La famille Ellen Colmer Robson

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The Ellen Colmer Robson Family

La famille Robson au Quai 21

Il y a une tradition en Angleterre : au réveillon du Nouvel An, l’homme de la maison sort avec un morceau de charbon, attend que minuit sonne puis rentre à nouveau dans son domicile. C’est une vieille superstition et c’est supposé porter chance à la famille qu’un homme soit le premier à passer le pas de la porte au Nouvel An et encore plus de chance si c’est un homme aux cheveux bruns. Chaque membre de la famille doit cracher sur le morceau de charbon qu’il ramène avec lui. Cela porte encore plus de chance.

Lors du réveillon du Nouvel An de 1954, l’année 1955 étant sur le point de commencer, un tel scénario s’est déroulé à la maison des Robson à Middlesbrough dans le Yorkshire, en Angleterre. Mon père était dehors avec un morceau de charbon dans sa poche, tandis que ma mère, quatre de mes cinq frères et sœurs et moi étions assis autour du feu à attendre que la Nouvelle Année commence. Ma mère a mentionné l’émigration avec désinvolture. Elle en avait parlé plusieurs fois auparavant mais cette fois-ci, elle était sérieuse.

En y repensant, tout le monde pensait que c’était une très bonne idée, mais émigrer où ? Est-ce qu’on aimerait aller en Australie ? Et le Canada ? Après ce qui a semblé être une discussion interminable, ma mère a décidé de tirer à pile ou face. Face : Australie. Pile : Canada. C’est tombé sur pile. C’était donc le Canada !

Nous étions soudainement animés par une grande envie d’aventure. Nous avons fait tout le nécessaire : vaccinations, mettre en ordre les passeports, quitter le travail, quitter le système scolaire pour les plus jeunes d’entre nous, vendre les meubles de la maison, dire au revoir aux parents et aux amis, etc.

Nous avons passé notre dernier jour à Middlesbrough avec notre sœur Iris et sa famille. Iris, l’ainée, avait décidé de rester en Angleterre car elle venait de se réconcilier avec son mari. Papa avait décidé de nous rejoindre plus tard et allait rester avec Iris en attendant. Nous avons eu des adieux éplorés. La bonté seule savait quand nous allions nous revoir. J’ai versé quelques larmes car ma mère refusait que j’amène mes précieux disques de Dickie Valentine. Elle avait dit que la boite nous gênerait. Comme j’étais une adolescente impressionnable de 17 ans, c’était mon trésor, mais j’ai dû les abandonner.

Tard dans la soirée du 10 février 1955, une courageuse femme d’âge moyen et cinq de ses six enfants sont montés dans le train pour Southampton sans autre projet que celui d’aller en Alberta.

La famille Robson était constituée de Ellen (Nellie), la mère ; le fils le plus âgé Thomas William (Bill), 22 ans ; le plus jeune fils Michael, presque 16 ans ; 3 filles : Jean Elizabeth, 17 ans ; Dawn, 11 ans et Beverly Anne, 7 ans en Février. Cela allait être la plus grande aventure de leur vie, traverser l’océan Atlantique pour vivre dans un nouveau pays.

Nous avons embarqué sur le paquebot Cunard Samaria le 11 février et après presque huit jours passés en mer, nous sommes arrivés au Canada, au Quai 21, le 19 février. Nous étions en chemin ! Ma mère connaissait des gens en Alberta, la fille d’un ami y vivait. Mais un jour sur le bateau, quelqu’un lui a montré la photographie d’une petite maison blanche à Sydney en Nouvelle-Écosse et elle pensait que c’était un bel endroit où vivre. Mais à ce moment-là, c’était toujours l’Alberta.

Alberta, nous voilà !

Au Quai 21, nous avons dû attendre pour être interrogés par les agents d’Immigration avant de pouvoir continuer notre voyage. Ma mère et mon frère aîné Bill ont été amenés dans un bureau pendant que nous autres attendions dans une salle d’attente. Nous étions toujours surexcités et c’était difficile d’empêcher les jeunes membres de la famille de l’être ! Maman et Bill sont finalement sortis du bureau, l’air abattu. Nous n’étions pas autorisés à aller en Alberta ! Nous n’avions pas assez d’argent pour que les six personnes prennent le train sur une si longue distance. Nous étions obligés de rester à Halifax ! Halifax ! Quelle déception !

Oui, nous étions déçus. Mais c’était toujours l’aventure ! On nous a dit qu’on resterait dans le centre d’hébergement du Quai 21 jusqu’à ce que les trois enfants les plus âgés aient trouvé un emploi. Puis, et seulement à ce moment-là, nous serions autorisés à chercher un logement, à Halifax !

