Pietro Di Ioia

Racontée par sa fille, Maria Teresa Di Ioia

PREMIÈRE PARTIE

  1. Raisons d’immigrer au Canada : rechercher un emploi afin de soutenir sa nombreuse famille et chacun d’entre nous, ses cinq enfants, et offrir la possibilité d’un avenir meilleur.
  2. Date : 22 mai 1950
  3. Port d’entrée : Quai 21, Halifax, Nouvelle-Écosse1
  4. Navire : Vulcania - troisième classe

DEUXIÈME PARTIE

Profil personnel de mon père et de ma famille

Dans la période d’après-guerre de la Deuxième Guerre mondiale, il était extrêmement difficile de gagner sa vie. Mon père avait cinq enfants et il était impossible de les élever à partir du produit de la terre que mon grand-père avait divisée parmi ses six enfants. Je sais que mon père aimait sa famille, son domicile et son pays et l’expérience de laisser tout derrière doit avoir été déchirante. Néanmoins, il décida de prendre le chemin des côtes canadiennes pour donner à sa famille une nouvelle chance à la vie.

Mon père est arrivé au Canada au printemps de 1950 et a été accueilli par son cousin, Francesco Di Ioia qui était arrivé au Canada en 1924, via New York. Ce cousin a été en mesure de lui obtenir un contrat de travail avec un agriculteur à l’extérieur de Montréal.

Mon père a travaillé sur cette ferme durant un an et a ensuite été embauché par la Cadbury Chocolate Co., située à Montréal.

L’idée d’émigrer n’était pas nouvelle dans notre famille. Mon grand-père paternel, Giambattista Di Ioia, est allé aux États-Unis à plusieurs reprises et pour plusieurs années entre 1895 et 1906. Il a travaillé pour la compagnie de chemin de fer, dans plusieurs états, et pour la compagnie minière de Seattle, dans l’état de Washington. Mon grand-père maternel, Donato Tartaglia, a passé la majeure partie des années 1907-1946, à Newark, dans le New Jersey, travaillant principalement pour la General Electric Co. Alors que nous étions enfants, nous aimions entendre les histoires d’aventures de nos grands-pères dans ce nouveau monde appelé l’Amérique du Nord.

Malgré le froid mordant, les distances énormes et les nouvelles langues, la première impression de mon père envers le Canada fut très positive. Il a apprécié d’être traité avec respect et de jouir des droits qui lui étaient accordés comme personne et comme membre de la population active canadienne. Il a travaillé très dur pour se bâtir une vie et faire assez d’argent pour amener le reste de sa famille au Canada. Il a gagné durement tout ce qu’il avait et considérait comme son devoir de ne pas être un fardeau financier, mais plutôt une contribution au bien-être de la société qui l’accueillait.

Le 23 mai 1953, mon frère, Giambattista Di loia, est arrivé au Canada, tout seul à l’âge de 17 ans, sur le Vulcania. Plus tard, le 18 décembre 1953, ma mère Maria Tartaglia Di Ioia, ma sœur Antonietta et mes deux jeunes frères, Donato et Giuseppe, sont arrivés à Montréal. Ils avaient navigué à bord du Conte Biancamano. Moi-même, Maria Teresa, la première de cinq enfants, j’étais déjà partie pour New York en août 1953 avec un visa d’étudiante. J’ai vécu à New York jusqu’à ce que j’immigre au Canada, en 1980.

Ma famille est arrivée à Montréal au beau milieu de la période de Noël. Il y avait de la musique et des lumières de Noël partout dans la ville. Après un long et stressant voyage sur le navire puis sur le train, les yeux de mes proches se sont enfin posés sur cette vision joyeuse et festive de Montréal en fête. La joie exprimée dans les embrassades et les larmes au moment où le train s’est enfin arrêté à la gare Windsor de Montréal était indescriptible ! Tout le monde sortait du train à la recherche de visages familiers de parents sur la plate-forme de la gare pour leur souhaiter la bienvenue dans cette nouvelle terre. Des années plus tard, ma famille a enregistré ses premières impressions de cet événement dans un bulletin de famille que nous avions l’habitude de publier une fois par an et dont le volume VIII-95 est joint.

Mon père avait loué un petit appartement au deuxième étage d’une maison située sur l’avenue Papineau, à proximité de son cousin, Francisco Di loia, qui avait immigré au Canada en 1924 et qui avait été le parrain de mon père pour sa venue au Canada.

