Faim et espoir : La migration irlandaise vers le Canada pendant la famine

Résumé

La Grande Famine de la pomme de terre (1845-1852) est au cœur de l’identité irlandaise et des commémorations qui se déroulent au Canada. Environ 100 000 Irlandais et Irlandaises ont émigré au cours de la seule année 1847, fuyant la pauvreté, la maladie et les mauvaises récoltes de pommes de terre. Ils se sont d’abord installés dans les provinces actuelles de l’Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. En 1860, la famine et les migrations qui en ont résulté avaient réduit la population de l’Irlande de 8 millions à 2 millions d’habitants. En 1871, les Irlandais constituaient le groupe ethnique le plus important des villes et des villages du Canada, à l’exception de Montréal et de Québec.

par Jan Raska, Ph. D., historien

Introduction

Le Canada abrite la quatrième plus grande diaspora irlandaise du monde.[1] Selon le recensement canadien de 2021, 4 413 120 Canadiens et Canadiennes se sont déclarés entièrement ou partiellement d’origine irlandaise. Au sein de cette population, 3 819 255 Canadiens et Canadiennes ont déclaré des origines multiples, tandis que 593 865 Canadiens et Canadiennes ont déclaré n’être que d’origine irlandaise.[2] La communauté irlandaise canadienne représente 11,9 % de la population totale du Canada.[3] Ces chiffres incluent les Irlando-Canadiens de toutes origines religieuses et ne font pas de distinction entre les deux plus grandes confessions, c’est-à-dire la confession catholique et la confession protestante. Les estimations équilibrant les chiffres du recensement concernant les origines et la religion indiquent qu’en 1851, la population irlandaise catholique en Amérique du Nord britannique, c’est-à-dire la Province unie du Canada (Canada Ouest et Canada Est), la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, comptait quelque 200 000 personnes. En 1861, ce chiffre était passé à 280 000. En 1871, quelques années après la Confédération, la communauté catholique irlandaise du Canada comptait environ 260 000 personnes, la migration subséquente expliquant cette diminution.[4] Bien que le recensement canadien ne croise pas actuellement l’origine ethnoculturelle et la religion, il le faisait lors du recensement canadien de 1931, dans lequel un tiers de la population irlandaise du Canada était catholique et deux tiers étaient protestants.[5] Si ces tendances démographiques illustrent l’étendue et la composition de la présence irlandaise au Canada, elles ne font que suggérer les processus historiques qui ont façonné une diaspora aussi importante. Pour bien comprendre le développement de cette communauté, il est nécessaire d’examiner les premiers mouvements migratoires des Irlandais et des Irlandaises vers l’Amérique du Nord britannique et les forces socioéconomiques et politiques qui les ont poussés à traverser l’Atlantique.

Migration irlandaise vers l’Amérique du Nord britannique avant le 20e siècle

L’importante migration des Irlandais et Irlandaises catholiques vers l’Amérique du Nord britannique a commencé aux 17e et 18e siècles, de nombreux individus arrivant alors à Terre-Neuve pour y travailler comme pêcheurs et ainsi échapper à la pauvreté dans leur pays d’origine.[6] Après l’Acte d’Union de 1801, l’Irlande, pays majoritairement catholique, est passée sous le contrôle de la Grande-Bretagne (majoritairement protestante) pour ainsi faire partie du Royaume-Uni. En dehors des six comtés constituant l’Irlande du Nord, la majorité des Irlandais et des Irlandaises étaient catholiques et vivaient dans de petites fermes louées à des propriétaires anglais.[7] À compter de 1815, la migration irlandaise vers l’Amérique du Nord est devenue plus fréquente qu’au cours des décennies précédentes. Entre 1815 et 1846, environ 800 000 à 1 million de personnes ont quitté l’Irlande. L’augmentation de la population irlandaise et la détérioration de l’économie (l’industrie textile irlandaise, source importante d’emplois, s’est effondrée parce qu’elle ne pouvait pas rivaliser avec les nouvelles méthodes de production de la Grande-Bretagne) ont poussé un nombre croissant d’Irlandais et d’Irlandaises à émigrer en Amérique du Nord, en particulier après 1815.[8]

