Kurt et Rolf Maurer

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
46

Rangée
18

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Kurt and Rolf Maurer

Mon frère Rolf et moi sommes partis d’Anvers le 20 avril 1952 à bord du SS Leerdam, 8,854 GRT, le dernier port où il devait aller en Europe, et après un voyage de 11 jours plutôt houleux, il est arrivé à Halifax le 1er mai 1952. On nous a dit que c’était le dernier voyage de ce navire. Certains ont plaisanté et ont dit que son voyage précédent avait dû être le dernier qu’il ait vraiment accompli.

La traversée coûtait 125 $ par personne et bien que ce soit réellement une affaire clandestine, elle devait être payée en dollars US, ce qu’il était interdit d’avoir en Allemagne à l’époque et que l’on ne pouvait obtenir qu’au marché noir. J’avais un ami qui travaillait à la gare ferroviaire de Francfort dans un bureau réservé au personnel américain, alors il m’était assez facile d’obtenir les dollars requis. Puisque je travaillais pour la Ligne Hollande-Amérique juste avant mon émigration, il m’était facile de couvrir le règlement en dollars illégaux. Pour l’argent de poche, 40 marks allemands pouvaient être légalement échangés en dollars, 4 marks valait un dollar, et on nous donnait officiellement 10 $ à notre arrivée.

Quand nous avons débarqué le 1er mai, nous avions encore du temps entre les formalités d’Immigration et le départ du soir en train CNR pour l’Ouest. Il n’y avait pas assez de passagers qui descendaient pour ouvrir un train de Classe des Colons, alors nous avons confortablement voyagé en classe économique régulière.

La première chose qui a attiré notre attention à Halifax, c’était la photo de Adolf Hitler sur la couverture d’un magazine à un kiosque à journaux près de la gare ferroviaire, dont la légende disait en gras, « Hitler est toujours vivant. » Le magazine s’intitulait The Police Gazette, ce qui nous avait l’air très officiel et nous étions plutôt choqués car nous croyions que nous avions laissé tout ça derrière nous pour repartir de zéro au Canada. Mais, nous avons rapidement appris quel type d’informations on pouvait trouver dans ce magazine et nos craintes ont vite été calmées.

Le train est parti le soir et a continué de rouler et de rouler à travers ce qui nous paraissait être d’interminables forêts, toujours avec de la neige sur le sol à plein d’endroits. Il y avait une famille russe à bord du train qui était aussi sur le même navire et ils n’arrêtaient pas de marmonner, quelque peu désespérés, « Exactement comme en Sibérie, exactement comme en Sibérie. » Je ne sais pas s’ils connaissaient la Floride ou la Californie. Nous les avons perdus de vue à notre arrivée à Montréal le matin du 3 mai, c’était un samedi.

Mon frère, dont la situation financière faisait qu’il n’avait pas pu acheter un billet de train au-delà de Montréal, m’a laissé là pour essayer de gagner de l’argent pour le reste du voyage et de me rejoindre plus tard à Vancouver, alors j’ai continué vers l’Ouest, cette fois-ci dans un CPR et en Classe des Colons. Les bancs avaient un cadre en bois dur recouvert au centre d’un tissu usé. La nuit, on pouvait ouvrir et joindre deux de ces bancs en vis-à-vis de sorte à faire une couchette assez grande pour deux personnes à chaque fois. Le compartiment pouvait contenir 6 personnes mais il n’était pas complet. Les fenêtres ne fermaient pas très bien, la suie du charbon de la locomotive s’infiltrait librement et mon imperméable clair de style européen, que j’ai utilisé pour bloquer le courant d’air, est en un rien de temps devenu noirâtre, laissant deviner un peu de beige.

Quand je suis arrivé tout seul à Winnipeg, après deux jours et deux nuits interminables, je n’en pouvais plus. J’ai compté mon argent, et j’ai décidé de passer une vraie nuit de repos. Je suis descendu du train, j’ai traversé la rue et je suis entré dans le premier hôtel que j’ai trouvé, l’Hôtel Winnipeg. C’était 5 dollars la nuit et j’ai pris une chambre qui avait l’eau courante. Lors d’une visite récente à Winnipeg, j’ai en fait retrouvé l’hôtel qui était toujours là parmi les bâtiments modernes, j’y suis passé juste pour y jeter un coup d’œil. Le prix a augmenté depuis 1952 et est passé à 25 $ la nuit (il faut partager la salle de bains), et pour 5 $ de plus et un acompte de 20 $, vous pouvez maintenant avoir une télévision.

