Partir de chez soi et venir au Canada
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(Cette vidéo n'est disponible qu'en anglais; la transcription a été traduite de l'anglais.)
Mais nous avions l'habitude de nous promener autour des collines de Salzbourg. Nous regardions les skieurs, c'était vraiment super. Et puis, nous avons été acceptés pour venir au Canada très rapidement parce que, et je n'en ai pas encore parlé, la troisième sœur Boezsi [Elizabeth] —Souvenez-vous, il y avait Olga, il y avait ma marraine qui se trouvait à Budapest—mais la troisième sœur, à cette époque, habitait à Montréal. Ils étaient partis, avec son mari, et ils étaient parmi les dernières personnes à avoir quitté la Hongrie avant que les communistes ne s'emparent du pouvoir. Ils avaient réussi à se rendre au Canada. En gros, ils ont eu l’approbation. C'était la seule façon, de partir vers l'Israël. Mais son mari n'avait jamais voulu aller en Israël et il est demeuré à Vienne alors qu'elle—elle n'avait pas le choix—elle est allée en Israël pendant quelques mois. Elle n'a pas aimé ça. Elle a détesté ça. Elle a tout simplement, vous savez, il faisait chaud et c'était, c'était étrange pour elle. Et puis, son époux a réussi à obtenir—Je ne sais pas comment il a fait, qui sait? A-t-il payé quelqu'un? Je ne sais pas comment il a fait—mais il a réussi à obtenir un passage vers le Canada et il s'y est rendu. Elle est allée le rejoindre. Et donc, à cette époque, ils habitaient à Montréal depuis environ quatre ans. Alors, quand nous sommes sortis, bien entendu, l'une des choses que l’on considère, c'est si vous avez de la famille au Canada. Et nous avons pu affirmer que oui, oui nous en avions. Et ils leur ont fait signer quelques documents à Montréal. Et donc, notre transport a rapidement été arrangé. Je veux dire, nous sommes arrivés en Autriche—je crois que c'était le 16 décembre—et le 21 février, nous étions à Montréal. Donc, vous savez, nous avons simplement, c'était Salzbourg. Du bon temps. Vous êtes dans un hôtel à Salzbourg. Les papiers sont arrivés. Nous avons passé des examens médicaux. Nous sommes allés à Vienne. Nous avons passé la nuit à, euh, au sud—la Südbahnhof —la gare située dans le sud de Vienne. Nous avons pris le train pour traverser l'Europe afin de nous rendre à Ostende, dans les Pays-Bas, et c'était vraiment un voyage glorieux. Ça vous montre comment la politique fonctionne vraiment. Pendant la Guerre froide, mon Dieu, toutes les stations d'Autriche et d'Allemagne avaient des enseignes : « Bienvenue aux combattants de la liberté! La liberté sera victorieuse! » Toutes sortes de bonnes choses. Puis nous sommes arrivés en Belgique et nous avons monté à bord du bateau se dirigeant vers Ostende. Nous sommes allés à Douvres. À Douvres, c'était soudainement, tout était étrange. Je n’oublierai jamais que tant que vous étiez sur le continent, tout était encore assez familier, je veux dire, tout était en allemand aux alentours et j'avais beaucoup entendu l'allemand pendant mon enfance. Et, vous savez, lorsque j’ai quitté l'Autriche, je dis que non, mais je devais parler un peu l'allemand, puisque lorsque nous sommes ensuite retournés en Allemagne, j'ai littéralement appris l'allemand en deux mois. Vous savez, pour faire—à un niveau que, après deux mois, je pouvais entrer à l'université. Alors bon, ce genre de chose n'arrive pas. Je veux dire, je sais que je suis assez bon en langues, mais c'est—Je devais déjà l'avoir en tête. Alors, euh, sur le continent, tout était encore, je ne sais pas, ce qui semblait être normal pour nous. Mais là, quand nous sommes arrivés en Angleterre, soudainement, tout était absolument étrange. De drôles de trains où vous—Plutôt que de monter de chaque côté, ils avaient ces étranges petites portes sur toute la longueur. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ces trains d'Angleterre. Mais, dun dun dun dun dun. Une langue qui était totalement, totalement, au—au—aucune syllabe n'était familière. Et, même la façon de parler était complètement différente. L'apparence des gens et la façon dont ils s'habillaient, tout était différent. Alors, je veux dire, j'ai réalisé que j'étais vraiment à l'étranger quand je suis arrivé à Douvres. Et puis, à bord du navire—nous sommes arrivés à bord de l'Empress of Britain. Et l'Empress of Britain était un navire plutôt luxueux du Canadien Pacifique. La moitié des gens qui étaient à bord du navire avaient payé leur traversée. Ils étaient donc bien habillés, habillés pour le souper, vous savez, une salle à manger magnifique. Et la moitié d'entre nous étaient des réfugiés ordinaires. Et, je veux dire, tout le monde était simplement un peu—nous ne savions pas où—quoi faire ni où nous nous trouvions. On devait s’assoir dans la salle à manger et, bien sûr, il y avait tous ces outils pour manger, c'est-à-dire un couteau, deux couteaux, trois couteaux, un pour—et personne n'avait la moindre idée à quoi pouvaient servir toutes ces choses. Et nous étions, d'une façon ou d'une autre― le Hongrois moyen de la période suivant la Seconde Guerre mondiale n'était pas exposé à huit couteaux et une assiette de présentation et une assiette à soupe. Ce n'était tout simplement pas le cas. De façon générale, vous savez, à l'orphelinat, je m'en souviens très bien, nous avions une assiette et une cuillère. Et peu importe ce que l’on mangeait, on—on mangeait ça là-dedans et au prochain repas— on mangeait ça là-dedans. Et puis, on se retrouve à bord de ce navire—c'était très étrange. Et nous étions sur l'Atlantique Nord. C'était au beau milieu de l'hiver. Une traversée très orageuse. Et un peu—il y avait un autre garçon hongrois de mon âge et nous flânions sur le navire, nous regardions la mer et, nous étions tous les deux—Je me souviens d'avoir été très excité, mais aussi de m'être senti très, très coupable. Totalement—comme si je trahissais tout. Coupable. Totalement coupable. Très, très coupable.
Histoire orale 15.12.01PD avec Peter Duschinsky
Musée canadien de l'immigration du Quai 21