Mur d'honneur de Sobey
Colonne
36
Rangée
20
L’histoire de ma mère
Notre mère, Janet Black Thomson, est née le 10 janvier 1922, à Bathgate, dans le West Lothian, en Écosse. Elle était la plus jeune des quatre enfants d’Elizabeth et William Thomson, un tailleur et fervent presbytérien. Surnommée « Nettie » par les membres de la famille, elle a grandi en tant qu’enfant chérie et était très proche de sa sœur Isabella (Ella) et de son frère Raeburn (Rae), surtout après la mort de leur frère aîné, Robert, en 1934. En 1940, elle débute sa formation d’infirmière, à l’instar d’Ella, et était toujours en formation lorsqu’elle a rencontré, en 1942, notre père, Douglas Boyle, patient souffrant d’une appendicite à l’hôpital de Bangour, près d’Édimbourg.
Apparemment, ce fut un coup de foudre mutuel pour les deux et leur relation a grandi au fil des mois suivants. C’était une tradition pour notre grand-père de recevoir à la maison Thomson de jeunes hommes au service de la guerre et loin de leur famille pour le repas du dimanche et Douglas, ce Canadien de 19 ans, est vite devenu un habitué dès que son navire se trouvait ancré dans le Firth of Forth. Autant la famille Boyle au Canada et celle des Thomson exhortaient le jeune couple à remettre leur mariage à la fin de la guerre, mais finalement, grand-papa Thomson a écrit aux Boyle en affirmant qu’il était préférable de les laisser aller de l’avant. Jan et Doug se sont donc mariés le 30 avril 1943, à l’église presbytérienne St. David, à Bathgate.
Doug était de retour en mer en avril 1944 lorsque sa première fille, Elizabeth (Beth), est née à la maison de santé St. Mary’s Nursing Home à Édimbourg. La naissance d’un enfant « Canadien » signifiait que son épouse et le bébé devaient être déplacés dès que possible vers la sécurité qu’offrait le Canada. Ils se sont alors fait dire de se tenir prêts pour leur évacuation imminente vers le Canada. Mais ce ne fut pas avant que Beth ne soit baptisée à l’église Saint-David le 2 juillet - le dimanche le plus proche de la fête du Dominion du Canada. Elle portait une robe confectionnée par l’une des amies de Jan à partir de sa propre robe de mariée, car les tissus raffinés étaient impossibles à trouver durant la guerre. Cette robe est devenue la robe de baptême de la famille, portée jusqu’à présent (en 2012) par 15 enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants Boyle.
Avant que Jan ne sache quand elle allait quitter l’Écosse, elle et sa famille ont subi un terrible choc lorsque la nouvelle arriva que son frère bien-aimé Rae avait été tué près de Caen, le 27 juillet. Laisser derrière sa famille endeuillée et la seule maison qu’elle ait jamais connue fut une rupture terrible. Le 12 octobre, le message est venu qu’elle et son bébé devraient procéder avec le plus grand secret et se rendre à la Shawlands Academy , à Glasgow le 14 octobre suivant, où ils allaient passer la nuit avant l’appareillage. Maman ne nous a jamais dit combien son départ de Bathgate avait pu être douloureux.
Dès la première soirée à la Shawlands Academy, elle y rencontre une nouvelle amie : Pat Campbell Edwards, qui avait été formée avec la sœur de Jan, Ella, à Glasgow. Elle-même épouse de guerre, Pat se mettait en route pour rejoindre la famille de son mari Ralph, sur l’île de Vancouver. Le lendemain, les deux femmes et bien d’autres personnes montaient à bord d’un train en direction de Greenock où ils devaient s’embarquer sur l’« Île-de-France », ancré au large. Le navire avait entrepris son voyage à Southampton, où il avait accueilli des troupes de retour et des épouses de guerre anglaises. Après avoir quitté l’Écosse, le navire s’est dirigé vers le sud à travers l’Atlantique en raison de l’observation de nombreux sous-marins allemands dans l’Atlantique Nord.
Lors de l’accostage au Quai 21 d‘Halifax, les épouses de guerre sont restées à bord pour une journée de plus car le jour d’arrivée était réservé au débarquement des troupes. Après être passées par l’énorme hangar d’immigration, Jan et Beth, aidées de Pat, ont pris le train en direction de Montréal et de diverses villes de l’Ouest du pays. Une fois à Montréal, Jan a fait des adieux temporaires à Pat et a rencontré la première personne de sa nouvelle famille canadienne, sa belle-sœur Irene, qui avait été envoyée à sa rencontre pour l’accompagner à travers le Canada jusqu’à Revelstoke, en Colombie-Britannique. Arrivant à Revelstoke au début de novembre, Jan n’en croyait pas ses yeux de voir les montagnes et la quantité de neige. Quelque part en chemin, elle avait acquis un manteau de fourrure car toutes les photos prises au cours de ses premiers mois au Canada la montrent toujours portant celui-ci.
Ses nouveaux beaux-parents étaient aimables et accueillants et enchantés par leur premier petit-enfant. Par contre, maman était moins enchantée par le nouveau carrosse surbaissé qu’ils lui ont présenté car elle avait laissé derrière elle en Écosse un superbe landau à ressorts. Doug s’est joint à eux lors de son congé au début 1945 et c’est à ce moment qu’une série de portraits de famille ont été pris à Revelstoke.
