Tonellato Angelo, Rosa, Attilio, Ido

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Tonellato Angelo,Rosa,Attilio,Ido

Notre voyage a commencé en après-midi lors d’une agréable journée de printemps, le 2 mars 1954. Nous avons quitté notre maison de Trevignano dans une charrette à cheval qui nous a menés jusqu’à la gare de Signoressa. Le chariot de ferme transportait cinq frères, Attilio, Ido, Ernesto, Ignazio et Bellino, notre mère Rosa et notre grand-père Beppi, qui venait avec nous jusqu’à Gênes en train. De nombreux habitants de la ville sont sortis pour nous saluer, et nous nous sommes alors sentis à la fois gênés et anxieux. Ces salutations soulignaient qu’il s’agissait d’un jour important dans nos vies et que tout cela était permanent et définitif.

Je me souviens avoir demandé à mon grand-père quand nous retournerions en Italie. Il a répondu : « Quand l’Italie deviendra l’Amérique. » En ce qui le concernait, notre départ était définitif.

Notre oncle nous a accueillis à la gare. Il nous accompagnait également jusqu’à Gênes. Nous y avons aussi rencontré Tosello (un mineur), qui allait rejoindre son frère à Toronto. En fait, ma mère a été responsable de six enfants lors de notre traversée de l’Atlantique et pendant notre voyage en train d’Halifax à Toronto.

Nous avons quitté Signoressa et sommes arrivés à Gênes le lendemain matin. Je me souviens que le voyage de nuit a été très fatigant et qu’il n’y avait aucun endroit où dormir, sauf sur les bancs de bois. À Gênes, mon grand-père a trouvé un endroit où passer la nuit. La nuit précédant notre embarquement, nous avons tous dormi sur un grand matelas, dans une cave.

Mon grand-père, qui était notre tuteur et qui gardait l’argent nécessaire pour le voyage en train, est sorti pour acheter de la nourriture. Alors qu’il cherchait de la nourriture, quelqu’un s’est approché de lui et lui a demandé de l’aider pour échanger de l’argent, mais cet étranger lui a volé son argent. Mon grand-père, qui était quelqu’un de doux et de généreux, voulait aider cette personne, mais est plutôt devenu la victime facile d’une escroquerie. Heureusement, mon oncle a partagé l’argent qu’il avait et nous avons pu surmonter cette situation difficile.

Le lendemain, le 4 mars 1954, était une journée claire et venteuse. Nous nous sommes dirigés vers les quais où nous avons été traités par les autorités douanières, puis nous avons embarqué à bord du navire Saturnia. Nous, les garçons, avons commencé à explorer le navire dès notre arrivée à bord. Je me suis retrouvé sur la rambarde, face au quai, d’où j’ai vu mon grand-père et mon oncle qui me saluaient. En écrivant ces mots, je me souviens très bien d’avoir regardé mon grand-père et d’avoir vu des larmes couler sur ses joues. Je m’étais alors demandé pourquoi il pleurait. Il savait, d’une certaine manière, que ce regard que nous avons échangé sur le quai était notre dernier. Ce jour-là, j’ai vu mon grand-père, ou n’importe lequel de mes grands-parents, pour la dernière fois. Lorsque j’ai enfin pu retourner à Trevignano, tous mes grands-parents étaient morts. Mes frères et moi, enfants comme jeunes adultes, avons perdu leurs conseils, leur soutien et l’apport de leur sagesse pendant cette période critique de notre vie.