Notre famille réunie était aussi très proche de l’église Consolata Parish Church située sur l’avenue Jean-Talon. Là, maman et papa ont rassemblé leurs enfants afin de rendre grâce à Dieu pour la grande bénédiction de la famille et pour la chance de commencer une nouvelle vie dans ce magnifique pays que nous appelons Canada.

En septembre 1955, ma grand-mère Maria Teresa Silvaggio/Di loia, est venue au Canada via New York. À l’âge de 73 ans, elle avait traversé l’Atlantique toute seule, elle qui avait très rarement parcouru plus de 100 Km en dehors de son village. Elle a vécu avec nous jusqu’à son décès, le 19 juillet 1984, à l’âge de 102 ans et 6 mois. Elle est maintenant aux côtés de Dieu et ses restes reposent avec ma mère et mon père au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal.

J’ai écrit ce poème à l’hôpital Jean-Talon, alors que nous attendions le médecin pour en savoir davantage sur son état de santé.

 

L’ATTESTA

Ore, giorni, anni...
passati nella gioia e nel dolore
tra fiori e grano nei campi dela vita
ove L’amore nasce ma non tramonta come il nostro sole.

Ora siamo qui
fiato difficile-minuto per minuto-
faticosi, incerti
llcuore centennario!

Si aspetta
la corsa del tempo si confonde col sonno dell’ eternita !...
...la nostra luce di tenebre s’illumina di Dio
Sto testimoniando la nascita di un nuovo giorno per LEI...

C’e in questa stanza la presenza
Di quanti l’hanno preceduata nele fede.
Lei lo sa ... Ed e‘ in pace ...

...ll Signore e’il nostro Pastore,
Lui ci cerca, ci trova, ci carica sulle sue spalle
E ci riporta all `ovile del Padre.

Signore nelle tue mani raccomando il suo spirito!

13 juillet 1984, 11 h
Hôpital de Jean Talon, Montréal

 

L’immigrant se sentira comme faisant enfin partie d’un nouveau pays que lorsqu’il aura planté ses racines dans le sol de la nouvelle terre en y enfouissant les gens qu’il aime. C’est seulement à ce moment qu’il peut sentir son appartenance parce que ses ancêtres ont consacré le sol sur lequel il se promène en y trouvant leur repos.

 

Mon premier jour de classe au Canada

Le matin était clair et ensoleillé lorsque j’ai regardé par la fenêtre. C’était probablement le matin du 10 janvier 1954. Je ne me souviens pas de la date exacte de ma première journée à l’école, mais je me souviens de la date de notre arrivée, lorsque nous sommes débarqués du Conte Biancomano , à Halifax le 17 décembre 1953. Il a nous fallu près de deux jours en train avant d’arriver à Montréal. Cela correspondait à l’approche de Noël et c’est pourquoi les écoles devaient être fermées jusqu’au 6 janvier 1954 et probablement la raison pour laquelle j’établis de façon approximative au 10 janvier 1954 ma première journée à l’école.

L’avenue Papineau était d’un blanc immaculé alors que la neige scintillait sous le soleil causant une aveuglante réflexion. J’ai remarqué la fumée qui se dégageait à l’arrière des voitures, formant de petits nuages qui disparaissaient immédiatement dans la lumière du soleil. De notre côté de la rue, il y avait un chariot tiré par un cheval qui respirait lourdement en expulsant sa buée par les narines. Le cheval s’est consciemment arrêté devant notre maison et un homme est débarqué de la charrette colorée avec quatre bouteilles de lait frais et les a déposées à notre porte. J’ai découvert plus tard que le boulanger avait le même rituel, mais je ne le voyais pas le matin parce qu’il faisait sa tournée plus tard dans la journée. Je regardais toujours à travers la vitre givrée de glace quand soudain, j’ai entendu mamma me crier de m’habiller et de venir prendre le petit déjeuner.

La table du petit déjeuner était montée comme si une grande fête avait lieu : du beurre, du lait, du café, du jus, des confitures et du pain grillé… des tonnes de rôties que nous dévorions avec un appétit insatiable. Mamma se démenait dans la cuisine avec une telle énergie, comme si la moitié de la journée était déjà passée alors qu’il n’était que 7 heures du matin. Après que nous ayons dévoré environ une douzaine de rôties, le curé de la paroisse de l’église La Consolata, se présentait chez nous pour nous accompagner, moi et Donato, à l’école élémentaire Saint-Dominique, sur la rue Delorimier. Aujourd’hui, je comprends que papa ne pouvait se permettre d’absence au travail et c’est pourquoi il avait pris arrangement pour que nous soyons amenés à l’école par le prêtre. Donato et moi étions vêtus de pantalons au genou, des « knickers », faits de laine épaisse et avec des pièces de cuir sur les genoux. Lui portait une chemise à carreaux et un lourd manteau d’hiver avec un capuchon. Le prix du manteau n’était pas établi en fonction de son coût, mais bien de son poids !