Les Irlandais et les Irlandaises (catholiques et protestants) représentent le groupe de migrants le plus important à s’installer au Canada au 19e siècle. La plupart d’entre eux sont pourtant arrivés avant la Grande Famine de la pomme de terre. Entre 1825 et 1845, quelque 450 000 migrants irlandais sont arrivés en Amérique du Nord britannique. Moins de la moitié d’entre eux étaient catholiques et la majorité des protestants étaient anglicans. En raison du capital nécessaire pour traverser l’océan Atlantique, les gens qui ont entrepris ce voyage vers une nouvelle terre étaient principalement des individus issus de la classe agricole largement commerciale et disposant de moyens suffisants. Ils n’étaient pas motivés par la pauvreté et la faim comme les nouveaux arrivants de la fin des années 1840, mais plutôt par la crainte de perdre leur statut économique s’ils restaient en Irlande. À leur arrivée en Amérique du Nord britannique, la plupart de ces nouveaux arrivants se sont installés dans des zones rurales pour travailler dans le domaine agricole.[9]

Les migrants irlandais ont commencé à arriver en grand nombre dans les ports de la côte est de l’Amérique du Nord britannique. Avant 1820, des villes de la colonie britannique du Nouveau-Brunswick, comme Newcastle, Chatham et Miramichi ont vu arriver des centaines de personnes. De nombreux nouveaux arrivants irlandais étaient économiquement en marge. À l’époque, l’économie des colonies de l’Amérique du Nord britannique était en pleine expansion, ce qui offrait aux migrants irlandais de meilleures opportunités que dans leur pays d’origine. Dans les années 1830, les colonies britanniques de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard, du Haut-Canada (Ontario) et du Bas-Canada (Québec) comptaient d’importantes populations irlandaises. Les Irlandais et les Irlandaises avaient tendance à rester dans les villes portuaires, comme Halifax, Saint John et Montréal. Dès le milieu du 19e siècle, Halifax accueillait une population nombreuse et permanente. Dans les villes, les migrants irlandais constituaient une source de main-d’œuvre bon marché, car ils travaillaient souvent sur des projets de construction publics, comme le canal Rideau (Ottawa), le canal Lachine (Montréal) et le pont Victoria (Montréal). En dehors des zones urbaines, les nouveaux arrivants irlandais ont établi des fermes dans des comtés ruraux.[10]

L’année 1847, au cours de laquelle plus de 100 000 émigrants irlandais ont quitté leur patrie pour trouver refuge en Amérique du Nord britannique, reste une période charnière dans l’histoire de la communauté irlandaise au Canada. La plupart se sont installés dans ce qui deviendra plus tard les provinces canadiennes de l’Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Environ 70 % des Irlandais de ce mouvement étaient catholiques, les 30 % restants étant protestants. Ils avaient fui leur patrie à cause de la pauvreté, de la maladie et de la faim causées par la Grande Famine de la pomme de terre. Les émigrants de l’époque de la famine ont d’abord été définis dans la littérature populaire et savante comme « démunis, sans ressources, malades et catholiques ». Ils étaient également considérés comme des « victimes impuissantes de forces indépendantes de leur volonté, forcées de choisir entre la migration ou la mort », déracinés pour vivre dans des ghettos urbains surpeuplés, insalubres et violents d’Amérique du Nord.[11] Au cours des dernières décennies, ce portrait inexact des émigrants irlandais, en grande partie catholiques, du milieu du 19e siècle a été révisé pour inclure, par exemple, le contrôle que les émigrants irlandais avaient quant aux événements de la famine et leur expérience de la migration.[12]

An Gorta Mór : Grande famine de la pomme de terre ou Grande Faim?