Le bateau a pris la mer et s’est arrêté à Cannes une fois le soir venu. Le lendemain, il s’est rendu jusqu’à Naples pour faire monter d’autres passagers, puis nous avons traversé le détroit de Gibraltar et sommes allés à Lisbonne. C’était la première fois que nous naviguions sur un navire ou un bateau, et c’est sur la Méditerranée que nous avons commencé à ressentir les premiers signes du mal de mer. Nous avons tout de même pu prendre la plupart de nos repas dans la salle à manger et profiter de notre liberté en nous promenant sur le navire comme bon nous semblait. Personne ne nous surveillait, car ma mère a commencé à souffrir du mal de mer dès son embarquement et a passé la plupart de son temps au lit. La Méditerranée était relativement calme et je me souviens d’avoir grimpé sur la rambarde du pont, à l’extrémité de la proue du navire, et de m’être penché et étiré par-dessus la rambarde pour tenter de voir où la proue rencontrait la mer tandis que le navire s’enfonçait dans les vagues.

Nos deux cabines, qui comptaient chacune quatre lits superposés, étaient situées juste sous la ligne de flottaison et très près de la salle des machines. Le grondement constant du moteur, l’odeur de vomi et l’odeur âcre des moteurs diesel à laquelle on ne pouvait échapper. Aujourd’hui encore, l’odeur du diesel déclenche chez moi ce même sentiment de malaise et de nausée.

Lorsque nous avons atteint l’Atlantique, les vents ont pris de la puissance et le navire s’est mis à vaciller et tanguer. Nous étions tous cloués au lit par le mal de mer. Le navire s’est arrêté quelques heures au port de Lisbonne, puis nous avons commencé notre traversée de l’Atlantique Nord pendant la nuit.

La mer agitée a généré un sentiment de peur et de danger. Je me souviens d’avoir demandé à ma mère ce qui se passerait si le bateau coulait. Elle a répondu que nous serions sauvés par les bateaux de sauvetage que nous avions vus sur le navire. Comme j’avais 12 ans, sa réponse m’a quelque peu réconforté, mais aujourd’hui, en y repensant, les chances de survie de toute personne obligée de monter dans un bateau de sauvetage, au début du mois de mars, dans l’Atlantique Nord et en pleine tempête, étaient très faibles.

Quatre jours après avoir quitté Lisbonne, mon état de santé était tel que le porteur a estimé que j’avais besoin de soins médicaux, probablement pour cause de déshydratation, et a suggéré de m’emmener à l’infirmerie du navire. Je me souviens que j’avais commencé à monter des escaliers avec le porteur, nous nous rendions à l’infirmerie du navire, puis mon souvenir suivant est celui d’une femme en habit blanc me regardant et me giflant. J’étais allongé sur un lit propre qui avait des draps blancs et propres. La femme m’a pointé une tasse qui se trouvait sur la table de chevet. Elle était remplie d’un liquide brun foncé et la femme m’a incité à boire son contenu. J’ai pris une gorgée de cette boisson au goût amer et j’ai rapidement demandé de l’eau. C’est de cette façon que j’ai été initié au thé. Je suis resté à l’infirmerie pendant deux ou trois jours.

Nous sommes arrivés à Halifax le soir du 15 mars et nous sommes accostés au Quai 21. Nous étions tous heureux que notre épreuve soit terminée, ainsi que de marcher à nouveau sur la terre ferme. Cependant, ma première expérience en sol canadien n’a pas été positive. Dès que j’ai posé le pied à terre, mes jambes ont vacillé, j’ai balancé d’avant en arrière pendant quelques instants, puis j’ai attrapé la rampe de la passerelle pour me stabiliser.

Nous avons été conduits dans une grande salle remplie de bagages, de malles et de personnes cherchant tranquillement à retrouver leurs biens. Les gens essayaient de ne pas attirer l’attention, car nous savions que nous pouvions encore être rejetés à la discrétion du douanier. Nous avons retrouvé notre malle verte et fait étamper notre passeport. L’attention d’une bénévole parlant italien a été attirée par six garçons accompagnés seulement d’une adulte. Elle nous a demandé si nous avions besoin d’aide. Elle nous a beaucoup aidés. Elle nous a guidés pour ce qui est du processus d’approbation du passeport et a donné à notre mère un coup de main pour superviser six garçons excités et vagabonds.

