Comment manger de la terre a façonné la relation qu’un homme entretient avec la nourriture

Prince Churchill, un homme noir de 24 ans portant la barbichette et un pic à cheveux dépassant de son afro. Deux triangles jaunes dessinés à la main flottent au-dessus de sa tête, évoquant peut-être une couronne.

Prince Churchill est actuellement artiste en résidence au Musée. Avec l’aimable autorisation de Prince Churchill.
 

Prince Churchill est né dans la pauvreté en Haïti, puis a été placé dans un orphelinat à l’âge de 6 ans. En tous cas, il pensait qu’il avait six ans — nous y reviendrons.

Prince est actuellement artiste en résidence au Musée, où il crée et conserve une collection d’œuvres d’art, d’histoires et de recettes. Il est diplômé du Nova Scotia College of Art and Design et dirige un studio nommé Art by Prince.

La lutte pour se nourrir

Enfant, avant d’arriver à l’orphelinat, il se souvient qu’il en était « au point où nous étions six personnes dans un bâtiment au toit de tente mesurant peut-être 10 pieds par 10 pieds ».

Pour calmer la faim, ils mangeaient des « biscuits à la boue, qui sont littéralement de la terre avec du sel et du sucre pour calmer la faim ». À d’autres occasions, lui et son frère volaient des craquelins sur les étals des marchés. Ou bien ils fabriquaient des lance-pierres avec tout ce qu’ils trouvaient et s’en servaient pour tirer sur les petits oiseaux, qu’ils mangeaient. « Ces histoires peuvent paraître tristes, dit Prince, mais elles font partie de mes meilleurs souvenirs et m’ont aidé dans mon parcours d’entrepreneur, à m’adapter et à ne pas abandonner. »

Lorsqu’il a emménagé dans l’orphelinat, il était ravi de pouvoir manger régulièrement. Cette expérience l’a marqué. « Mon plat préféré est de loin le riz, les haricots et le poulet », un plat qu’il affirme avoir mangé à l’orphelinat plus de trois fois par semaine.

Mais, dit-il, « aucun d’entre nous n’était jamais rassasié ».

Il a vécu à l’orphelinat pendant quatre ans, jusqu’en 2010, date à laquelle il a été adopté par une famille canadienne. Il a donc déménagé chez celle-ci à Lower Sackville, en Nouvelle-Écosse.

« Ça m’a renversé. »

Cela a bien sûr changé tous les aspects de sa vie, y compris sa façon de voir la nourriture.

« Lorsque j’ai déménagé au Canada, l’idée que l’on puisse manger de la nourriture et être rassasié m’a renversé. »

« Mon rapport avec la nourriture était très tordu... J’avais des vers dans l’estomac, alors je mangeais beaucoup, se souvient-il, deux fois, peut-être trois fois plus que mon père adulte. »

Mais il ne s’agissait pas que de la quantité de nourriture. « J’étais aussi très protecteur de la nourriture que j’avais, car à l’orphelinat, je plaçais toujours mon bras autour de ma nourriture pendant que je mangeais. »

Le médecin a dit de le laisser manger — qu’il serait sain qu’il prenne du poids. « Mais c’était aussi un moyen pour moi de comprendre que j’étais en sécurité. Que la nourriture n’irait nulle part. »

La faim, moteur de transformation

La petite enfance de Prince en Haïti façonne encore aujourd’hui le rapport qu’il entretient avec la nourriture.

« En y repensant aujourd’hui, ça m’aide à ne pas gaspiller la nourriture et à ne pas la tenir pour acquise, dit-il. Lorsque les gens gaspillent de la nourriture, ça me brise vraiment le cœur. J’ai même travaillé dans l’industrie de la cuisine pour éviter ça, et j’ai fait tout un projet de conception afin de trouver un moyen d’éviter le gaspillage alimentaire, parce que c’est une chose qui me fâche vraiment. »

Il s’est associé à des restaurants et à d’autres entreprises du secteur alimentaire de la région d’Halifax. « Nous utilisions des peaux de banane, des légumes, du bouillon et n’importe quoi d’autre — ces parties que l’on jette — et nous les broyions. » Il a transformé ces aliments autrement gaspillés en pigments à l’aide de procédés de traitement chimique, puis en a fait des peintures à l’aquarelle.

Le projet s’appelait Palette Paint. « J’ai en quelque sorte utilisé l’art et la nourriture pour changer mon point de vue », dit Prince.

Une peinture d’artiste représentant une assiette de riz et de haricots dans laquelle se trouvent aussi un demi-avocat et un pilon de poulet.

Le riz et les haricots avec du poulet étaient un aliment de base à l’orphelinat où Prince a passé plusieurs années de son enfance. Peinture de Prince Churchill.

Une identité en mutation

Comme il n’a pas choisi le Canada, Prince dit qu’il ne se considère pas souvent comme un immigrant. Étant adopté, son histoire d’immigration est différente. Il partage pourtant les observations de ses amis immigrants, notamment en ce qui concerne la « taxe d’immigration » — le sentiment d’être obligé d’envoyer de l’argent dans son pays d’origine pour subvenir aux besoins de sa famille.

Bien qu’il connaisse certains membres de sa famille haïtienne, il n’entretient pas de contacts réguliers avec eux, car « il semble que des événements aléatoires surviennent et que je doive modifier mon identité par rapport aux souvenirs que j’en ai. Et au fil du temps, c’est très perturbant, quand les gens vous disent des choses à votre sujet qui sont manifestement vraies, mais que vous ne saviez pas, et ça change votre auto-perception. »

Tout au long de sa vie, Prince a dû « modifier » son identité à plusieurs reprises — d’orphelin à membre d’une famille, d’Haïtien à Canadien d’origine haïtienne. Mais l’année dernière, il a appris qu’il avait deux ans de plus que ce qu’il pensait — que lorsqu’il est entré à l’orphelinat, il avait probablement huit ans et non six. Cette découverte fut non seulement une nouvelle source de bouleversements, mais aussi un changement forcé de son identité. Il est compréhensible qu’il s’en tienne à dire qu’il a 24 ans plutôt que 26. « C’est moins déroutant », explique Prince.

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