22 avril 1957
J’ai accosté à Halifax le matin du 22 avril 1957, à 9 h 15. Je me souviens que c’était le lundi de Pâques. Nous étions tous sur le pont à regarder les nombreux hommes amarrer l’Olympia à la main, tirant d’énormes cordages comme s’ils jouaient à la « souque à la corde ». Personne ne disait mot, chacun perdu dans ses propres pensées. Se retrouver sur une terre nouvelle, un continent nouveau, une vie nouvelle… il n’y avait pas de mots pour cela. Nous avons été regroupés dans un grand bâtiment et après les contrôles d’immigration, dirigés vers le train qui nous mènerait à notre destination. Je voulais envoyer une carte postale à la maison disant que j’étais arrivé en toute sécurité, mais je n’ai pas trouvé où acheter un timbre.
En regardant l’itinéraire que j’ai tracé sur la carte du Canada, toutes sortes de souvenirs me reviennent à l’esprit. Les sept jours en mer sur l’Olympia ont été plaisants, remplis de jeux et de bonne bouffe. Le wagon sur lequel nous avons voyagé d’Halifax à Montréal avait des bancs de bois et il faisait très froid, mais je ne m’en faisais pas. J’étais assis avec les nouveaux amis que j’avais rencontrés sur le bateau et nous étions tous fascinés par la nouvelle terre, le beau paysage toujours changeant qui défilait à travers les fenêtres du train. À Montréal, nous avons été regroupés à nouveau et identifiés par un ruban; certains rouges et d’autres verts. Selon la couleur, on s’embarquait sur un train différent, celui du Canadien Pacifique ou celui du Canadien National. Il fut difficile d’être séparé des amis car on s’était fait la promesse de s’entraider. Je me retrouvais maintenant seul pour me débrouiller. Je suis monté à bord du train du CP et bien vite, je me suis fait de nouveaux amis. À Montréal, on nous a donné un petit sac contenant un livret avec des conseils de santé (MTS), quelques barres de chocolat et une petite boîte de Corn Flakes avec laquelle personne ne savait ce qu’il fallait faire...
Ce nouveau wagon était très bien. Il était confortable et avait même une fontaine d’eau froide. Nous étions tous des immigrants dans ce wagon et nous passions le temps à jouer aux cartes, en admirant ce paysage toujours nouveau et en rêvant à l’avenir. Nous mangions beaucoup d’arachides grillées et de barres de friandises achetées auprès du vendeur. C’était un homme très drôle et agréable, nous avons même découvert que les flocons de maïs, les fameux Corn Flakes, étaient bons à manger. J’avais un dictionnaire de poche italien-anglais et cela faisait de moi l’interprète entre les gars. Lors de l’un des arrêts du train, ils m’ont envoyé acheter quelque chose à manger et lorsque je faisais la ligne, j’ai entendu la personne devant moi dire « cheese sand » (sandwich au fromage). Alors j’ai dit la même chose en indiquant de la main le chiffre « cinq ». Quelle surprise ce fut quand nous avons ouvert nos emballages : du pain mou et du fromage jaune ! Ce n’était certainement pas comme notre « panini » italien, mais nous étions affamés et nous les avons mangés. Le 24 avril, c’était mon vingtième anniversaire. En regardant la carte, nous étions encore en Ontario. Je ne l’ai pas dit à personne et je n’ai pas célébré… peut-être aussi que c’était le jour où j’avais mangé ce fameux « cheese sand » !
Le 27 avril, après cinq jours et cinq nuits de voyage, nous sommes arrivés à Vancouver. J’étais chanceux car j’avais des amis qui m’attendaient. Dès le lendemain, j’'ai commencé à travailler, dans le domaine de l’aménagement paysager. Avec le recul, c’était un début difficile, mais je ne l’ai jamais regretté. C’est probablement la raison pour laquelle, j’ai toujours aimé le Canada, tout comme le dicton «plus difficile est le combat, plus douce est la victoire ». Aujourd’hui, je suis fier d’être un Canado… Italien.