La description des événements catastrophiques que furent les mauvaises récoltes de pommes de terre, la famine, les migrations et la mort dans toute l’Irlande au milieu et à la fin des années 1840 demeure controversée, un point sensible encore aujourd’hui. Bien que ces événements soient le plus souvent considérés comme faisant partie d’une famine, ce chapitre fait l’objet de débats, car les spécialistes notent que la « famine » s’est produite dans un pays qui, malgré ses problèmes économiques concomitants à l’époque, était néanmoins au centre d’un empire britannique en pleine expansion. Compte tenu des ressources du Royaume-Uni, les années consécutives de mildiou de la pomme de terre en Irlande auraient pu être complètement ou largement atténuées par les fonctionnaires britanniques. L’Irlande elle-même possédait d’importantes ressources alimentaires qui, si la classe politique l’avait voulu, auraient pu être détournées, même à court terme, pour nourrir la population affamée. Au plus fort de ces événements catastrophiques, en 1847, le premier ministre britannique Lord John Russell a exprimé son opinion sur la question :

Il faut bien comprendre que nous ne pouvons pas nourrir la population... Nous pouvons tout au plus maintenir les prix à la baisse là où il n’y a pas de marché régulier et empêcher les négociants établis d’augmenter les prix bien au-delà du juste prix avec des profits ordinaires.[13]

La discrimination à l’encontre de la population catholique irlandaise majoritaire prenait de nombreuses formes. Le pouvoir politique et économique était largement détenu par la minorité protestante, qui considérait les catholiques irlandais comme inférieurs et arriérés. Cette différence religieuse est rapidement devenue une justification morale pour les traitements discriminatoires. Les législateurs britanniques (protestants) ont souvent décrit la famine comme le résultat de la paresse des catholiques, de leur ignorance ou d’une punition divine, plutôt que de l’exploitation coloniale ou d’un échec politique. La population catholique irlandaise a souvent été racialisée par l’industrie de la presse britannique, qui a qualifié la communauté de race « celtique » distincte des Anglais « civilisés », par exemple. En outre, la grande majorité des paysans catholiques irlandais étaient des métayers ou des travailleurs sans terre qui louaient ou travaillaient pour des propriétaires protestants anglo-irlandais.

Compte tenu de ces différences ethniques, religieuses et de classe en Irlande, la discrimination à l’encontre de la population catholique irlandaise de la part des autorités britanniques et des propriétaires terriens britanniques était très répandue. Au cours de cette période, la population irlandaise a considérablement augmenté et la pauvreté s’est également accrue. Au milieu du 19e siècle, la pomme de terre, un légume importé des Amériques, est devenue un aliment de base du régime alimentaire irlandais, permettant à de nombreuses familles irlandaises pauvres de survivre pendant les mois d’hiver et pendant les périodes où le rendement des récoltes n’était pas fiable, y compris pendant les années successives de mauvaises récoltes. La pomme de terre est devenue un aliment de base pour les pauvres en Irlande. Les propriétés foncières étaient si petites qu’aucune autre culture ne suffisait à nourrir une famille ― la pomme de terre était la seule option. La Grande Famine de la pomme de terre a été causée par plusieurs facteurs, notamment la surpopulation, le déclin de l’agriculture commerciale et l’échec de la culture de la pomme de terre, sur laquelle de nombreux individus comptaient pour l’essentiel de leur alimentation. La population irlandaise comptait sur la pomme de terre comme aliment nutritif, riche en calories et facile à cultiver sur le sol irlandais. Au moment de la grande famine de la pomme de terre, près de la moitié de la population irlandaise dépendait presque exclusivement de la pomme de terre pour son alimentation. La maladie connue sous le nom de Phytophthira infectans (mildiou), un champignon, a détruit les feuilles et les racines comestibles des plants de pommes de terre au cours d’années successives, entre 1845 et 1852.