Cet été-là, la jeune famille s’installe dans sa première demeure à Royal Roads, près de Victoria, et en novembre suivant, un petit garçon, Allan William, voit le jour. Malheureusement, leur seul fils bien-aimé est mort d’une occlusion intestinale à l’âge de 5 mois. Ils avaient le cœur brisé et Jan rêvait tant du réconfort de sa propre famille que les Thomson ont emmené Jan et Beth à leur domicile en Écosse pendant quelques mois de l’été 1946. Ils sont revenus au Canada et un an plus tard, une deuxième fille, Isobel, naissait. Sa belle petite fille à la chevelure châtaine a beaucoup fait pour égayer Jan et sa vie a commencé à prendre les allures de celle d’une famille d’officier de carrière avec des déménagements de Victoria à Ottawa, à Halifax, puis de retour à Victoria.
En 1951, une troisième fille, Heather, est née et puisque Doug partait en mer pour une longue période, Jan emmena ses trois petites filles en Écosse en mars 1952, afin de réconforter son père après le décès prématuré de sa mère. Cette fois, elle resta en Grande-Bretagne pendant deux ans car Doug fût bientôt nommé à l’état-major de la marine canadienne à Londres, en Angleterre, où une quatrième fille vit le jour, en novembre 1953. La famille est revenue à Ottawa en 1954 et a poursuivi un rythme de vie de famille de la marine, avec ses déménagements ou ses changements d’affectation, tous les deux ans. Maman disait souvent que sa « maison » n’était pas un lieu, mais bien une « famille », où qu’elle se trouve ! À Victoria, en 1959, la plus jeune des filles, Patricia, naissait.
Pour les filles, la vie avait deux modes dans ces années-là. Le mode « Papa en mer » était plus détendu avec chacune d’entre nous, y compris maman, apprenant à cuisiner et à coudre et maman nous racontant des histoires de son enfance heureuse en Écosse et discutant avec elle de drôles d’expressions comme « tu es un véritable petit moulin à paroles » (you’re a wee blether) ou « tu es noire comme le poêle » (you’re as black as the Earl of Hell’s waistcoat) et beaucoup d’autres, toutes prononcées dans son charmant accent écossais. Le mode «Papa à la maison » avait quant à lui tendance à être un peu plus « rangé » et nous nous mettions toutes au pas – bien qu’au fil des ans, l’influence de maman a adouci la méthode stricte de mon père. Nous, les filles, on est devenues assez habiles à négocier notre chemin à travers les deux modes ! Maman n’a jamais laissé la marine prendre le dessus sur notre famille, mais elle a toujours été fière de la carrière de mon père et appuyait son besoin de faire le travail comme il le fallait. En retour, papa était toujours reconnaissant pour son dévouement envers le bien-être de la famille.
Vers le milieu des années 1960, la vie a commencé à changer alors que Beth et Isobel ont quitté la maison pour l’Université et une formation d’infirmière à Victoria, tandis que le reste de la famille s’est dirigé vers l’est, à Ottawa puis à Halifax, suivant la progression de carrière de Doug. Jan avait commencé à assumer le rôle d’épouse d’un officier supérieur dès les années 1950, agissant comme mentor auprès d’autres épouses lorsque leurs hommes étaient en mer. À Halifax, dans les années 1970, elle a également eu à assumer le rôle d’épouse du commandant de la Marine canadienne et apprendre l’art de la réception sur une plus grande échelle comme maîtresse de la maison au Parc de l’Artillerie royale d’Halifax. Elle était amusante avec tout ça, qualifiant le protocole de « non-sens ridicule et de flafla » contraire à sa manière terre-à-terre de faire les choses, mais je crois qu’elle était appréciée des familles et des amis qui l’ont connue.
Jan a toujours conservé son accent écossais, et elle insistait pour dire que l’Écosse était le « Pays de Dieu », une blague récurrente de famille entre elle et papa, qui défendait le Canada. Une drôle d’histoire s’est produite dans les années 1970 quand les épouses de guerre ont perdu leur naturalisation canadienne qui leur avait été accordée lorsqu’elles étaient débarquées au Canada et que maman a découvert qu’elle devait prêter serment pour obtenir son passeport canadien. Très heureuse d’être à nouveau considérée comme étant uniquement Écossaise, comme elle le voyait, Jan ne voulait rien savoir de tout cela. Isobel raconte qu’elle a pratiquement dû traîner maman jusqu’au bureau du juge pour se déclarer solennellement comme étant une Canadienne loyale.
Quatre des filles se sont mariées entre 1966 et 1981, et les cinq premiers petits-enfants sont nés, suivie de cinq autres durant les années 1980. Maman prenait grand plaisir de ses petits-enfants et saisissait toutes les occasions pour aller visiter les jeunes familles et Isobel qui étaient alors réparties partout au Canada.
Après la retraite de mon père de la marine en 1977, Jan et Doug se sont installés à Mill Village, en Nouvelle-Écosse, où ils ont commencé à restaurer une belle ferme vieille de plus de 200 ans. Maman a aimé cette période, prenant soin de son jardin et accueillant ses enfants et ses petits-enfants lors de leurs visites. Mais papa y trouvait la vie un peu trop tranquille à son goût et ils ont déménagé à Ottawa en 1980, où Papa a pris quelques mandats de consultation avant de finalement prendre vraiment sa retraite dans les années 1980. Maman s’occupait très bien à renouveler de vieilles amitiés et à faire du bénévolat à l’hôpital et l’église anglicane Christ Church de Bells Corner. Ils y ont célébré leur 40e et 50 e anniversaire de mariage, entourés de trois générations de leur grande famille.
En 1995, après six mois d’une santé en déclin et soignée par Doug et chacune de ses filles, Jan est décédée à la maison le 29 mars. Elle nous manque toujours beaucoup.
(L’histoire de mon mère a été écrite par sa fille aînée Elizabeth, avec la contribution de ses quatre autres filles, Isobel, Heather, Margaret et Patricia)