Kathaleen Lines Caldwell, Patricia, John

Mur d'honneur de Sobey

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Kathaleen Lines Caldwell, Patricia, John

Venir au Canada

Ce n’est pas uniquement le récit de mon arrivée au Canada mais aussi celui de ma belle-sœur, Joyce, qui est malheureusement décédée il y a dix ans.

J’habitais à Bayswater, à Londres en 1939 et c’est l’année suivante que j’ai rencontré mon mari. Nous nous sommes mariés en avril 1941. Ma fille, Pat, est née en septembre 1942 et a assisté avec moi en 1943 au mariage de la sœur, Joyce, de mon mari à Bexleyheath, dans le Kent, sa ville d’origine.

A la fin de l’année 1943, j’ai déménagé à Woking, Surrey, parce qu’à l’époque mon mari était en garnison pas très loin et mon fils, John, est né en septembre 1944. Le lendemain, Joyce a donné naissance à une petite fille, Gillian. Joyce et moi, nous nous rendions fréquemment visite et nous sommes devenues de bonnes amies.

Lorsqu’il était devenu évident que la fin de la guerre approchait et que les transports seraient ralentis à cause du rapatriement des forces armées et de leurs proches, Joyce et moi avons été inclues dans un petit groupe de civils autorisés à partir à la dernière minute et à assister juste avant le départ à une réunion qui consistait principalement à nous avertir du danger et du caractère pénible de ce qui nous attendait. En fait, on nous a dit que nous serions « les femmes les plus obstinées jusqu’à la fin du voyage. » Joyce et moi, on ne s’est pas découragées. On aurait dû !

En 1944, Noël était froid et frigide et à ce moment-là les ordres de marches sont arrivés – tout était très confidentiel. Le 29 décembre en début d’après-midi, j’étais censée me présenter avec mes deux enfants et des bagages de 40 livres maximum à un Policier Militaire à la Gare de Waterloo. Heureusement, mon mari a pu nous accompagner car je portais une petite malle, John âgé de six mois dans sa nacelle, un sac contenant tous nos vêtements les plus nécessaires et Pat, de 2 ans et demi. Tout ceci aurait été très difficile à gérer toute seule.

Une fois le P.M contacté à Waterloo, on nous a dirigés vers un bus à bord duquel les autres femmes et enfants, dont Joyce et Jill, sont montés et nous sommes partis dans un brouillard épais -un véritable brouillard londonien à couper au couteau- dirigé par un homme qui portait une lampe torche pour éclairer la route jusqu’à l’auberge. A ce moment-là, mon mari a dû nous faire ses adieux et retourner au camp. 18 mois se sont écoulés avant que je ne le revoie.

C’est difficile de se souvenir combien d’entre nous étaient rassemblées mais je ne pense pas qu’il y avait plus de 50 ou 60 femmes avec leurs enfants, pour la plupart des bébés, et on était censées être les seuls civils parmi les forces armées inclus dans ce voyage particulier.

Après nous être reposées et occupé de nos enfants, nous sommes de nouveau montées dans un bus. Il faisait nuit maintenant et on nous a conduites à la gare et ensuite en train jusqu’à Liverpool. Nous sommes restées assises dans le train jusqu’au lendemain matin. On nous a ensuite emmenées vers les quais où nous avons vu l’énorme S.S Mauretania, notre maison des 8 prochains jours.

A bord, nous avons enfin découvert notre logement. Joyce et moi étions avec deux autres filles et leurs bébés dans une cabine à quatre grands lits superposés et une salle de bains. Au total: quatre femmes, quatre bébés et Pat (qui avait 2 ans et demi). Les hublots étaient fermés et obstrués et le seul ventilateur, complètement ouvert et dont les lames n’étaient pas protégées, était sur la couchette juste au-dessus de moi. Heureusement, il est tombé en panne la première nuit au moment de me coucher alors que je me voyais en train de me faire scalper en m’asseyant.