Il y a eu un moment décisif, un moment qui m’a fait prendre conscience que notre vie avait complètement changé et ne serait plus jamais la même. Nous avions faim et ma mère m’a demandé d’aller au casse-croûte pour acheter du pain et un pot de confiture. Elle m’a donné un peu d’argent, je me suis approché de la préposée et je lui ai demandée du « pane », qui est le mot italien pour le pain. Son regard vide m’a indiqué qu’elle ne me comprenait pas. J’ai donc répété ma demande, et j’ai reçu le même regard. Puis elle m’a pris par la main et m’a, d’une façon ou d’une autre, fait pointer les articles que je voulais acheter. Je suis retourné auprès de ma mère avec une miche de pain et un pot de marmelade, qui devaient être notre principale source de nourriture pour les deux jours suivants. Nous nous sommes regardés avec incrédulité lorsque nous avons ouvert l’emballage du pain et que nous avons vu le pain, qui était, selon nous, mou et avait l’air d’être fait en plastique. Cependant, nous avions tellement faim que nous avons rapidement dévoré la miche en espérant ne plus avoir à manger de ce soi-disant pain.

Une fois la procédure d’approbation terminée, nous sommes montés à bord du train et avons commencé notre voyage vers Toronto (quelque 40 heures plus tard). Le train n’était pas confortable. Il n’y avait que des bancs de bois, qui sont devenus nos lits, et nous nous sommes rapidement endormis, malgré le bruit des autres passagers et les clic-clacs constants du train. Je me souviens de m’être réveillé pendant la nuit. J’étais affamé et transi de froid. J’ai regardé le paysage qui défilait dehors, recouvert d’un épais manteau de neige, et je me souviens d’avoir vu, de temps à autre, au loin, une lumière solitaire, seule preuve de vie. Lorsque nous nous sommes arrêtés dans un village, à un passage à niveau, j’ai vu plusieurs traîneaux tirés par des chevaux. Ils étaient couverts de neige et attendaient que le train passe. Les genoux des conducteurs étaient couverts de couvertures et ils portaient, selon moi, des fourrures d’animaux et des chapeaux chauds en feutre. Les chevaux étaient couverts de vapeur et leurs naseaux exhalaient de la fumée. Je me suis alors demandé : « Où ce train nous emmène-t-il? »

Le souvenir le plus marquant dont je me souviens ensuite est celui de m’être réveillé, une fois le train à l’arrêt, puis d’avoir regardé de l’autre côté d’une très large rivière partiellement couverte de glace. J’ai eu la présence d’esprit de faire une note mentale, afin de me souvenir du château comme étant un bâtiment important à identifier à une date ultérieure. La gare où nous nous étions arrêtés était celle de Lévis, au Québec. Le château était l’hôtel Château Frontenac de Québec. Très tôt lors de mes études, j’ai vu des photos de la ville de Québec et de ce château. Encore aujourd’hui, quand je vois une photo de la ville de Québec ou quand j’en entends parler, je pense à un garçon dans un train gelé, le visage collé contre une vitre, regardant de l’autre côté d’une grande rivière gelée.

Le train a continué son chemin jusqu’à Montréal, puis est finalement arrivé à la gare Union de Toronto. Une fois descendu du train, c’était à nous de trouver le train qui nous emmènerait jusqu’à Merriton. Je me souviens d’avoir vu des hommes tenant dans leurs mains ou sous leurs bras de curieux objets, des seaux en acier noir. Nous avons plus tard appris qu’il s’agissait de boîtes-repas. Bien sûr, nous n’avions jamais rien vu de semblable auparavant.

Le voyage en train de Toronto à Merriton a duré environ deux heures. Je me souviens d’avoir cherché la gare de Merriton à chaque arrêt, car notre père devait nous y attendre. Notre père et notre grand-oncle nous ont cependant surpris à bord du train après notre départ de la gare de St. Catharines. Ils étaient montés à bord pour nous faire la surprise. Ce fut une surprise fantastique et toutes nos angoisses et nos craintes se sont rapidement évanouies lorsque nous sommes descendus du train pour ensuite être conduits en voiture jusqu’à notre nouvelle maison, située à environ 2 km de là.

