Mon frère et moi avons voyagé à titre de citoyens italiens munis de passeports italiens. Mon grand-père vivait à Copenhague, mais était d'origine italienne et n'avait jamais pu devenir citoyen danois; cette même règle allait être transmise et s’appliquer à ses enfants, puis à nous.
Je n'avais jamais rencontré mes parents avant d'arriver au Canada. Mon père a travaillé et a vécu dans diverses ambassades étrangères et, malheureusement pour moi, les enfants n'y étaient pas admis. Ma mère est décédée quelques mois après ma naissance. Mon père s'est remarié avec une Italienne aussi à l'emploi d'une comtesse italienne qui s'était rendue au Danemark lorsque la reine Elizabeth II, alors princesse, est venue à Copenhague. J’ignorais donc tout du décès de ma mère jusqu'à ce que mon frère m’en parle durant le voyage à bord du navire et qu’il me montre des photos d'elle. Compte tenu de mon âge à cette époque, il ne s’agissait pas d’un problème très grave. Mais plus les années ont passé, plus je me suis rendu compte à quel point la perte d'un parent pouvait être marquant. Mon frère a eu la chance de vivre avec un de nos oncles, ce qui lui permettait de visiter mon père et ma nouvelle mère. Alors oui, ce fut un très grand événement de ma vie de rencontrer les parents que je pensais ne jamais avoir eus, ayant vécu dans un orphelinat au Danemark. Tout ça a donc changé le jour où un oncle est venu me chercher et m’a aidée à me préparer pour ce long voyage sur l'Atlantique à bord du navire Stockholm.
Campolin est un nom italien originaire de Maniago, dans la province d'Udine, la partie nord de l'Italie. J'ai aujourd'hui de la famille à Rome et à Copenhague, mais l'italien dans mon sang semble être plus fort; lorsque je suis arrivée, je devais parler danois à mon père, qui à son tour devait traduire mes propos en italien à ma mère afin qu'elle comprenne mes besoins, mais finalement, j’allais parler mieux l'italien que le danois. Mon mariage à un Italien m'a aidée à préserver la langue. Walter et moi sommes mariés depuis 42 ans. Nous avons deux fils mariés et quatre petits-enfants.
À bord du navire, mes souvenirs sont un peu confus. Je me souviens que nous avions été placés sous la protection du capitaine; nous mangions donc avec lui tous les soirs et avions le droit d'errer sur le bateau dans des endroits non autorisés au grand public. Bien sûr, cela a suscité la curiosité de mon frère qui avait un esprit très scientifique et adorait explorer le bateau. Mais la curiosité est un vilain défaut, comme on dit, et mon frère finit par tomber et se cogner la tête. On l'emmena à l'infirmerie où des soins médicaux lui furent dispensés. On lui mit un gros pansement autour de la tête. Cela causa tout un émoi et les médecins inspecteurs nous attendaient à notre arrivée au port, mais le capitaine les rassura immédiatement. Je crois que nous avons quitté Copenhague autour du 26 novembre 1951 et que nous sommes arrivés à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 5 décembre 1951… juste à temps pour que je célèbre Noël en compagnie de mes parents pour la toute première fois.