Tyyne Johanna Saarinen

Mur d'honneur de Sobey

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4

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Tyyne Johanna Saarinen

Voici l’histoire de l’immigration de Tyyne Johanna Saarinen écrite par sa fille Mirja S. Bishop.

Tyyne Johanna Saarinen n’avait que 27 ans lorsqu’elle a pris le large vers le nouveau monde. Elle avait 25 $ en poche. Elle avait une petite malle avec tout ce qu’elle possédait : elle ne pouvait pas savoir si elle reviendrait un jour sur sa terre natale. Elle a dit au revoir à son père et à ses trois frères. Sa mère, sa sœur et quatre de ses frères étaient morts très jeunes pendant les ravages de la guerre civile, les conflits et la famine. Elle cherchait une vie nouvelle, une vie meilleure, une vie ouverte aux possibilités. C’était une femme moderne mais on était en 1929. Elle a quitté la Finlande pour le Canada avec son cousin pour seul compagnon, le cœur plein d’espoir et de courage. Elle a voyagé de Finlande jusqu’à Gothenburg en Suède, puis elle a embarqué sur le Gripsholm, comme il s’appelait à l’époque. Le T.M.S, ou Twinscrew Motor Ship, avait été construit en 1925. Il pesait 23 600 tonnes, faisait environ 574 pieds de long et transportait 1600 passagers et 330 membres d’équipage. Le navire était divisé entre la première, la deuxième classe et la classe touriste. Le voyage de Gothenburg à Halifax en Nouvelle-Écosse était de 2852 milles nautiques et durait sans doute plus d’une semaine. Les chambres en troisième classe étaient exiguës et beaucoup ont souffert de l’humiliation du mal de mer. Le 15 septembre 1929, le navire est arrivé à Halifax. C’est là que Maman a posé pour la première fois le pied sur le sol canadien. Les gens du Quai 21 lui ont tendu les bras et ont accueillis ceux qui débarquaient.

Halifax était un port d’entrée majeur pour les immigrants européens. L’augmentation de la population entière du Canada entre 1901 et 1931 était due à l’immigration, surtout en provenance d’Europe. De 1924 à 1930, il y a eu 130 000 immigrants par an. Avant les années 1920, les arrivées était gérées au Quai 2 dans la partie Nord de la ville, mais le Quai 2 a été en grande partie détruit lors de l’explosion de 1917. De nouvelles commodités ont dû être ouvertes pour gérer l’afflux de centaines de milliers d’immigrants. Le Quai 21 a ouvert en 1928. C’était un complexe d’édifices reliés par une passerelle aérienne à la station ferroviaire de Halifax. Il abritait les services de l’Immigration, des Douanes, de la Santé et de l’Aide Sociale, de l’Agriculture, la Croix Rouge, une salle d’attente, une salle à manger, une cantine, une infirmerie, un hôpital, un centre de détention, une cuisine, des dortoirs et une promenade avec vue sur le port. Aux yeux de ceux qui étaient simplement de passage aux terminaux maritimes de Halifax (Halifax Ocean Terminals), le hangar de transit 21 n’était qu’un édifice de deux étages similaires aux autres hangars de transit. On peut se demander à quoi pensaient tous ceux qui ont afflué, par milliers, aux portes du Quai 21, les yeux brillants d’espoir, le cœur lourd, quand ils voyaient cet édifice gris avec des briques au centre et des barreaux aux fenêtres.

