John Vanderlaan

Femmes et hommes célibataires

Veendam

Je suis né le 23 mai 1930 dans un petit village du nord des Pays-Bas. Au moment de ma naissance, ma famille comptait trois autres enfants, un frère et deux sœurs. Plus tard, naquirent deux autres frères. À l’âge de six ans, je fréquentai l’école élémentaire et, en 1942, je m’inscrivis à l’école secondaire de la capitale provinciale, Groningue. L’école secondaire se trouvait à près de 25 kilomètres de la maison, ce qui m’obligeait à voyager par le service régulier d’autobus. Aux environs de 1943 ou 1944, les forces alliées avaient conquis la suprématie des airs. Souvent, leurs avions sillonnaient le ciel en quête de cibles ou d’engagements, ce qui incluait tout trafic sur les routes. En raison du danger d’être bombardé sur le chemin de l’école ou du retour, mes parents crurent préférable à cette époque de me retirer de l’école. J’allai donc travailler sur une ferme jusqu’à la fin de la guerre, en mai 1945. Après la guerre, je retournai à l’école secondaire pour y terminer mon éducation, en juin 1952.

Les Pays-Bas étant toujours à se remettre de la Deuxième Guerre mondiale, et étant engagés dans une guerre coloniale aux Indes néerlandaises, aujourd’hui l’Indonésie, les possibilités offertes aux Pays-Bas étaient rares et limitées. Durant les années d’après guerre, prévalaient de nombreuses règles et règlements concernant les programmes de reconstruction d’après guerre. Afin d’alléger le fardeau et d’accélérer cette récupération, le gouvernement néerlandais entreprit de promouvoir activement l’émigration. Les pays privilégiés par de nombreux émigrants étaient le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud.

Plusieurs raisons m’incitaient à choisir le Canada comme futur pays de résidence plutôt que l’un des autres pays mentionnés plus haut. La plus grande partie des Pays-Bas avait été libérée par l’armée canadienne, ce qui avait laissé un fort sentiment de reconnaissance à la population néerlandaise. En outre, la plupart des soldats, sinon tous, avaient vivement parlé de leur pays comme une terre offrant beaucoup de possibilités ! En 1951, mon plus jeune frère, Bert, avait immigré au Canada pour s’y construire un avenir dans le secteur agricole, une occupation qui offrait un traitement privilégié aux immigrants éventuels. Le passage des Pays-Bas au Canada était moins difficile que vers les États-Unis. Pour être plus facilement accepté au Canada, je travaillai sur une ferme de juillet à octobre. Le gouvernement canadien avait un bureau médical à La Haye où tous les candidats immigrants devaient subir un examen médical physique et démontrer qu’ils avaient reçu un vaccin contre la petite vérole. (Je me rappelle encore le médecin canadien tâtant mes mains à la recherche de callosités, prouvant mon statut de fermier). J’éprouvais aussi un goût d’aventure. Un de mes amis se trouvait alors au Canada muni d’un visa de visiteur de six mois pour visiter son frère et l’épouse de celui-ci qui avaient immigré quelques années auparavant.

Le 7 octobre 1952, mon père me conduisit à Rotterdam. C’est là que je m’embarquai à bord du paquebot VEENDAM de la Holland America Line sous le commandement du Capitaine H. Oldenburger. Nous fîmes escale à Southampton et au Havre pour y prendre des passagers supplémentaires. À Southampton, en regardant embarquer les passagers, je reconnus l’un des officiers du navire. Né à Rotterdam, il était venu dans notre village, à l’âge de 13 ou 14 ans, pour échapper à la famine qui régnait dans les grandes villes. Nous nous étions peu vus après la guerre.

Cette rencontre nous permettait de renouer. Grâce à lui, j’eus l’occasion de voir plusieurs secteurs du navire, y compris des zones interdites aux passagers réguliers. La traversée de l’Atlantique dura 10 jours. J’ai assez peu de souvenirs de celle-ci, sinon que le temps était souvent orageux, et que beaucoup de gens souffraient du mal de mer. Lorsque nous aperçûmes la terre ferme, il y eut une vive agitation. De plus, les maîtres d’hôtel s’affairaient auprès des gens qu’ils avaient servis durant la traversée pour les informer des habitudes prévalant en matière de pourboires. Beaucoup des immigrants n’avaient jamais voyagé précédemment au loin et ils étaient peu familiers avec le concept de pourboires ou alors, ils avaient besoin d’encouragements.

Au moment du débarquement, l’ensemble de mes biens terrestres se limitait à un sac de marin plein de vêtements et de livres d’étude. Je disposais, en outre, d’un mandat bancaire de 37,50 dollars et de 10 dollars en argent liquide. Cette somme était minimale en raison de politiques monétaires restrictives aux Pays-Bas qui me permettaient de retirer seulement 150 florins. Le taux de change était à ce moment-là de 4 contre 1. Le billet de train vers Hamilton, Ontario, avait été payé d’avance. Ce dont je me rappelle le plus du Quai 21, c’est qu’il s’agissait d’une immense structure semblable à une grange. C’est là que tous mes papiers furent contrôlés et estampés.