Gros plan d’une pomme de terre tranchée montrant des taches brun foncé et noires de pourriture.

Pomme de terre infectée par le mildiou (Phytophtora infestans). Cette maladie a dévasté les cultures de pommes de terre au milieu du 19e siècle, contribuant à la Grande Famine de la pomme de terre.
Credit: Civvi~commonswiki, Wikipédia Commons, 2005.

Du fléau de la pomme de terre à la « nourriture de famine » en Irlande

Le fléau, ou mildiou de la pomme de terre, a frappé pour la première fois dans l’est des États-Unis au cours de l’été 1843. Les spores invisibles du champignon ont ensuite été transportées en Belgique dans une cargaison de pommes de terre apparemment saines et, au cours de l’été 1845, le champignon a ravivé et dévasté les cultures de pommes de terre en Belgique (Flandres), en France (Normandie), aux Pays-Bas (Hollande) et dans le sud de l’Angleterre. En août 1845, le mildiou a été observé pour la première fois dans les jardins botaniques de Dublin, en Irlande, et une semaine plus tard, la récolte de pommes de terre a été totalement détruite dans le comté de Fermanagh. En octobre 1845, une panique généralisée s’est installée dans l’ouest de l’Irlande, le mildiou ayant détruit les pommes de terre saines récoltées en août. Le mildiou de la pomme de terre a ensuite provoqué une série de mauvaises récoltes de pommes de terre qui ont entraîné une famine massive. Bien que le mildiou de la pomme de terre ait été l’élément déclencheur de la destruction des réserves alimentaires, il n’a pas directement causé de décès. La famine de masse a affaibli, mal nourri et déplacé la population irlandaise, ce qui a accéléré la propagation du choléra, du typhus, des poux et des puces, entre autres. Les niveaux d’hygiène personnelle de la population irlandaise sont restés faibles et les effets de la famine ont forcé de nombreuses personnes et familles à abandonner leurs fermes pour les routes du pays, à la recherche de travail ou de nourriture. C’est ainsi qu’est né un nouveau terme pour désigner ces maladies pendant la famine : la « fièvre de la route ».[14]

Afin d’éviter la famine et la mort, les paysans de la côte consommaient plusieurs espèces d’algues comestibles, dont la dulse, la pelvetia et la mousse d’Irlande (Chondrus crispus) pendant la famine. Plus à l’intérieur des terres, les aliments consommés lors de la famine comprenaient l’ortie, la moutarde sauvage, l’oseille et le cresson.[15] Dans la région de Skibbereen (comté de Cork), les gens se sont mis à manger de la viande d’âne, ce qui leur a valu le surnom de « Donkey Eaters » (mangeurs d’ânes).[16] D’autres mangeaient des chiens, des chats, des râles, des porcs pourris et même de la chair humaine.[17] Ces dernières années, des chercheurs ont commencé à examiner le rôle éventuel du cannibalisme dans la Grande Famine de la pomme de terre. L’historien irlandais Cormac Ó Gráda affirme que « le cannibalisme est l’un de nos secrets et tabous les plus sombres. »[18] Il souligne que : 

D’autre part, le « silence » relatif sur le cannibalisme en Irlande dans les années 1840 ne prouve pas qu’il n’a pas eu lieu. Le tabou du cannibalisme signifiait que, lorsqu’il avait lieu, il était furtif et ses auteurs en cachaient toutes les traces. Et le même tabou aurait empêché d’autres personnes de l’évoquer.[19]

Bien qu’il y ait très peu de cas documentés de cannibalisme (la documentation d’un tabou est en soi un problème), la consommation d’argentine, d’anémones de mer, de carottes sauvages, de prunelles, de châtaignes de terre, de patelles, d’escargots, de feuilles de patience, de graines de sycomore, de baies de laurier, de baies de houx, de pissenlits, de jus de trèfle rouge et de fleurs de bruyère a été signalée.[20] En Irlande, l’argentine est connue sous le nom de « nourriture de la famine » parce que les gens ont recommencé à la manger à une époque où les aliments cultivés étaient rares. Contrairement à de nombreux autres aliments de la famine, l’argentine (la potentille ansérine ou Potentilla anserina) a un goût savoureux et noiseté. De nombreux récits de la famine font état de personnes mourant avec des taches vertes autour de la bouche après avoir mangé de l’herbe ou d’autres plantes vertes.