On a fait nos bye-bye à mamma, puis on est partis ensemble, Donato et moi, avec cette personne étrangère qui était prêtre. Nous voilà confrontés à notre première aventure à l’extérieur de la maison, dans une terre étrangère et ne connaissant pas un seul mot des deux langues officielles du pays. Nous étions debout au coin de Papineau et de St-Zotique - tous les trois, le prêtre, Donato et moi - à attendre le tramway. Nous étions silencieux et incertains, nous avions froid… puis le tramway est arrivé au coin de notre rue. Il y avait deux longues perches sur le dessus qui touchaient à deux fils qui constituaient la source d’alimentation. Le chef de train portait un uniforme verdâtre et un chapeau et nous a accueillis dans une langue bizarre. Donato et moi sommes passés tout droit et nous avons été plus rapides que deux dames pour nous installer dans les deux derniers sièges disponibles. Pour moi, c’était audacieux de monter à bord de ce tramway mais je me sentais en sécurité et rassurée par la présence de Donato. J’ai laissé mon imagination vagabonder alors que j’observais les interminables rangées de maisons avec leurs escaliers d’acier en colimaçon, les glaçons suspendus aux fils électriques et les montagnes de neige en avant des galeries qui défilaient à travers la vitre à moitié gelée du tramway. Après une demi-heure, nous sommes arrivés devant l’énorme bâtisse, faite de vieilles briques brunes décolorées. Il y avait deux larges portes de chêne qui donnaient accès à un grand hall avec des casiers de chaque côté. Les planchers de bois craquaient sous nos pieds tandis que nous marchions vers le bureau du directeur pour nous y inscrire.

Après 10 minutes, le directeur, qui s’appelait Frère James, nous a accompagnés, Donato et moi, à la classe de troisième année. Le professeur nous a d’abord invités en nous faisant signe de nous asseoir à deux pupitres libres. Alors que Frère James sortait de la classe et refermait la porte derrière lui, le jour le plus long de ma courte vie de 10 ans commençait. Je me sentais seule et incapable de communiquer ou de comprendre quoi que ce soit. Tout ce que je pouvais faire était d’user de mon imagination pour essayer de comprendre par les gestes ou le ton de la voix. Par contre, je n’avais aucune difficulté à comprendre les chiffres inscrits sur le tableau noir. Tout ce qui réussit à briser la monotonie et ma rêverie furent le son strident de la cloche annonçant la récréation de 10 heures. C’était la course folle dans les escaliers pour essayer d’atteindre la cour d’école pour y jouer pendant les 15 minutes suivantes.

Je me souviens que notre professeur était une femme d’un certain âge, potelée et petite. En y repensant, je peux maintenant dire qu’elle ressemblait à Aunt Bee du Andy Griffith Show. Je dois aussi dire cependant qu’elle était une personne très aimable, au grand cœur et patiente, en particulier avec les nouveaux immigrants. Je suppose que c’est la raison pour laquelle nous avons été assignés à sa classe. Son calme et sa gestuelle nous détendaient et nous faisaient sentir acceptés. Je me souviendrai toujours d’elle comme l’une de mes meilleures professeures. Bientôt, midi arriva et après avoir pris mon lunch, qui était assez gros pour un travailleur de la construction, nous sommes allés à l’extérieur dans la cour de récréation qui était froide, glacée et balayée par le vent. Donato et moi avons commencé à nous promener dans la cour d’école, ne sachant pas à qui parler ou quoi dire, mais dans un coin, nous avons vu quelque chose que nous reconnaissions : des enfants qui jouaient en donnant des coups de pied sur une balle de tennis.

Nous joignant au jeu, nous avons commencé à nous sentir comme faisant partie de l’équipe, nous faisant quelques amis dont un en particulier que je vois encore, parce que nous jouons au football (soccer) ensemble. À la fin de la journée, papa, qui travaillait pour les Chocolats Cadbury, située près de notre école, est venu nous chercher. Une fois sur le train, papa a pris bien soin de nous montrer comment prendre le bus, combien payer et quel coin de rue ou point de repère remarquer afin de reconnaître notre chemin vers l’école. Dès la seconde journée, nous l’avons fait. Nous sommes allés à l’école en prenant le train par nous-mêmes, Donato et moi. Notre plus grande découverte concernant nos premières expériences de l’école au Canada, nous l’avons faite quand nous avons appris qu’elles étaient fermées le samedi.

