes. Et quand on réunit des voix, je pense toujours au chant et au pouvoir de la musique. Après la création du balado, j’ai discuté avec Susanne Chui de Mocean Dance (sa tante était l’une des traductrices). Elle et moi disions que nous pouvions imaginer tout ce poème comme une pièce de danse. J’aime voir comment nous pouvons atteindre les gens en utilisant divers moyens de communication et élargir la conversation.
« Apprendre la vérité sur le passé colonial du Canada n’est pas seulement pour les personnes qui ont fait du Canada leur foyer depuis des générations, c’est aussi pour les nouveaux arrivants, qui doivent l’apprendre et qui feront partie de la guérison ensemble. »
La danse ne contient aucun texte. Comment transformer un texte en mouvement?
La création d’une chorégraphie basée sur ce poème est le fruit du travail et du talent de mes collaboratrices, Sarah Prosper, Susanne Chui et Sara Coffin, puis avec les artistes de la danse impliqués : Isaac Abriel, Robert Azevedo, I'thandi Munro, Sam Penner et NAT Chantel. Nous avons commencé en 2023 avec les principaux collaborateurs travaillant dans le Musée et virtuellement pour discuter des intentions du poème, en explorant les mouvements, les méthodologies de chorégraphie et en laissant du temps pour la rumination. En avril, nous avons passé la première semaine à nous ancrer dans la terre physique, à participer à une cérémonie, à former un cercle, à lire le poème et à passer du temps à discuter de l’histoire. Les chorégraphes et les danseurs se sont inspirés du texte tout en se déplaçant ensemble pendant deux semaines.
Ce projet implique beaucoup de traduction : la traduction dans différentes langues et la traduction de la langue en mouvement. La traduction est-elle un thème que vous abordez consciemment?
La séparation des personnes et comment nous communiquons mal ou ne nous comprenons pas, comment nous pensons et travaillons différemment ― cela m’a toujours inspiré beaucoup de curiosité. Ainsi, la traduction que nous employons pour communiquer différentes idées est un concept puissant. De cette manière, il ne s’agit pas tant de la traduction que de la question suivante : « Comment puis-je créer ce message d’une autre manière pour le rendre accessible à d’autres personnes? » Mon message sur ce paysage, son histoire et mon espoir pour l’avenir, c’est ce qui me porte dans les itérations suivantes.
Pourquoi le programme de résidence du Musée s’est-il avéré judicieux pour développer l’œuvre?
Apprendre la vérité sur le passé colonial du Canada n’est pas seulement pour les personnes qui ont fait du Canada leur foyer depuis des générations, c’est aussi pour les nouveaux arrivants, qui doivent l’apprendre et qui feront partie de la guérison ensemble. Cela m’a semblé évident lorsque j’ai travaillé avec les différents traducteurs. Je sais très bien que la plupart des cultures et des familles ont une « patrie » à propos de laquelle elles éprouvent des sentiments. De nombreux autres pays ont également des histoires sur un type de colonisation ou de lutte pour la patrie. Nous ne sommes pas les seuls à vouloir guérir. Tout ce dont je peux parler pour l’instant, c’est du travail effectué dans notre pays. Je veux mettre mes mains, mon esprit et mon cœur au service de l’épanouissement de notre culture L’nu et participer à la construction d’un avenir sain pour tous les habitants de Mi'kma'ki, y compris les nouveaux arrivants. La résidence du Musée m’intéressait non seulement parce qu’elle permet de toucher les nouveaux arrivants, mais aussi parce qu’elle fait réfléchir à la personne qui se tient ici, sur le quai, et qui dit : « Bonjour, bienvenue à Mi'kma'ki. »
Quels sont les plans futurs pour le projet?
Nous voulons continuer à travailler sur la pièce de danse au cours de l’année prochaine. Le poème complet, écrit en 13 langues, sera publié sous forme de livre imprimé à la main par Running the Goat Books and Broadsides dans le courant de l’année.
Les livres de poésie de shalan peuvent être commandés par l’entremise de Gaspereau Press.