Le petit bungalow que notre père avait construit me semblait luxueux. Il avait des sols en vinyle, l’eau courante dans la cuisine, un réfrigérateur et un poêle. En réalité, il s’agissait d’un tout petit endroit où 7 personnes allaient devoir vivre dans 3 petites pièces et une cuisine.

Les toilettes étaient dehors, à côté de la grange. L’extérieur de la maison était recouvert de papier noir, car notre père n’avait pas assez d’argent pour recouvrir l’extérieur avec du stuc ou de la brique.

L’excitation que nous avons ressentie lorsque nous avons vu notre père et découvert notre nouvelle maison a rapidement été éclipsée par la réalité de cette nouvelle maison. On nous disait souvent que le Canada était la terre des opportunités et que lorsque nous foulerions son sol, nos problèmes et nos soucis disparaîtraient. Bien sûr, ce n’était pas le cas. Nous avons fait face au choc culturel, à la barrière linguistique et au mal du pays. Je ne savais pas à quel point ce nouvel environnement allait m’affecter.

Mon incapacité à parler anglais a été le premier obstacle qui s’est manifesté. Mon père nous avait inscrits dans une école primaire catholique et dès le premier jour, les quatre fils aînés étaient inscrits en première année. Bien vite, on nous a remis un livre de lecture primaire contenant des phrases familières comme « Jack et Jill jouent ensemble ». Habituellement, un autre élève nous aidait en lisant les phrases et en nous demandant de les répéter. Le fait de ne pas pouvoir parler anglais a été pour nous un obstacle important. Nous ne participions pas beaucoup en classe et nous n’étions pas très engagés à la récréation. Très vite, l’image de soi qui s’est développée était celle d’un étranger qui parlait une langue étrange et qui portait des vêtements étranges. Cela a mené à un profond désir de conformité sociale, ainsi qu’au désir de leur montrer que j’étais aussi bon qu’eux en étudiant dur, en obtenant de bonnes notes, en plus des éloges des professeurs.

Les railleries et les injures ont fait partie de l’expérience sociale la plus néfaste que j’ai vécue. Une expérience qui laisse un sentiment d’infériorité. Nous avons également fait l’objet de menaces physiques de la part de garçons plus âgés et nous prenions donc un autre chemin pour rentrer à la maison. Des épisodes de ce genre étaient courants pendant la guerre et l’après-guerre, où l’ignorance et l’intolérance faisaient obstacle à l’amitié et à l’intégration harmonieuse des immigrants. C’était tout particulièrement vrai pour les enfants, qui étaient à un âge très vulnérable.

Au cours des deux premières années, la solitude et le fait d’avoir perdu mes amis ont été les obstacles les plus difficiles à surmonter. J’ai souvent rêvé de retourner à Trevignano, où se trouvaient mes amis, pour jouer au soccer et aller dans une école où tout le monde me connaissait et me comprenait. L’émission de radio italienne, le journal italien et l’Église catholique étaient des portes vers un monde familier et une langue où tout semblait être mieux. Le soir, j’écoutais fidèlement n’importe quelle émission de radio en italien et je lisais chaque page du journal, toujours à la recherche de nouvelles concernant la région de Trévise. À cette époque, le seul lien que j’avais avec ma famille élargie de Trevignano était les rares lettres de nos grands-parents nous informant du décès de membres de la famille ou de leurs maladies.

La solitude était si profonde que j’ai développé des maux d’estomac, entre autres. Mes parents ont décidé de m’emmener chez un médecin parlant italien, qui a rapidement diagnostiqué mon mal. Lorsqu’il m’a demandé si je souhaitais retourner en Italie, j’ai craqué et je me suis mis à pleurer de façon incontrôlable. Il a dit : « Voilà, c’est ça qui le rend malade. »

Ido Tonellato