« Il y avait une économie esclavagiste florissante sur nos rivages. »

Deux lourds anneaux de fer reliés par une lourde chaîne.

Des menottes comme cette reproduction, créée par un forgeron de Port Greville, en Nouvelle-Écosse, étaient utilisées sur les esclaves au Canada. De la part de Dr. Afua Cooper.

Entretien avec Russell Grosse, directeur général du Black Cultural Centre for Nova Scotia, sur la nouvelle exposition Une histoire révélée : L’esclavage des Noirs au Canada. L’exposition a été créée en collaboration avec la Dre Afua Cooper, conservatrice invitée, et en partenariat avec le Black Cultural Centre. Elle sera présentée au Musée du 1er août 2024 au 5 janvier 2025.

 

L’exposition raconte une histoire qui sera nouvelle pour certains et qui contredit certains de nos mythes nationaux. Qu’apprendront les visiteurs?

L’un des éléments clés de cette exposition est à quel point le commerce de l’esclavage était bien enraciné au Canada. Nous avons toujours pensé, en tant que Canadiens et Canadiennes, qu’il s’agissait plutôt du genre de chose que l’on retrouvait au sud de la frontière. Mais cela a en fait influencé le développement économique d’entreprises et d’organisations de grande envergure, toujours présentes aujourd’hui. Certains éléments importants de notre société ont joué un rôle dans cet horrible commerce qu’est l’esclavage.

Cette exposition fournit les preuves que la traite des esclaves a bel et bien existé au Canada et que des activités commerciales en ont découlé. Et c’était un moteur économique, pour être tout à fait honnête. Plusieurs générations plus tard, je peux dire qu’en tant que Canadienne noire, même si j’étais consciente de l’existence de l’esclavage dans notre pays, cette exposition a vraiment rendu la chose réelle pour moi. Il y avait une économie esclavagiste florissante sur nos rivages.

« ...la traite des esclaves a bel et bien existé au Canada...des activités commerciales en ont découlé »

L’exposition a présenté les biographies de plusieurs esclavagistes et personnes mises en esclavage. Y a-t-il une histoire en particulier qui vous a marqué?

L’une des histoires qui m’ont vraiment touchée est celle d’Olivier Le Jeune. Il est enregistré comme le premier esclave à atteindre les côtes du Canada, en 1629. Son voyage de Madagascar au Québec, le fait qu’il était un jeune garçon et que toute sa vie, il n’a connu que l’esclavage. Lorsqu’il est arrivé au Québec, on lui a donné un autre nom, et il a donc perdu son identité, sa famille et sa maison. C’est presque inimaginable. Vous êtes dans un endroit où vous n’avez aucun point de référence, vous n’êtes pas traité de la meilleure manière, évidemment, mais simplement l’aspect de l’identité, vous savez. Ça m’a vraiment fait réfléchir à l’effet du commerce de l’esclavage sur l’identité, un effet qui perdure encore aujourd’hui.

Qu’adviendra-t-il de l’exposition après sa présentation au Musée?

Elle visitera le Black Cultural Centre avant de parcourir le pays. Mais le Black Cultural Centre sera d’une importance vitale. Il répond à de nombreuses questions, non seulement pour l’ensemble de la communauté, mais aussi pour la communauté afro-néo-écossaise et la communauté noire canadienne. Au Black Cultural Centre, lorsque nous recevons des élèves de couleur, ils ont un peu honte lorsque nous commençons à parler de certaines choses, comme de l’esclavage. Pour de nombreuses personnes de couleur, il est difficile de parler de l’esclavage, car les gens ont tendance à croire qu’ils ne sont définis que par cela. Mais il faut qu’il y ait un point de référence, pour dire que nous reconnaissons que nous avons connu cette souffrance, que cela fait partie de notre patrimoine et de notre culture. Et que 400 ou 500 ans plus tard, le patrimoine de persévérance et de dépassement de l’adversité est très fort dans nos communautés.

Dans quelle mesure cette histoire est-elle connue des Néo-Écossais et Néo-Écossaises noirs et des Canadiens et Canadiennes noirs?

Je pense que les connaissances sont bien préservées. Si vous parlez aux anciens de la communauté, ils se souviennent de la marginalisation due à l’esclavage. Aujourd’hui, chez les jeunes générations, c’est quelque chose qui n’est pas bien enseigné dans nos écoles. Et en raison du traumatisme racial qui y est associé, elle n’est pas beaucoup transmise au sein des familles. La plupart du temps, il s’agit d’une histoire silencieuse au sein de la communauté. Une exposition comme celle-ci créera un espace de discussion.

Lorsque nous regardons la jeune génération, je ne pense pas qu’elle comprenne le contexte dans lequel l’esclavage a signifié la perte d’identité, la perte de contrôle de sa vie, le fait que chaque centimètre, chaque minute de sa vie était planifié et contrôlé par quelqu’un d’autre. Qu’il n’y avait pas de liberté.

J’espère qu’elle donnera lieu à de futures expositions et à d’autres recherches, car ce n’est qu’un début. Cette exposition sera, nous l’espérons, le point de départ d’une communauté qui ressentira le besoin de partager davantage et de chercheurs qui creuseront plus profondément et trouveront plus de cette histoire cachée, des parties n’ayant pas été partagées.

« La plupart du temps, il s’agit d’une histoire silencieuse au sein de la communauté. Une exposition comme celle-ci créera un espace de discussion. »

Que voudriez-vous que tous les élèves canadiens sachent sur l’histoire des Noirs dans ces pays?

La persévérance de la communauté. Le fait qu’une communauté ait connu cette horrible introduction à l’Empire britannique ou à la vie canadienne, et que ces communautés soient aujourd’hui prospères. Et que les communautés noires de tout le pays ont apporté des contributions majeures à la société et au tissu de notre pays. En particulier ici, en Nouvelle-Écosse, où les communautés ont 400 ans de patrimoine et d’histoire. Le fait que ces communautés prospèrent encore aujourd’hui est une histoire de victoire sur l’adversité. Aujourd’hui, nous pouvons regarder en arrière et dire que c’était un moment difficile de notre patrimoine, de notre histoire, mais ce n’est pas le moment de notre patrimoine ou de notre histoire qui nous a définis.

Avez-vous autre chose à ajouter?

Je pense que le fait que cette exposition majeure ait été organisée par le Musée canadien de l’immigration du Quai 21 est très avant-gardiste et témoigne d’un certain leadership. C’est un grand pas en avant. À l’époque, la seule façon pour les personnes de couleur « d’immigrer », pour ainsi dire, était par la pratique de l’esclavage. Il est donc formidable qu’un musée qui se concentre sur l’immigration soit en mesure d’expliquer pourquoi cette question est absente de l’histoire. Être le fer de lance d’une telle initiative permet non seulement de mieux comprendre ce qui se passait à l’époque, mais est également avant-gardiste dans la mesure où cela nous permet d’obtenir toute l’histoire.

On parle de faits. C’est l’aspect le plus important de cette exposition. C’est sans réserve.