Peggy, Dorothy, Dick, Don

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
13

Rangée
16

First Line Inscription
Peggy, Dorothy, Dick, Don
Second line inscription
Chandler

Je suis passé par le Quai 21 en 1940, 1945 et 1948, la première fois en tant qu’enfant britannique évacué au Canada sous les auspices du Children’s Overseas Reception Board (CORB#1350, ou comité de réception à l'étranger des enfants) et plus tard en tant qu’immigrant reçu. J’ai tout d’abord été évacué en Angleterre-même (à Framlingham dans le Suffolk) du 1er septembre 1939 jusqu’à l’évacuation de Dunkerque quand mes parents ont fait la demande d’évacuation au Canada pour ma petite sœur Dorothy et pour moi dans le cadre du CORB. En temps voulu, nous avons été sélectionnés et, tôt en août 1940, on nous a conduits à un premier lieu de rassemblement au Avery Hill College (aujourd’hui appartenant à Greenwich University) près de Eltham dans le Kent.

Notre groupe a voyagé en train de Eltham à Liverpool, avec une nuit passée dans le gymnase d’une école où les conditions étaient vraiment spartiates. A cette époque-là, les docks de Liverpool subissaient des bombardements presque toutes les nuits et, même si nous étions loin de cette partie du port, nous avions l’impression que les bombes tombaient juste dans la rue d’à côté. Tard le jour suivant, avec 351 autres enfants évacués par le CORB, nous avons embarqué à bord du Oronsay, un navire de la compagnie Orient Line. A peu près au même moment, deux autres grands groupes de « Corbies », le nom qu’on donnait aux enfants évacués, embarquaient sur le Duchess of York et le Antonia, deux paquebots de la compagnie Canadian Pacific. Le lendemain matin, on s’est retrouvés en mer au milieu d’un convoi qui avançait vite, à 15 nœuds, et qui était commandé et contrôlé par le croiseur de bataille HMS Revenge, lui-même encadré par six destroyers. On a appris, une fois que les destroyers avaient quitté le groupe au milieu de l’Atlantique, que l’un des navires avait un problème de moteur et qu’il ralentissait la vitesse de tout le convoi. Outre les exercices quotidiens d’urgence à bord, les jeux qui étaient organisés, les divertissements, les repas et les désagréments du mal de mer, on avait le droit de se balader assez librement, ce qui nous permettait de découvrir quelques endroits intéressants pour jouer à cache-cache.

Le dernier jour de la traversée, qui avait duré neuf jours, comme nous faisions partie de ceux « nominés » pour aller dans des maisons d’accueil pré-arrangées, nous nous étions rassemblés pour savoir où nous aimerions aller au Canada. Dorothy et moi avons choisi avec beaucoup d’enthousiasme d’aller, si possible, dans une ferme au bord de la mer, et c’est là où, en effet, nous nous sommes retrouvés une semaine plus tard. Alors que la plupart de mes souvenirs de l’arrivée au Quai 21 (le 19 août 1940) sont flous, je me rappelle très bien de l’accueil sympathique et mouvementé, mais efficace, que nous avons reçu, dans une atmosphère presque festive. Nous avons pris le train plus tard le jour-même avec 30 autres évacués désignés pour Sackville au Nouveau-Brunswick, avec un autre petit groupe à destination de Charlottetown à l’Île-du-Prince-Édouard qui avait dû changer de train pour se rendre à « l’Ile » par Sackville. C’est ainsi que nous avons passé notre première nuit au Canada à l’Université de Mount Allison où nous sommes restés presque une semaine jusqu’à ce que nous soyons remis entre les mains aimantes de feu Della et Carl Allen, de la ferme des « Quatre Vents » à Upper Cape au Nouveau-Brunswick, sur la Baie Verte, à quelque 30 miles de Sackville. Notre arrivée à Upper Cape coïncidait avec le pique-nique annuel de l’Église Unie locale, ce qui était une occasion toute trouvée de nous présenter, Dorothy et moi, à la famille, aux voisins et aux amis des communautés voisines de « Tante Della » et de « Oncle Carl ». Nous avons trouvé l’attention de notre petite célébrité assez écrasante et à notre avis, complètement imméritée.

Condenser en quelques pages les cinq années suivantes (de 1940 à 1945) remplies d’aussi nombreuses expériences, leçons, impressions, réflexions et émotions de toute sorte, est pratiquement impossible. Il suffit d’observer cependant qu’il s’agissait-là d’une période de transition profonde dans nos vies, période pendant laquelle nous avons développé un amour, un respect et une admiration profonde et attachante envers le Canada et les Canadiens, ce qui nous a d’ailleurs décidés à choisir de revenir y faire notre vie si l’occasion se présentait. Vers le 16 juillet 1945 , Dorothy et moi sommes à nouveau passés par le Quai 21 où nous avons rejoint de nombreux autres évacués faisant la traversée inverse à bord du paquebot français Ile de France en partance pour Greenock en Écosse, en vue de retrouvailles avec leur famille dont ils ne se souvenaient que vaguement.

L’une des chansons les plus populaires à l’époque était « Sentimental Journey » (le voyage sentimental) qui, je crois, décrivait avec justesse ce voyage. On a été accueillis à la gare de Euston à Londres par notre famille, qui s’était agrandie durant notre absence et comprenait une belle-sœur et une petite nièce encore bébé. Notre mère a instantanément reconnu Dorothy, mais elle est passée devant moi et j’ai dû l’attraper par le bras et me présenter, car j’avais pas mal changé depuis l’enfant roux de onze ans que j’étais quand elle m’avait dit au revoir cinq années auparavant.

Après avoir été mobilisé de 1945 à 1948 en tant que mécanicien au service de l’Aéronavale (Fleet Air Arm) dans la Royal Navy, on m’a accordé le statut d’immigrant reçu et j’ai embarqué à bord du RMS Aquitania de la compagnie Cunard à Southampton et par conséquent, je suis passé par le Quai 21 pour la troisième fois en huit ans, le 3 août 1948. L’année suivante, tous les membres de ma famille proche sont aussi devenus immigrants reçus, même mon père qui avait 60 ans, et tous sont entrés par le Quai 21 et ont fini par devenir des citoyens canadiens. Plus tard, j’ai trouvé que c’était un réel honneur et privilège de servir dans de nombreux endroits en tant qu’aviateur naval de la Marine royale canadienne et de porter son uniforme avec l’insigne « CANADA » sur l’épaule.

Pour finir, c’est aussi un plaisir de rappeler les retrouvailles organisées à Halifax en septembre 1990 pour fêter le cinquantième anniversaire de l'évacuation des enfants CORB, retrouvailles qui comprenaient une visite nostalgique du Quai 21. A cette occasion, une plaque de cuivre a été dévoilée et elle témoigne aujourd’hui en permanence de notre «infinie gratitude» au Musée maritime de l’Atlantique. La plaque est visible à l'étage supérieur du musée aux côtés du modèle réduit du navire à vapeur Nova Scotia.