Avant de monter dans le train, nous devions tous marcher sur un plateau contenant une sorte de désinfectant, peut-être afin de réduire la dissémination de la fièvre aphteuse. Notre train me semblait fatigué et vétuste et il était muni de sièges de bois. Le sifflet du train avait un son particulier que même aujourd’hui je n’ai pas oublié. Après plus de 50 ans, lorsque je l’entends, il me remémore de vieux souvenirs. Une fois parti de Halifax, la campagne semblait vide comparativement à ce que j’avais l’habitude de voir aux Pays-Bas. Ici et là, une ferme, un petit village, le reste n’étant que des milles et des milles de forêts. Il me fallut très peu de temps pour comprendre que le Canada était un grand pays. Même si je le savais avant de partir, en faire l’expérience était bien différent. Habitué à des parcours de trains de quelques heures, je vivais maintenant l’expérience inhabituelle d’être assis dans un train pour plusieurs jours. À Québec et à Montréal, le train s’arrêta assez longtemps pour nous permettre de faire quelques achats de base.

À Hamilton, je fus accueilli par le frère de mon ami. Nous fîmes route vers sa maison à Fruitland. Là, je rencontrai aussi mon frère Bert. Nous ne nous étions pas vus depuis plus d’un an. J’appris bientôt que quelques semaines avant mon arrivée, il avait été victime d’un accident d’automobile près de Sarnia. Sa voiture était une perte totale. Il avait été poursuivi et avait dû payer les dommages, ce qui l’avait laissé plus ou moins sans argent.

Avant de quitter les Pays-Bas, je savais que mon parrain n’avait pas de travail à m’offrir et que ce serait à moi d’en trouver. À cette fin, Bert et moi prîmes l’autobus de Fruitland à Hamilton pour se rendre au bureau d’emploi, où l’on nous dit que les chances de trouver du travail dans la région de Hamilton à ce moment de l’année étaient pratiquement inexistantes. Selon l’agent du bureau d’emploi, il devrait y avoir beaucoup de travail dans le nord de l’Ontario dans les mines d’or ou de nickel, ou dans l’industrie forestière. Il nous recommanda de nous diriger vers le nord. Étant à court d’argent, nous avons marché du centre-ville de Hamilton jusqu’à Fruitland. En chemin, nous nous arrêtâmes pour une tasse de café à 0,10 dollar. Le jukebox jouait « Indian love call », une chanson qui, même après toutes ces années, a pour moi une signification particulière.

Le jour suivant, nous prîmes le train pour Sudbury où nous arrivâmes le lendemain matin. Une grosse journée nous attendait. La première chose que nous fîmes fut de trouver un endroit où loger. Pour le premier soir, nous avons réservé une chambre dans un petit motel, puis nous nous sommes rendus au bureau d’emploi. Muni de l’information reçue, nous nous rendîmes à une compagnie forestière, puis à l’International Nickel Company (INCO). Nous remplîmes une demande d’emploi aux deux endroits. Après quoi, nous nous mîmes en quête d’un hébergement à plus long terme et trouvâmes une pension très peu coûteuse, y louant pour 7 dollars une chambre pour une semaine. Notre chambre comportait deux lits simples, une chaise et une table. Nous avons continué à chercher de l’emploi durant les jours suivants, posant notre candidature auprès de plusieurs autres compagnies. Cependant, comme nous n’avions aucune adresse postale ni téléphone, il nous fallait retourner dans toutes ces compagnies pour vérifier si quelque chose bougeait. Nous devions donc beaucoup marcher.

Pendant notre recherche d’emploi, nous tombâmes sur un restaurant finlandais où, pour 0,10 dollar, nous pouvions avoir un bol de soupe et deux tranches de pain sec. Nous nous rendions tous les jours à ce restaurant pour une soupe et du pain, au petit-déjeuner, au déjeuner et pour dîner. Il ne nous restait que quelques maigres dollars, mais quelques jours plus tard, nous reçûmes des nouvelles encourageantes de l’International Nickel Company. Nous devions tous les deux nous présenter pour un examen médical. Celui-ci réussi, on nous donna des instructions précisant l’heure et l’endroit où nous devions nous présenter pour le travail. Si je n’avais pas appris l’anglais à l’école secondaire, je crois que je n’aurais jamais eu cet emploi. Bert, quant à lui, après un an et demi passé au Canada, n’avait pas de problème à cet égard.