Les décès consécutifs à la famine de la pomme de terre et l’émigration outre-mer ont fait chuter la population de l’Irlande de 8 millions d’habitants en 1841 à environ 2 millions en 1860.[21] La migration due à la famine entre 1845 et 1852 reste le plus grand mouvement contigu d’Irlandais (majoritairement catholiques) vers le Canada. En 1871, les Irlandais constituaient le groupe ethnique le plus important dans toutes les grandes villes du Canada, à l’exception de Montréal et de Québec.[22]

Voyage transatlantique et arrivée en Amérique du Nord britannique au 19e siècle

La majorité des Irlandais catholiques qui ont émigré en Amérique du Nord britannique pendant la Grande Famine de la pomme de terre des années 1840 l’ont fait sans les mêmes moyens que leurs compatriotes protestants. Lors d’une traversée transatlantique typique, le fret était chargé en premier, puis les passagers en cabine. Ce n’était que lorsque le navire était prêt à appareiller que les passagers de l’entrepont pouvaient monter à bord. La plupart des passagers n’étaient jamais montés sur un bateau auparavant. Ils devaient apporter leur propre nourriture et la faire cuire sur les quelques grilles fournies à bord du navire. La nourriture de base des émigrants irlandais sur les bateaux était le gruau et l’eau.[23] Les niveaux élevés de maladie et de décès sont attribuables au surpeuplement, aux conditions insalubres et au manque de nourriture à bord des navires transportant les émigrants irlandais vers l’Amérique du Nord britannique.[24]

Page de journal illustrée décrivant des scènes de l’émigration irlandaise.

« Le bureau des agents d’émigration - L’argent du passage payé. Navire d’émigration – Entrepont », The Illustrated London News, 10 mai 1851.
Credit: D.A. McLaughlin / Bibliothèque et Archives Canada / C-006556.

Souffrant de la faim et de la pauvreté, beaucoup de gens sont morts à bord des navires à cause de maladies telles que le typhus, le choléra, la dysenterie, la fièvre et la variole. On estime que plus de 20 000 Irlandais sont morts du typhus à bord des « bateaux-cercueils » en direction de l’Amérique du Nord britannique.[25] Le plus grand port d’entrée des émigrants irlandais en Amérique du Nord britannique était la ville de Québec, avec sa station de quarantaine à Grosse-Île.[26]

Tableau 1 : Arrivées à la station de quarantaine de Grosse-Île, 1825-1847[27]

ImmigrantsAdmissions à l’hôpitalDécèsCholéraFièvre et dysenterieVarioleAutre
425 49014 5333 9342904 648722726
Immigrants425 490
Admissions à l’hôpital14 533
Décès3 934
Choléra290
Fièvre et dysenterie4 648
Variole722
Autre726