Notre premier repas à bord était fabuleux ; tant de magnifique nourriture que nous n’avions pas vue depuis des années et que nous avons tout de suite engloutie. Je pense que c’était un buffet de bienvenue. En fait, c’est le seul repas dont je me souviens car j’ai eu le mal de mer pendant tout le reste du voyage.

Avec tous ces changements dans son quotidien, Pat était très bouleversée et trop jeune pour comprendre. Alors elle passait beaucoup de temps à crier jusqu’à ce que, épuisée, elle finisse par s’endormir.

Cette première nuit on s’est endormies encore amarrés au quai et nous nous sommes réveillées en route pour le Canal du Nord, les quatre adultes ayant tous un terrible mal de mer. Nous avons ignoré les premiers appels pour les bateaux de sauvetages et avons été surprises, quand, après un coup sec à la porte, la porte de notre cabine était ouverte et une délégation d’officiers du navire est apparue. Ils nous ont demandé pourquoi nous n’étions pas debout sur le pont. L’idée même que nous aurions pu être torpillés ne nous avait pas traversé l’esprit ; à ce moment-là, on l’aurait bien pris ! Cela dit, on nous a strictement ordonné de nous présenter pour les prochains exercices d’évacuation.

On a passé les jours en pleine mer à nous occuper de nos enfants, à les garder propres avec du savon et de l’eau de mer (il n’y avait pas de Pampers à l’époque). Avec les différents services pour les repas, il y avait toujours au moins l’une de nous dans la cabine pour surveiller les bébés. J’avais tout le temps le mal de mer mais je devais emmener Pat à la salle à manger pour les repas. Et, il y avait les inévitables exercices d’évacuation en bateaux de sauvetage, ce qui voulait dire se précipiter jusqu’au pont désigné ou sur le pont à tribord avec John dans sa nacelle, deux gilets de sauvetage, Pat, et mon sac qui contenait tous les papiers nécessaires. Dès que je sortais de la cabine en chancelant, un des hommes qui passaient à toute vitesse attrapait Pat qui hurlait de peur. Je la retrouvais toujours quand j’arrivais sur le bon pont. J’entends encore le bruit de ces centaines de bottes lourdes traverser le couloir dans un grand fracas.

Un jour nous étions sur le pont pour l’exercice d’évacuation, le soleil brillait et il faisait si chaud que l’on est restées là plus longtemps que d’habitude. C’est comme si on avait traversé l’océan Atlantique en zigzaguant et nous n’étions pas loin des Açores. Le lendemain, il y avait des stalactites qui pendaient des bastingages.

Si je me souviens bien, nous sommes arrivés au port de Halifax le 6 janvier 1945. Le nouvel an était passé inaperçu – il n’y avait aucune rencontre pendant le voyage sauf quand nous étions tous rassemblés sur les ponts. En fait, on pouvait voir d’infinies rangées de hamacs suspendus dans ce qui devait être des salons et des salles de bals en des temps plus légers. Mais comme nous sommes restés à bord la nuit, il devait y avoir plus d’une célébration j’en suis sûre.

Avec le recul, quand on pense aux milliers de personnels des forces armées que ces paquebots de grandes lignes Cunard transportaient en sécurité d’un côté et de l’autre de l’Atlantique pendant la guerre, ça relève du vrai exploit. Heureusement, ils ne faisaient jamais partie des convois.

Le lendemain matin nous avons débarqué et une fois sorties, nous sommes passées par ces longs hangars au Quai 21, ce qui, malgré les années, est resté bien frais dans ma mémoire, et par le service des Douanes et Immigration jusqu’au train qui nous attendait. Joyce et moi, ainsi que d’autres personnes, sommes allées jusqu’à Vancouver alors que beaucoup partaient de différentes gares retrouver leur nouvelle maison pendant que nous faisions notre chemin à travers cette terre vaste et enneigée. Le train était tellement chaud et sale que nous sortions à chaque fois qu’il s’arrêtait et nous marchions le long du quai, sans manteau, pour nous rafraîchir.

Rester propres et laver les couches était très difficile avec un tout petit lavabo, alors c’était une aide incroyable quand, pendant un long arrêt (en Alberta je crois), des femmes de la Croix-Rouge sont venues avec tout l’équipement nécessaire et qu’elles ont lavé les bébés pour la première fois depuis des jours, les pauvres chéris.

