La famille Masecchia

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The Masecchia Family

Le voyage

C’est le 24 septembre 1965, le jour de mes 10 ans, que nous avons quitté San Vittore del Lazio, une petite ville située à quelque 150 km au sud de Rome. Nous avons quitté la maison de notre tante très tôt dans la matinée pour aller à Naples, où le Queen Frederica emmènerait la famille vers Halifax. Je me souviens avoir regardé, à partir de la voiture de mon oncle, le moulin à eau à l’entrée de la ville en me disant « Est-ce que je reverrai tout ça un jour ? » Mes parents étaient au début de la quarantaine. J’étais le quatrième de cinq enfants, âgés de 2 à 18 ans. Le voyage fut long, mais avec le recul, passionnant. Les huit jours sur la mer étaient en quelque sorte des vacances que la famille prenait ensemble, mais nous ne le réalisions pas à ce moment. Je ressentais l’air se refroidir alors que nous nous approchions des côtes de la Nouvelle-Écosse. Nous sommes arrivés au Quai 21, le 3 octobre, le jour-même du 20e anniversaire de mariage de mes parents. Tout ce que nous avions avec nous était des vêtements, quelques bibelots de la vieille maison, un 10 $ emprunté dans la poche de pantalon de mon père et beaucoup d’espoir.

Mon oncle louait un vieux duplex situé à l’angle de l’Avenue du Parc et de la rue Crémazie à Montréal, la seule habitation résidentielle au beau milieu d’un secteur industriel. Tout semblait si vaste et bien arrangé… mais le bruit de la circulation du boulevard Métropolitain et le train qui passait de l’autre côté de la rue nous rappelaient que nous étions loin, bien loin de la petite ville nichée dans les montagnes des Appenini. Mon père, mon frère et ma sœur ont bientôt trouvé des emplois dans les manufactures situées à proximité. Dès le lendemain, j’ai commencé l’école. De retour en 4e année, que j’avais pourtant complétée cet été-là, en Italie. Ma tante a décidé qu’il était préférable pour moi d’apprendre les deux langues, j’ai donc été placé dans une classe bilingue. Les premières semaines ont été consacrées principalement à essayer de faire la différence entre le français et l’anglais. Inutile de dire que c’était très décourageant, mais encore plus déprimant était cet hiver qui se pointait et le fait que mes amis d’enfance me manquaient terriblement.

En me rappelant ces premières semaines passées à Montréal, il y a des choses qui restent gravées dans mon esprit. L’ambiance chaude de la maison, par exemple. En effet, bien que le climat fût chaud en Italie, les hivers pouvaient être assez humides, surtout dans une maison en béton et sans chauffage. Par conséquent, aller au lit à la nuit tombée dans des draps chauds était bon. Les rôties étaient une autre nouveauté pour moi. Je n’aimais pas le pain tranché parce que la mie me collait toujours au palais, mais une fois grillé avec de la marmelade, c’était beaucoup mieux. Faire les courses seulement une fois par semaine au lieu de faire les emplettes au fur et à mesure était aussi super. J’aimais bien aller avec ma mère chez Steinberg et en revenir avec 6 ou 7 sacs et voir ensuite le frigo bien rempli. Ça ressemblait presque à un mini dépanneur. À cette époque, une somme de 30 dollars suffisait à nourrir la famille pour la semaine. Parfois le dimanche après-midi, j’avais la permission de mes parents et ils me donnaient cinquante cents pour aller voir un film italien au cinéma Riviera sur le Boulevard Saint-Laurent. Aujourd’hui, on l’a converti en un club de danseuses nues. À la mi-novembre, nous avons reçu la première tempête de neige majeure, la plus grosse que je n’avais jamais vue de ma vie. Nous devons avoir reçu plus d’un pied de ces flocons blancs ! En Italie, nous serions bien restés à la maison pendant au moins 3 jours, mais ici c’était l’école comme d’habitude, sans gros chichi à ce sujet. L’école était ennuyeuse car j’étais laissé seul à moi-même, sans beaucoup de gens avec qui parler. Je pensais beaucoup à San Vittore, mes amis, les parties de football à la piazza et les après-midi à flâner sur le bord du ruisseau. Mes amis me manquaient terriblement.

Après ce qui m’a semblé une éternité, le temps chaud est enfin revenu. L’école était terminée et je n'avais pas réussi ma 4e année. Imaginez un peu reprendre cette foutue même classe pour la troisième fois ! La seule différence était que la première fois c’était en italien, la deuxième en anglais et en français et la troisième en français. J’avais décidé que d’apprendre les deux langues en même temps était trop difficile, j’ai donc choisi, pour la 3ème reprise, de la faire en français seulement.

Je me souviens que l’humidité était parfois insupportable durant les journées chaudes de juillet. À la maison, ma mère conservait sa routine italienne : de 18 h 30 à 19 h, c’était notre temps en famille, alors que nous nous assoyions tous face à un magnifique repas préparé avec autant d’ingrédients italiens qu’elle le pouvait. Ils étaient faciles à trouver au supermarché local. Mais les jours étaient longs et ennuyeux et ça ne rendait pas les choses plus faciles pour moi.

Plus tard, quand j’ai commencé à apprendre les langues, les choses ont commencé à s’améliorer. Je pouvais au moins apprécier les nouveaux épisodes de Batman à la télévision. Ça s’est encore amélioré durant les dernières années de mon adolescence et surtout quand j’ai commencé à rencontrer des filles à l’école secondaire.

J’ai rencontré Ann, celle qui deviendrait ma future épouse, le 24 octobre 1975, seulement 6 mois après son arrivée d’Irlande. C’était une belle jeune et grande femme timide aux yeux verts. Le 24 septembre 1977, le jour de mon 22e anniversaire, nous nous sommes mariés. Nos trois beaux garçons sont un heureux mélange de traits italiens et irlandais. Ce sont de fiers Canadiens, avec des racines solidement ancrées dans leurs cœurs. Aujourd’hui, je voyage constamment à travers notre pays à titre de vice-président du premier gestionnaire de fonds du Canada. Chaque fois que je reviens à Montréal, je me dis c’est la meilleure ville que je connaisse, c’est mon chez-moi, mais l’est-ce vraiment ?

Sept membres de la famille, debout sur la rue enneigée.