Après Grosse-Île, la station de quarantaine de l’île Partridge de Saint John, au Nouveau-Brunswick, a également traité un important mouvement d’émigrants irlandais dans les années 1840. Au cours de la période de 1840 à 1847, quelque 59 200 nouveaux arrivants sont arrivés au Nouveau-Brunswick. De ce nombre, 88 % étaient d’origine irlandaise. La majorité d’entre eux ont débarqué à Saint John. En 1845-1847, la plupart des arrivants étaient atteints de typhus et de variole, engendrant une situation d’urgence sanitaire alors que la population de la ville s’élevait à plus de 30 000 habitants (32 957 en 1840), dont quelque 19 000 vivaient dans la ville proprement dite. Pourtant, au plus fort de la Grande Famine de la pomme de terre en 1847, environ 2 000 émigrants irlandais ont été mis en quarantaine sur l’île Partridge lors d’une épidémie de typhus. De ces nouveaux arrivants, 601 ont été enterrés plus tard dans une fosse commune sur l’île. De mars 1847 à mars 1848, 2 381 émigrants irlandais et 610 autres indigents ont été admis dans les aumônes de la ville, y compris les hôpitaux pour émigrants et les hangars. De cette population, 560 émigrants et 126 indigents sont morts de maladie au cours de cette seule année. L'arrivée massive d'émigrants, principalement irlandais, a semé le chaos à Saint John.[28] Bon nombre des passagers irlandais entrés en Amérique du Nord britannique par Saint John se sont finalement installés au Nouveau-Brunswick, dans la Province unie du Canada, ou ont poursuivi leur chemin vers les États-Unis.

Black and white photograph of a large early 20th century wooden coastal building, a quarantine station, perched on rocky shores with a forested hillside behind it.

Quarantine Station Building at Grosse Île, Quebec, n.d.
Credit: D.A. McLaughlin / Library and Archives Canada / C-079029.

Les nouveaux arrivants irlandais issus de l’agriculture ont quitté les zones portuaires de Québec, de Montréal, de Saint-Jean ou d’Halifax pour s’installer dans des régions rurales, dont la vallée de l’Outaouais dans le Canada-Ouest, Beauharnois et Lotbinière dans le Canada-Est, ainsi qu’à l’intérieur des terres au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Cependant, la plupart des émigrants irlandais ont eu tendance à s’installer dans les villes, car elles offraient de meilleures chances de trouver les emplois dont ils avaient tant besoin.[29]

Conclusion

La migration des Irlandais vers l’Amérique du Nord britannique a profondément influencé le développement démographique et culturel du Canada. Des premiers colons du 17e siècle à l’exode massif lors de la Grande Famine de la pomme de terre, les migrants irlandais, à la fois catholiques et protestants, ont formé l’une des communautés ethniques les plus importantes et les plus significatives du Canada au 19e siècle. Les migrations dues à la famine, provoquées par la pauvreté, la maladie et la négligence politique, ont entraîné d’immenses souffrances, mais ont également démontré la résilience de ceux et celles qui ont enduré les périlleux voyages transatlantiques et les dures conditions de quarantaine.

Malgré les difficultés initiales et la discrimination généralisée, les migrants irlandais ont joué un rôle crucial, façonnant le paysage social et économique naissant du Canada. Ils ont contribué à la croissance de la main-d’œuvre urbaine, de la colonisation agricole et des institutions communautaires qui sont devenues une partie intégrante de la société canadienne. L’héritage de la migration irlandaise reflète à la fois la tragédie du déplacement et la capacité humaine d’adaptation et de construction d’une nation. Aujourd’hui, la prédominance des ancêtres irlandais au Canada témoigne de l’impact durable de cette migration sur l’identité et le développement historique du pays.


