Dorothy Schofield-McIlveen

Mur d'honneur de Sobey

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31

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25

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Dorothy Schofield-McIlveen

De Halifax à Halifax, cap à l’ouest

Par Dorothy Schofield McIlveen

Le matin du 20 juin 1946, j’ai pris le train à Halifax, dans le Yorkshire, pour Londres. Je laissais Maman et Papa tristes, appréhensifs mais émus, dans le bon sens du terme. J’ai vite rencontré une compatriote, épouse de guerre, nous étions proches pendant tout le voyage, jusqu’à ce qu’on se sépare au Quai 21.

Il faisait très chaud à Londres et le trajet pour Southampton, en train, était agréable.

À Southampton, l’énorme Aquitania nous attendait pour nous transporter outre-Atlantique, entiers, jusqu’à notre nouveau chez nous au Canada. Le soir où l’on s’est éloigné du quai était une très belle soirée. Un navire de guerre américain, ancré tout près, jouait des morceaux de musique, l’un après l’autre, pour nous dire adieu. On a finalement perdu l’Angleterre de vue.

Une fille, qui était évidemment écossaise, répétait « Je ne reverrai jamais Bonnie Scotland ! ». Nous avions toutes nos propres pensées, certaines tristes, certaines silencieuses. Cela a changé plus tard quand on a découvert où on devait dormir. Les autres femmes qui n’avaient pas d’enfant comme moi, on nous a emmenées en bas. Des hamacs, les uns derrière les autres, pendaient là.

Quelle partie de rigolade d’essayer de s’installer pour la nuit ! Les rires emplissaient toute la pièce. Je n’étais jamais allée au YMCA ou en camp. Quelle révélation j’ai eue, en voyant toutes ces filles habillées, se déshabiller, sans habits. Je dormais comme une souche.

Sortir du hamac le matin était tout aussi drôle que de s’y mettre le soir. Ce qu’on nous servait à manger était succulent, surtout les fruits. Cependant, j’ai trouvé que je ne pouvais pas manger tant que ça.

Avant la guerre, Maman avait acheté un énorme rouleau de crêpe de Chine, tissu dans lequel je m’étais fait des culottes garçonnes, des culottes et des brassières et des chemises de nuit. J’y avais mis beaucoup de dentelle et elles étaient assez délicates, comparées à nos sous-vêtements de temps de guerre. Maman a suggéré que je jette mes vieux sous-vêtements, comme je voyageais, pour avoir tous ces superbes sous-vêtements-là en arrivant à Winnipeg. Les filles avaient lancé un rituel du soir : jeter les vieux sous-vêtements de Dorothy par le hublot. Qu’est-ce qu’on a ri !

Le soir du 29 juin, nous avons jeté l’ancre dans le port de Halifax. Je me souviens qu’il y avait un énorme entrepôt. Je n’avais pas réalisé que c’était là que j’allais le lendemain matin. Une fille habillée en blanc se tenait là, plus bas sur le quai. J’ai pensé qu’ils devaient s’habiller comme ça au Canada. Quelle fraicheur, après nos vêtements de guerre tristes.

Le lendemain matin, on nous a fait entrer au Quai 21. C’était grand, bruyant, et je dois dire que j’étais contente, une fois les formalités réglées, de pouvoir sortir, traverser la voie ferrée et monter dans un train pour l’ouest. C’était un très vieux train, avec des wagons colons. La température se situait dans les 80º. On laissait les fenêtres ouvertes jour et nuit. Il n’y avait pas d’air conditionné et on était couvertes de suie. Les filles faisaient toujours la queue pour se laver, pas seulement les mains, le visage mais aussi les cheveux, et puis pour se rafraichir aussi.

Les arbres et les rochers s’étendaient à perte de vue. On était contentes d’avoir quelques heures à passer à Ottawa. Jouant de malchance, une des filles s’est fait emmener à l’hôpital pour une appendicite.

Le train s’est arrêté à Kenora, en Ontario. Quelqu’un a demandé : « qui sont ces gens ? » La réponse a été : « Ce sont des Indiens ». Tout le monde s’est précipité de ce côté du train. On était déçues, ce n’étaient pas les Indiens de nos livres d’écoles ou ceux des films. Ce n’étaient pas des guerriers qui portaient des plumes. Ce n’étaient pas « nos Peaux Rouges ». À ce moment-là beaucoup de filles étaient descendues et on est vite entrés à Winnipeg. J’ai pensé « Ça y est ! » Mon mari m’attendait, il portait un chapeau en feutre (un Fedora), un costume en tweed et un sourire d’un kilomètre ; il était avec ses parents. Il faisait 84º et je cuisais dans mon ensemble de lin et mes bas. Ma belle-mère était très belle dans sa jolie robe de soie et son chapeau à bords tombants (une femme ravissante, toujours très gentille avec moi).