Le soir, j’étais au coin de Portage et Main, il n’y avait pas un chat en vue, mais juste un vent à décorner des bœufs, de la poussière et des morceaux de journaux qui virevoltaient dans l’air tels des derviches qui tourbillonnaient. Il n’y avait pas grand chose à faire et, compte tenu de mon petit budget, ce n’était pas plus mal. Avant d’entrer, j’ai mis ma seule paire de chaussures devant ma porte, comme il était de mise en Europe pour que l’homme à tout faire les fasse briller. Eh bien, j’ai eu de la chance, comme on me l’a fait comprendre par la suite, car mes chaussures étaient toujours là le lendemain, pas cirées, mais au moins j’avais encore mes chaussures. On aurait pu croire que quelqu’un les avait abandonnées et elles auraient pu être prises par quelqu’un, ça n’aurait même pas été du vol.

Vingt-quatre heures plus tard, je suis remonté à bord du Train CPR transcontinental quotidien et, surprise, surprise : il n’y avait plus de wagons pour Colons, alors je me suis retrouvé en classe supérieure, comme on dit maintenant : des sièges mous, l’air conditionné, des fenêtres bien isolées qu’on ne pouvait pas ouvrir, mon imperméable abîmé ne se sentait pas à sa place. J’ai dépassé Régina et Calgary ainsi que la vue époustouflante des Rocheuses, et j’ai aperçu un officier de la Police Montée vêtu de son uniforme rouge sur le quai à Revelstoke. Les choses commençaient à se préciser. Nous avons descendu la Fraser Valley, nous avons longé la rive de la crique Burrand avec les nombreux squatteurs et finalement nous sommes arrivés à Vancouver, ma destination finale ; j’étais tout seul, ce mercredi matin du 7 mai 1952, une belle journée de printemps.

Mon premier arrêt était d’aller me présenter à l’Immigration, un bâtiment en briques rouges sur le front de mer, près de la gare CPR. On m’a donné l’adresse d’une maison de rapport sur Beach Avenue, avec une chambre et tout l’équipement pour cuisiner dans le couloir. Mes bagages étaient arrivés le jour précédent, n’ayant pas jeté l’éponge à Winnipeg et j’ai retrouvé ma bicyclette et mes affaires de première nécessité pour passer la nuit. Cet après-midi-là, j’ai examiné les Pages Jaunes pour trouver un emploi convenable. J’avais comme expérience celle d’agent de voyage, d’agent de navires à vapeurs, un diplôme après trois ans d’apprentissage dans la compagnie American Express à Francfort en Allemagne. J’avais entendu des rumeurs selon lesquelles la compagnie avait l’intention d’ouvrir un bureau à Vancouver. Cela ne s’est pas fait avant 20 ans plus tard. J’ai fait une liste de tous les bureaux de transport maritime et ferroviaire, ainsi que des agences de voyages (il y en avait quatre à l’époque et maintenant près de 400) et j’ai tout arrangé pour le lendemain.

Le jeudi 8 mai, je suis allé à l’Agence pour l’Emploi pour cols blancs sur la rue Robson et après m’y être inscrit, je suis allé solliciter environ 30 compagnies, ce qui n’était possible que grâce à ma bicyclette. Le « Marine Building » comptait à lui seul une dizaine d’employeurs potentiels mais à la fin de la journée, j’étais toujours sans emploi.

Le vendredi 9 mai, je suis allé à l’Agence pour l’Emploi des cols bleus sur la rue Beatty où j’ai immédiatement obtenu une offre d’emploi en tant qu’ouvrier, dans l’usine de laine de la Côte Ouest sur Clark Drive ; je devais commencer tout de suite et aller voir le gestionnaire le 12 mai à midi. Assis sur l’échafaudage d’un énorme panneau d’affichage en attendant que le gestionnaire revienne de sa pause déjeuner, un homme a commencé à me parler et m’a invité à prendre une tasse de café dans un petit café à proximité. Il ne m’a rien vendu ou ni même posé des questions, il était juste gentil avec un nouvel arrivant au pays. Pour moi, une bonne première impression. Le gestionnaire de l’usine de laine m’a informé que je serais payé 95 centimes de l’heure pour le service régulier et 1,05 $ pour les heures supplémentaires (en roulement). Mon travail était de mettre de vieux morceaux de tissus dans une sorte de déchiqueteuse pour le recyclage.

Pendant le weekend, étant assuré de mon travail, j’ai cherché un endroit où dormir aux alentours et j’ai trouvé une chambre et pension au 1753 Parker Street. Une certaine Mme Morrison et sa fille Mickey dirigeaient cette maison de rapport pour cinq jeunes hommes en pension complète, avec les déjeuners préparés, pour 12 $ la semaine, ce qui était exactement dans la limite de mon budget, me laissant assez pour économiser et faire venir ma femme et mes deux enfants d’ici un an ou deux. En deux semaines, on m’a offert le travail de garçon de bureau à Thos. Cook and Son, la première Agence de Voyage en ville et je n’ai jamais regretté.

J’ai construit et dirigé une agence de voyages dans plusieurs branches respectables dans la région de Vancouver, d’environ une centaine de postes et je suis maintenant retraité.