  1. « Irish diaspora », Wikipédia, s.d. https://en.wikipedia.org/wiki/Irish_diaspora. Voir « List of countries by population of Irish heritage. » Le Canada est quatrième sur cette liste après les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie.
  2. Statistique Canada, « Origines ethniques ou culturelles selon le statut des générations : Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement y compris les parties », Tableau de données 98-10-0338-01, 26 octobre 2022, https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=9810033801&request_locale=fr.
  3. Voir Statistique Canada, « Profil du recensement, Recensement de la population de 2021 », https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/dp-pd/prof/details/page.cfm?Lang=F&GENDERlist=1,2,3&STATISTIClist=1&HEADERlist=1&SearchText=Canada&DGUIDlist=2021A000011124. Ce chiffre a été calculé en divisant la population canadienne totale (36 991 981) par le nombre de Canadiens et Canadiennes d’origine irlandaise (4 413 120).
  4. Daniel Conner, « The Irish-Canadian; Image and Self-Image » (thèse de maîtrise, Université de la Colombie-Britannique, 1976), 1.
  5. Garth Stevenson, « Irish Canadians and the National Question in Canada », dans Irish Nationalism in Canada, éd. David A. Wilson (Montréal : Presses de l’Université McGill-Queen’s, 2009), 165.
  6. Peter Toner et Gillian I. Leitch, « Canadiens irlandais (Irlando-Canadiens ou Canadiens d’origine irlandaise) », Encyclopédie canadienne, dernière modification le 26 janvier 2018, https://thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/irlandais.
  7. Canadian Institute for the Study of Antisemitism, « Unité 4 : Immigration, Migration, Réfugiés : Chapitre 3 : L’immigration italienne et irlandaise », Parlez et Agissez, s.d., https://www.voicesintoaction.ca/fr/lecons/unite4/chapitre3/. Voir la section « L’immigration irlandaise au 19e siècle : Ceci s’est réellement produit : La Grande Famine (aussi appelée La Famine irlandaise) ».
  8. « The fascinating history of Irish emigration to Canada », Irish Post, 25 février 2022, https://www.irishpost.com/history/the-fascinating-history-of-irish-emigration-to-canada-230370.
  9. Iacovetta, Draper et Ventresca, « Topic One: The Irish in Nineteenth-Century Canada: Class, Culture, and Conflict », 3.
  10. Toner et Leitch, « Irish Canadians »; Belshaw, Canadian History, 368.
  11. Franca Iacovetta, Paula Draper, et Robert Ventresca, « Topic One: The Irish in Nineteenth-Century Canada: Classe, culture et conflit », dans A Nation of Immigrants: Women, Workers, and Communities in Canadian History, 1840s-1960s, éd. Franca Iacovetta, Paula Draper et Robert Ventresca (Toronto : Presses de l’Université de Toronto, 1997), 3.
  12. Voir, par exemple, Mark McGowan, Creating Canadian Historical Memory: The Case of the Famine Migration of 1847 (Ottawa : Société historique du Canada, 2006), 2.
  13. Quinnipiac University, « Learn About the Great Hunger », Ireland’s Great Hunger Museum, https://www.ighm.org/learn.html.
  14. Powderly, « How Infection Shaped History: Lessons from the Irish Famine »; Quinnipiac University, « Learn About the Great Hunger »; Doreen McBride, The Little Book of Fermannagh (Dublin : THP Ireland, 2018); Arthur Green, éd. The Great Famine and the Irish Diaspora in America (Amherst : University of Massachusetts Press), 31; A.T. Lucas, « Nettles and charlock as famine food », Breifne: Journal of Cumann Seanchais Bhreifne 1.2 (1959) : 137-146.
  15. Powderly, « How Infection Shaped History: Lessons from the Irish Famine »; Quinnipiac University, « Learn About the Great Hunger »; McBride, The Little Book of Fermannagh; Green, éd. The Great Famine and the Irish Diaspora in America, 31; A.T. Lucas, « Nettles and charlock as famine food », 137-146.
  16. Gary Connaughton, « Here’s the explanation behind some of the weirdest Irish County Nicknames », Balls.ie, 20 février 2020, https://www.balls.ie/irishlife/irish-county-nicknames-426562.