On est arrivés chez Mac, on a dîné, puis il a dû retourner au bureau quelques heures. J’avais très hâte de voir les magasins. J’ai pris le tramway pour le centre ville, je me suis d’abord arrêtée à la Baie. J’étais complètement stupéfaite de toutes ces belles choses et je suis devenue folle ; j’ai acheté du parfum Coty, du rouge à lèvres, des bas, de nouvelles brassières. Pour les brassières, j’en avais marre de les faire moi-même à partir de bouts de tissus, on aurait dit deux œufs au plat. Maintenant je les aurais pointus comme les filles canadiennes.

En marchant sur Portage Ave., j’ai remarqué une robe blanche avec des bleuets. Je l’ai essayée, je l’ai achetée. C’était une taille 9, elle était un peu large, mais je pouvais l’ajuster. Quelques magasins plus bas, j’ai acheté des chaussures de lin bleues qui allaient avec la robe. J’avais le vent en poupe et je n’étais même pas encore arrivée à Eaton ! À Eaton, j’ai essayé un manteau de fourrure de castor. Il était vraiment doux et élégant (je l’ai juste essayé). Je commençais à comprendre la monnaie, même si je marmonnais en comptant en « pounds », en « shillings » et en « pence ». J’ai poursuivi ma folie de magasinage. Quand je suis rentrée chez ma belle-mère, elle m’a ouvert la porte et a éclaté de rire en me voyant avec tant de sacs.

Mon premier samedi, Mac et moi et quatre autres couples avons pris un train de nuit pour Winnipeg Beach pour passer la fin de semaine au chalet familial. Comme on était le seul couple marié, Mac et moi avons eu la responsabilité d’acheter toute la nourriture de la fin de semaine. Je me souviens que chaque couple a mis 5 $, ce qui couvrait la nourriture et la bière. Les seuls magasins que je connaissais étaient ceux où j’étais allée le premier jour. Nous avons acheté du pain, du lait, des œufs, du bacon, etc. Au comptoir du boucher, il y avait un énorme plateau de viande qui ressemblait à de la gelée. Mac en a acheté deux livres, je lui ai demandé ce que c’était et il a dit que c’était pour faire des burgers. Je me suis dit : « Ah oui ? Qu’est-ce que c’est des burgers ? ». J’ai acheté des saucisses. Pour le souper, on a fait des burgers, on les a cuits au barbecue et ils étaient succulents. Je n’arrivais pas à croire que cette chose ignoble pouvait devenir si bonne.

Dans la soirée, nous sommes allés au bal de la plage dans un hall énorme. Il y avait du bois à mi-hauteur et des fenêtres tout en haut. Comme c’était bizarre ! J’étais la seule fille à porter une robe. C’était la blanche avec les bleuets. On est allés prendre un bain de minuit dans le lac, puis s’en est suivi un bal tardif dans un petit village de pêcheurs sur le Lac Winnipeg. Tous les membres du groupe étaient éméchés, ils buvaient quelque chose dans des bocaux. C’était vraiment fou ! Le soleil s’était levé quand on est rentrés au chalet et qu’on s’est mis au lit. À huit heures du matin, Jim, d’une voix tonitruante, s’est mis à dire « Tout le monde sur le pont, le déjeuner est servi ! » Alors qu’on traversait la cuisine, Betty s’est mise à froncer des sourcils et à secouer ses mains si joliment manucurées, en disant « Des saucisses de Francfort ? Des saucisses de Francfort ? Pour le petit-déjeuner ? ». J’ai dit à Mac « Qu’est-ce qu’il y a, elle a un problème ? » Il a ri, m’a dit « Oh, Dorothy, tu as acheté des saucisses de Francfort au lieu d’acheter des saucisses ! » J’ai répondu « Eh ben, elles m’avaient l’air assez sévères. » On en rit encore aujourd'hui.

L’année suivante nous avons vécu à Brandon où notre fils aîné Tim est né. Ensuite, nous avons habité à Winnipeg où notre fille Margaret et son petit frère David sont nés. Nous avons passé des années à Regina et ensuite nous sommes revenus à Winnipeg pour finalement finir à Victoria sur l’Ile de Vancouver où Mac et moi avons célébré notre 55ième anniversaire de mariage.

Le Canada est un grand pays magnifique. Ma vie ici a été vraiment heureuse. Il en est de même pour notre chère famille, quatre petits-enfants en pleine santé et des amis merveilleux. L’Angleterre restera toujours dans mon cœur, mais le Canada, c’est chez moi.