 

Noël 1995 - Giuseppe Di Ioia

 

'LA SCUOLA AMERICANA’

(L’ÉCOLE AMÉRICAINE)

Le jour est finalement venu où ma mère, mes deux frères Michele, Fernando et moi sommes partis pour le Canada afin de rejoindre mon père.

On était en 1957, avec de grandes attentes et tout l’enthousiasme d’une jeune fille, je voudrais expliquer à mes amis que dans le nouveau pays, on parlait deux langues. C’était au-delà de ma compréhension que deux langues pouvaient être parlées, surtout que je croyais alors que l’italien était la seule langue parlée dans le monde.

Notre première maison était près du jardin botanique. Devinez maintenant où nous allions faire des promenades le dimanche après-midi. Nous vivions dans un 4 ½ qui était censé être loué pour quatre personnes. Par conséquent, à chaque fois que le propriétaire venait à l’étage, mon rôle consistait à me cacher rapidement afin de ne pas être vue. Une semaine après notre arrivée, mon père nous a amenés, mes frères et moi, à l’école anglaise, située près de Pie IX et Ontario. Nous avons été assignés à nos classes ce matin-là. Après avoir vécu la terrible expérience d’être séparée de mon père et mes frères, je me retrouvais maintenant devant un autre défi à relever. Il était midi et je devais rentrer à la maison. Je croyais que j’allais retrouver mes frères à l’entrée principale, mais ils n’étaient pas là. Plus tard, j’ai su que mes frères pensaient que je n’aurais pas d’'école ce jour-là et que j’étais rentrée à la maison avec mon père durant la matinée. Après avoir attendu pendant environ cinq minutes, j’ai pris la décision drastique de rentrer à la maison par moi-même.

Ne sachant pas que je m’en allais dans la mauvaise direction, lorsque le décor et les repères ont commencé à être différents de ce que j’avais vu le matin, j’ai commencé à paniquer. Un sentiment de terreur et d’impuissance m’a alors envahie… je me sentais confuse et vulnérable. J’aurais voulu voir un visage familier et être en mesure de communiquer, d’exprimer à quelqu’un ma situation. J’avais envie de pleurer, mais je savais aussi que cela n’aiderait. À l’âge de 9 ans, j’étais trop gênée pour montrer mes émotions à des étrangers. J’ai continué à marcher en essayant de me convaincre que j’arriverais éventuellement dans un environnement familier. Après avoir traversé une voie ferrée, j’ai abouti dans un entrepôt. Je me suis arrêté à la porte et un homme m’a vue. Il doit avoir lu l’expression de solitude et de peur sur mon visage. Il m’a alors parlé dans les deux fameuses langues qui m’étaient inconnues. C’est à ce moment qu’il a appelé la police.

À la vue de la voiture de police, je ne fus pas totalement soulagée, mais je me sentais rassurée car je pensais maintenant que c’était la responsabilité de quelqu’un d'autre de retrouver mes parents. Après que la police eut fait quelques appels téléphoniques à la station, ils m’ont mise en contact avec cette femme qui croyait parler l’italien. Elle avait du mal à comprendre mon italien… et moi, le sien ! Nous ne réussissions pas à communiquer. La seule chose que j’ai comprise était « à quelle école vas-tu ? » et j’ai répondu « vada alla scuola Americana ». Pensant à la façon typique italienne « furbita », j’ai refusé un sandwich que le policier me tendait en croyant que je serais empoisonnée. Je regardais beaucoup de films, en Italie !!!

N’arrivant pas à une solution à la station, nous sommes remontés à bord de la voiture de police et avons roulé dans les rues dans l’espoir que je reconnaîtrais mon école. Les communications radio dans la voiture de police étaient excitantes et distrayantes, mais je me sentais toujours anxieuse et embarrassée, en particulier lorsque le policier demandait à d’autres écoliers s’ils me connaissaient.

À ce stade, je n’avais plus aucune idée de l’heure et depuis le moment où j’avais quitté l’école, je pensais qu’une éternité avait passé. Un terrible sentiment de solitude m’a alors envahie de nouveau et ma gorge se resserrait alors que je retenais mes larmes. Tout ce que je voulais, c’était de me retrouver dans les bras de ma mère. C’est à ce moment, en regardant à l’extérieur de la voiture de police, que j’ai vu un visage familier. J’ai crié « Papa ! » et j’ai donné un coup de coude au policier en lui disant que c’était mon père. Je ne pouvais attendre de sortir de la voiture pour embrasser mon père et me sentir à nouveau protégée et me retrouver en toute sécurité auprès de ma famille !