Arrivées à Vancouver le 12 janvier, nous sommes restées la nuit dans le train et nous étions surprises de nous retrouver interviewées par la presse une fois descendues à la gare. On nous a alors emmenées au magnifique bateau CPR amarré au port, avec des compartiments privés (l’occasion de nous rafraîchir) pour ensuite traverser le détroit de Géorgie jusqu’au beau port propre de Victoria. Quelle vue c’était, le panneau « Bienvenue à Victoria » – nous étions enfin arrivées!

Notre belle-famille nous attendait à notre arrivée pour nous conduire à notre première demeure au Canada, un petit chalet d’été à Prospect Lake, à environ 20 miles de Victoria. Je pourrais écrire un livre sur nos expériences là-bas : nos tous premiers jours, c’est comme ça que Joyce et moi les appelions. Deux citadines avec nos deux bébés de six mois et Pat. Pas d’eau courante, des tonneaux pour recueillir l’eau de pluie et une centaines de mètres pour traverser la rue puis descendre le chemin qui menait au lac pour finalement ramener l’eau en seau. Des toilettes extérieures dans les bois le long d’une piste recouverte de limaces (le fléau de notre vie) un poêle à bois et à charbon. Joyce et moi regardions émerveillées ce qui ressemblait à un mur de bûches empilées dehors, et nous pensions qu’il y avait là assez de petit bois jusqu’à la fin des temps. Nous avions seulement vu du charbon brûler dans les cheminées en Angleterre et il n’y avait pas assez de bois pendant la guerre. Le seul bois que nous avions vu était des petits tas de bâtons de six pouces qui étaient utilisés avec parcimonie avec du papier journal à « beignets » pour allumer le feu.

Heureusement, le poêle était déjà allumé pour nous et notre belle-famille nous avait fourni des denrées alimentaires de première nécessité, alors la première fois qu’on a essayé de cuisiner nous avons fait cuire des oeufs qui, après une éternité, n’ont jamais cuit mais ont durci de toute façon. En plus de la pile de bois, il y avait aussi du charbon pour faire marcher le poêle toute la nuit, et on s’est rendu compte plus tard que, mis à part une cheminée ouverte dans le salon, c’était là notre seule source de chaleur. La première fois qu’on s’est efforcées à s’occuper du poêle, on l’a rempli de charbon….il est très vite devenu très chaud ! On a pratiquement mis le feu au chalet.

Aucune de nous ne s’y connaissait en cuisine et on a eu bien des catastrophes mais on a survécu. On n’avait aucune idée de la densité de la cambrousse qui nous entourait et c’est un miracle que Pat ne se soit pas perdue ou noyée dans le lac. Quand il faisait plus chaud, nous aimions nager dans le lac.

On y amenait notre savon et on se lavait là-bas aussi. Pour ne pas avoir à transporter l’eau il était aussi plus facile d’amener notre lessive et de la rincer dans le lac. C’était peut-être primitif mais les gens étaient gentils et accueillants, et il n’y avait pas de pénurie de nourriture, de panne de courant, de bombardement aérien, pas de bombe volante V-1 ou V-2. C’était un autre monde et on s’y adaptait.

Finalement nos maris sont revenus et la vie normale a repris son court. Les années, tellement d’années ont passé et les petits qu’on a amenés jusqu’ici dans des conditions si éprouvantes sont maintenant parents et grands-parents eux-mêmes. Ma fille, Pat, son mari et moi sommes allés récemment visiter la Nouvelle-Écosse et le magnifique musée du Quai 21. Beaucoup de souvenirs me sont revenus et nos noms sont liés pour toujours avec ceux des autres immigrants sur le Mur d’Honneur. C’est un beau mémorial pour nous les nouveaux arrivants, nous qui sommes venus par le Port d’Halifax et qui sommes maintenant de fiers citoyens canadiens.

-Kathleen Mary Caldwell 9 décembre 1999