Le jour de l’arrivée commençait de la même façon pour tous les nouveaux immigrants. Le Gripsholm est arrivé au port le 14 septembre 1929. Comme l’obscurité de la nuit s’atténuait peu à peu, révélant un épais brouillard gris, les employés du port commençaient à arriver pour se mettre à leur poste. Le personnel de la cafétéria, presque habillé en blanc, a commencé sa redoutable tâche de préparer le petit déjeuner pour plusieurs centaines de personnes. Maman était sur le point de goûter à son premier repas canadien. L’odeur du café frais flottait dans les couloirs et d’après les grandes horloges aux murs, il était presque 7 heures. Un garde est arrivé avec la liste des passagers, le manifeste. La parade des fonctionnaires du gouvernement, menée par le médecin, est montée sur la passerelle. Le navire devait être contrôlé et obtenir une approbation médicale avant que les passagers puissent débarquer. Des gardes étaient en poste pour s’assurer que seules les personnes autorisées puissent embarquer ou débarquer. Les passagers allaient bientôt commencer à sortir. Maman a attendu sur le quai que sa malle soit déchargée et inspectée. De là, elle a été dirigée vers la réception du Quai 21 où on identifiait différents groupes : les familles, les femmes avec des enfants et les hommes et femmes seuls. D’un côté de la pièce, on pouvait entrevoir une série de cages grillagées qui allaient du sol au plafond. C’est là qu’on plaçait les bagages à main pour l’inspection par les officiers de l’immigration et de la santé. Après l’inspection, le bagage était conservé sous clé. Tous les biens matériels de Maman étaient en sécurité. À la réception régnait une confusion très bruyante. Les employés essayaient de se faire comprendre. Après l’examen initial, les arrivants étaient divisés en deux groupes : ceux qu’on allait garder provisoirement à cause d’un problème de papiers ou de santé, et ceux qui recevaient le statut de « immigrant reçu ». Tout ce processus, aussi stressant qu’il devait être, n’avait sans doute duré que quelques heures. Puis il était temps de récupérer les bagages à main et de se diriger vers le niveau mezzanine vers l’annexe du bâtiment pour acheter un repas et des provisions pour le long voyage vers Montréal. Les produits les plus populaires étaient le pain, le beurre, le fromage, les sardines, la viande en conserve et les fruits. Le Quai 21 était relié à la gare par un pont et on pouvait acheter les billets au guichet de la « Canadian National Railway » qui se trouvait juste là. Un porteur de la CNR a aidé Maman à récupérer sa malle et à la monter dans le train à destination de Montréal.

Des trains réservés aux immigrants attendaient sur les embranchements de chaque côté de l’Annexe. Pour l’étape finale de leur long voyage, les immigrants allaient voyager à différents endroits à travers le Canada. La destination finale de Maman était Montréal. Les trains d’immigrants ou les trains de colons, tels qu’on les appelait au début. Des poëles à charbon au bout de chaque wagon étaient la seule source de chaleur. Les salles à manger laissaient beaucoup à désirer et la plupart des gens apportaient leur propre manger. Les sièges étaient en bois et il y avait une planche au-dessus du siège, où une âme courageuse pouvait grimper pour essayer de dormir. Les bébés pleuraient, l’odeur des couches et les odeurs corporelles imprégnaient les wagons. C’était la fin d’un long voyage et on endurerait la gêne. On était vraiment impatients ! Le train faisait des soubresauts, faisait des bruits métalliques, traversant de grandes, de petites villes et des kilomètres de campagne sauvage, sifflant à chaque passage à niveau. Cela devait être difficile, voire impossible, de dormir. Qu’est-ce qui l’attendait ? Avait-elle pris la mauvaise décision ? Pour l’instant elle n’avait pas le temps d’y penser. C’était un nouveau départ pour des milliers d’immigrants qui cherchaient un nouvel et meilleur endroit où vivre. Maman était juste l’un d’entre eux. Sa nouvelle vie était sur le point de commencer.

En juillet dernier, j’ai pu visiter Halifax en Nouvelle-Écosse. J’ai visité le Quai 21, qui se dresse dans toute sa splendeur. Il n’est quasiment pas occupé au jour d’aujourd’hui, mais il y a un projet en cours pour en faire un lieu commémoratif des immigrants du Canada. La gare est juste à côté et fonctionne toujours. J’ai pris le train de Halifax à Montréal, suivant le même trajet qu’avait fait Maman il y a presque 70 ans. En regardant la campagne défiler, j’ai fermé les yeux et je me suis demandé ce que Maman devait penser alors qu’elle était assise là à savourer les premières heures passées sur une nouvelle terre. Je me suis senti très proche d’elle, je pense qu’elle était sur mon épaule, à revivre ces moments avec moi.