  17. Ronan McGreevy, « Role of “survivor cannibalism” during Great Famine detailed in new TV documentary », Irish Times, 30 novembre 2020, https://www.irishtimes.com/news/ireland/irish-news/role-of-survivor-cannibalism-during-great-famine-detailed-in-new-tv-documentary-1.4423323; Donal MacNamee, « New RTE documentary finds evidence of cannibalism in four Irish counties during Great Famine », Irish Mirror, 30 novembre 2020, https://www.irishmirror.ie/tv/new-rte-documentary-finds-evidence-23092963.
  18. Cormac Ó Gráda, “Eating people is wrong, and other essays on famine, its past, and its future,” ResearchGate (January 2015), 1. See https://www.researchgate.net/publication/282242649_Eating_people_is_wrong_and_other_essays_on_famine_its_past_and_its_future.
  19. Cormac Ó Gráda, « Eating people is wrong, and other essays on famine, its past, and its future », ResearchGate (janvier 2015), 1. Voir https://www.researchgate.net/publication/282242649_Eating_people_is_wrong_and_other_essays_on_famine_its_past_and_its_future.
  20. Cathal Poirteir, Famine Echoes: Folk Memories of the Great Irish Famine: An Oral History of Ireland’s Greatest Tragedy (Dublin : Gill & Macmillan Ltd., 1995); Maureen Langan-Egan, « Some Aspects of the Great Famine in Galway », Journal of the Galway Archaeological and Historical Society 51 (1999), 120-139; Vivienne Campbell, « Edible and Medicinal Herbs », Vegan Sustainability Magazine, s.d., http://vegansustainability.com/edible-and-medicinal-herbs/.
  21. William G. Powderly, « How Infection Shaped History: Lessons from the Irish Famine », Transactions of the American Clinical and Climatological Association 130 (2019) : 127-135, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6735970/; Joel Mokyr, « Great Famine », Encyclopedia Britannica, s.d., https://www.britannica.com/event/Great-Famine-Irish-history; Canadian Institute for the Study of Antisemitism, « Unité 4 : Immigration, Migration, Réfugiés : Chapitre 3 : L’immigration italienne et irlandaise. » Voir la section « Irish Immigration to Canada in the 19th century: Ceci s’est réellement produit : The Great Hunger (The Irish Famine). »
  22. « The fascinating history of Irish emigration to Canada ».
  23. « Irish Emigration to America – The Journey », National Museum of Ireland, s.d., https://www.museum.ie/en-IE/Collections-Research/Folklife-Collections/Folklife-Collections-List-(1)/Other/Emigration/Irish-Emigration-to-America-The-Journey.
  24. André Charbonneau et André Sévigny, Grosse Île: A Record of Daily Events (Ottawa : Patrimoine canadien, 1997), 14.
  25. Canadian Institute for the Study of Antisemitism, « Unit 4: Immigration, Migration, Réfugiés : Chapitre 3 : L’immigration italienne et irlandaise. »
  26. Voir Marianna O’Gallagher, Grosse Île: Gateway to Canada, 1832-1937 (Ste. Foy : Livres Carraig Books, 1984).
  27. Voir Canadian Institute for the Study of Antisemitism, « Unité 4 : Immigration, Migration, Réfugiés : Chapitre 3 : L’immigration italienne et irlandaise. » Voir la section « Irish Immigration to Canada in the 19th century: Ceci s’est réellement produit : The Great Hunger (The Irish Famine). »
  28. Harold E. Wright, « Partridge Island: “Canada’s Emerald Isle” “A Gateway to North America” », Irish Canadian Cultural Association of New Brunswick, 2008, https://newirelandnb.ca/quarantine-stations/partridge-island; Parcs Canada, Répertoire des désignations d’importance historique nationale, « Lieu historique national du Canada Station-de-Quarantaine-de-l’Île-Partridge », s.d., https://www.pc.gc.ca/apps/dfhd/page_nhs_fra.aspx?id=191; James M. Whalen, « Almost as Bad as Ireland: The Experience of the Irish Immigrant in Canada, Saint John, 1847 », Irish Canadian Cultural Association of New Brunswick, s.d., https://newirelandnb.ca/culture/irish-trail/early-settlement/almost-as-bad-as-ireland-the-experience-of-the-irish-immigrant-in-canada-saint-john-1847.
  29. MCI, Rapport d’exposition principale, « 3.5 - Where To Live? » [document interne], 31 juillet 2015, révisé le 26 janvier 2017.