Femmes et hommes célibataires
(Orphelin de guerre Juif)
Le voyage
Le 14 juin 1948, nous avons été emmenés à la ville portuaire de Brême, en Allemagne, et on nous a donné deux dollars américains et ma première bouteille de Pepsi-Cola. J'étais certain que je serais ivre avant d’avoir fini la bouteille et j'étais prêt à tout. À 8 h 15, nous sommes embarqués sur le SS Marine Falcon, un « Liberty ship » qui avait été construit pour la marine américaine. Ces navires servaient de transport aux troupes qui retournaient à la maison à la fin de la guerre. Je crois que grâce à la générosité du gouvernement américain, ils ont été dédiés à notre transport vers le Canada. J’étais bien impressionné par les lits superposés recouverts de draps tout blancs et munis de paniers suspendus pour le mal de la mer, juste au cas... La salle à manger était impeccablement propre. Les tables étaient recouvertes de nappes blanches immaculées. J'ai été très impressionné par tout ce qui était propre et blanc. Il y avait beaucoup de bonne nourriture servie par des serveurs noirs portant une veste blanche. Le café, la crème et le sucre étaient laissés sur les tables. Nous pouvions en prendre autant que nous en voulions, pendant et après les repas. J'étais émerveillé par tout ce que je voyais et j’ai immédiatement commencé à tenir un journal (en hongrois) pour toute la durée du voyage. Je ris encore de constater mon exaltation et mon innocence juvénile, lorsque je relis ce journal après toutes ces années.
C'était notre premier voyage en mer. Certains ont eu le mal de mer dès que le navire eut quitté le port, d'autres plus tard, quand le mauvais temps s’est installé. Bien vite, le navire s’est mis à tanguer comme un bouchon de liège en pleine mer. Les pauvres âmes affligées du mal de mer ont été incitées à rester sur le pont supérieur durant la tempête. Ils se sentaient misérables et avait l’air misérables – à peine capables de se tenir debout sur leurs pieds avec des couvertures enroulées autour de leurs épaules. J'ai appris rapidement qu’il ne fallait pas rester sous le vent près d'eux. Mon ami de toujours et compagnon de couchette Mike Blum ressemblait encore une fois à un « Muscleman », un sobriquet que les gardes SS donnaient à ceux qui, dans les camps de concentration, n’avaient que la peau et les os et allaient bientôt mourir de malnutrition ou de dysenterie. Mike pensait qu'il était en train de mourir et il ressemblait à cela. Parce que je parlais un peu l'anglais, il m'a demandé de lui trouver un médecin à bord du navire. Le bon docteur s’est moqué de notre état de panique et nous a dit ne pas nous inquiéter. Il a dit que, quand l'orage serait passé ou que Mike descendrait du navire, il serait bien vite rétabli.
Extraits du journal de Bill Gluck, traduits par lui-même (vers l’anglais)
Halifax, 23 juin 1948
Nous sommes entrés dans le port vers 10 h le matin. À midi, nous sommes débarqués près de la gare où un certain nombre de gens aimables nous attendaient avec des oranges, des cigarettes et des chocolats. Ils ont acheté des timbres et ont mis nos lettres à la poste. Puis le train a commencé à rouler en direction de Toronto. Cette fois, nous nous sommes retrouvés dans de belles cabines de première classe qui se transformaient facilement en couchettes pour la nuit. Les draps étaient d’un blanc étincelant. En plus de l’équipement chic, nous avons aussi constaté que la nourriture était assez bonne. Douze personnes étaient restées à Halifax, le reste d'entre nous serait divisé entre Toronto et Winnipeg. Le voyage durera 24 heures. C'est un voyage plus confortable et j’anticipe les développements à venir avec beaucoup de curiosité.
Montréal, 24 juin 1948
J'ai passé une bonne nuit à bord du train et la nourriture était aussi assez bonne. Il était 21 h quand nous sommes entrés en gare à Montréal. Des représentants du Congrès Juif étaient déjà là, à nous attendre. Dudu Klara et Csoki d’Aschau étaient également là. Nous avons été transportés par autobus jusqu’à notre refuge temporaire où nous nous sommes lavés et baignés, nous quatre – Brandi, Blumi, Yunger et moi-même – étions installés dans une belle chambre. Nous resterons ici pour une durée de trois semaines. Le personnel de la maison est très agréable. Même si la sonnerie retentit à 8 heures, nous, les nouveaux arrivants, serons autorisés à dormir davantage.
Montréal, 25 juin 1948
J'ai passé une nuit des plus agréables dans un lit garni de draps d’un blanc de neige. Aujourd'hui, nous recevrons des vêtements et du « fric ». Je me demande bien combien nous recevrons.