Nous sommes restés au Centre de l’Immigration pendant trois semaines. On nous a proposé des lits (les filles dans un dortoir et les garçons dans un autre), trois repas par jour et la liberté d’aller et venir comme bon nous semblait. Les fonctionnaires étaient nos bienfaiteurs. Ils étaient gentils, serviables et sociables. Je me souviens qu’on m’avait amenée en ville et fait visiter. On nous amenait avec mes frères à des entretiens pour du travail. Quand j’ai commencé à travailler au Canada (dans le bureau de Ben’s Bakery, sur la rue Pepperell à Halifax), un des fonctionnaires m’attendait après le travail pour me reconduire au Quai 21, s’assurant que j’arrivais saine et sauve et sans me perdre.

Je me souviens, si bien, avoir regardé par la fenêtre et vu le phare de l’île George, de toute beauté en journée, sinistre la nuit. Je me souviens avoir entendu les trains la nuit, avec le va-et-vient des sifflets jusqu’à la fenêtre du dortoir et qui produisaient en plus un son métallique tandis qu’ils changeaient de rails. Je pensais que je ne m’habituerais jamais au bruit, mais finalement j’ai réussi. J’ai très bien dormi.

Pendant notre séjour, nous avons rencontré des gens intéressants. Il y avait deux petits enfants allemands dont leur mère était malade et hospitalisée dans le Centre. Les enfants étaient assez heureux et on s’occupait bien d’eux pendant qu’ils attendaient que leur mère se remette. Un autre garçon avait été déporté, je ne suis pas sûre de savoir pourquoi, mais il avait l’air assez gentil et nous sommes tous devenus amis. C’est là que j’ai rencontré mon premier petit copain canadien. Malcolm (Mac) MacLeod travaillait à la cantine. Je me souviens qu’il avait une voix profonde et qu’il passait beaucoup de temps à m’apprendre à prononcer les mots « à la canadienne ». On s’est revu à l’Exhibition Ground, à Truro, 22 ans plus tard. Ce qui a marqué mon esprit, c’est sa démarche et sa voix profonde et claire.

Puis le jour où on nous a dit qu’on pouvait partir du centre est arrivé. Comme je l’ai dit, nous y sommes restés trois semaines. Mes frères et moi, nous travaillions et gagnions suffisamment d’argent pour nous offrir un petit logement pour la famille. Le jour où nous avons aménagé dans la petite maison que ma mère avait trouvé à Spryfield a été inoubliable. Enfin nous étions là, notre vie au Canada avait enfin commencé.

Notre père ne nous a jamais rejoints sur cette terre de justice. Notre mère, Nellie Robson, est décédée d’un anévrisme cérébral en juin 1957. Elle n’a jamais voyagé plus loin que Bedford en Nouvelle-Écosse, n’est jamais allée en Alberta. Mais moi, mes frères et mes sœurs, nous n’oublierons jamais l’aide, la prévenance et la gentillesse que nous avons reçues des employés du Quai 21 quand nous sommes arrivés au Canada.

Nous nous en sommes tous très bien sortis dans ce nouveau pays qui est le nôtre. Bill est devenu un photographe professionnel à succès et a depuis déménagé aux États-Unis. Mike, qui a toujours été intéressé par l’électronique, était concepteur en communication électronique, il a beaucoup voyagé à l’étranger, avant de prendre sa retraite, et il nous a fait partager ses grands savoirs. Beverly, qui vit dans la région de Toronto, a travaillé très dur dans un poste haut placé au Ministère des Ressources Naturelles de l’Ontario. Dawn (Robson) Erickson a ouvert sa propre agence de recherches de titres immobiliers (Erickson Title Searching) à Halifax. En ce qui me concerne, après avoir travaillé pendant 21 ans comme secrétaire pour l’exposition provinciale de la Nouvelle-Écosse à Truro, moi, Jean (Robson) Marlin, je suis devenue gérante de l’Exposition de la Côte Sud (The Big Ex), à Bridgewater en Nouvelle-Écosse en Février 1997. J’adore mon travail. C’est ce qui me convient. Je sais que je n’aurais pas eu autant de chance si j’étais restée en Angleterre.

Nous avons eu une vie merveilleuse dans ce pays. Mes frères et sœurs se joignent à moi pour dire : « Merci Canada : sans aucun doute la terre de la chance ! » et « Dieu bénisse les employés du Quai 21 pour s’être assuré que notre famille n’avait pas à accepter plus que ce qu’elle ne pouvait endurer en ce jour décisif de février 1955. »

par Jean Elizabeth Marlin née Robson (fille)