Bien que nous eussions maintenant un emploi, nous devions travailler pour gagner notre première paye. Puis, il faudrait à la compagnie un certain temps pour préparer le chèque. À ce moment-là, il ne nous restait vraiment plus d’argent et nous songions à mettre certains de nos biens au clou. Avant d’être acculés à cette extrémité, toutefois, nous eûmes la chance de rencontrer un autre Néerlandais d’origine qui habitait dans une famille néerlandaise. Il nous présenta et ils nous acceptèrent, en disant qu’on les paierait quand nous aurions de l’argent. Nous commençâmes tous deux à travailler à la mine Creighton, près de Sudbury. Bert à la mine No. 1 et moi à la mine No. 2. Nous avions des quarts de travail et des heures de départ différents. Je crois bien que nos parents n’auraient jamais pensé que nous deviendrions mineurs. Notre philosophie, cependant, consistait à trouver du travail d’abord puis à mettre de l’argent de côté et à surveiller les meilleures occasions.

Avant d’avoir le droit de travailler, nous devions passer un ou deux jours de formation en sécurité minière. Après quatre ou cinq semaines, je me rendis à une classe souterraine pour des cours de forage et de dynamitage, mais je n’exerçai jamais moi-même ces occupations. La majorité de mon temps se passait au niveau 52 (5 200 pieds). À environ un demi kilomètre du puits principal, s’amorçait un autre puits de descente allant jusqu’au niveau 68 (6 800 pieds). Il existe une limite de profondeur pour une cage d’ascenseur car, à partir d’une certaine longueur, le poids du câble de rétention lui-même devient restrictif. Le niveau 52, où je passais la plupart de mon temps, était un endroit très animé par le trafic ferroviaire et pédestre requérant l’utilisation de feux de circulation souterrains ! J’ai aussi travaillé brièvement aussi profondément qu’à 6 800 pieds.

L’hiver, Sudbury peut être un endroit très froid pour un Néerlandais frais débarqué. À 5 h 30 le matin, lorsque vous attendez votre transporteur par moins 40 degrés Celsius, c’est toute une aventure pour quelqu’un qui est habitué à un climat maritime tempéré. En mars 1953, Bert partit pour Hamilton. À la mi-mai, j’avais économisé assez d’argent pour me permettre une période de chômage dans le sud de l’Ontario. Le travail de mineur, ce n’était pas pour moi. Un samedi après-midi, je quittai Sudbury dans un autobus Greyhound.

À mon arrivée à Hamilton le jour suivant, j’appelai mon frère à Fruitland et le lundi matin, je me rendis à l’endroit où il travaillait. Il travaillait pour une compagnie de construction qui, avant la création d’une sous-division, construisait des égouts et des tunnels à entre 20 et 30 pieds de profondeur dans le sol rocheux des environs de Hamilton. Le contremaître de chantier était occupé à notre arrivée et fit savoir qu’il me rencontrerait plus tard. Le moment venu, il me demanda qu’elles étaient mes qualifications. Je lui montrai mes documents de mineur et lui parlai de mon travail à l’INCO. Après un moment de réflexion, il me dit « d’accord, tu es engagé ». Quand je lui demandai quand je commencerais, il me répondit « tout de suite ou jamais ». Bien que n’étant pas vêtu de façon appropriée pour travailler dans la construction, je me mis au travail, ruinant de ce fait de bons vêtements, souliers, pantalons et chemise. Mais, j’avais un emploi ! Je le gardai jusqu’en octobre 1953.

À Hamilton, je trouvai chambre et pension chez la famille J. Voortman. À cette époque, leurs fils Bill et Harry, à la fin de leur adolescence ou au début de la vingtaine, avaient lancé leur propre entreprise connue aujourd'hui sous le nom de « Les biscuits Voortman Ltée ». L’un des frères était dans l’immobilier et par son entremise, j’achetai une maison sur Canada Street, avec peu de comptant et des paiements bien étalés. À l’été de 1953, ma sœur aînée vint au Canada pour y épouser son fiancé néerlandais, Henk van Harten. Il avait sept sœurs et trois frères et avait émigré avec sa famille en 1948. En 1952, il avait fait un voyage aux Pays-Bas et renoué une vieille amitié avec ma sœur, menant à leurs fiançailles aux Pays-Bas, puis à leur mariage en 1954. Le premier dimanche après son arrivée, Bert et moi allâmes la voir à la maison de son fiancé, à Clarkson où nous rencontrâmes toute sa famille. Peu de temps après, l’une des sœurs de Henk, nommée Margo, et moi nous nous fréquentions et nous nous fiançâmes en novembre 1954, pour nous marier ensuite en septembre 1955. Trois ans plus tard, en 1958, après une période obligatoire de 5 ans, je devins citoyen canadien. Ma femme et moi sommes tous deux fiers d’être Canadiens.

Lorsque je perdis mon emploi en octobre 1953, l’un des frères de Henk mentionna que la compagnie pour laquelle il travaillait construisait une nouvelle usine à Clarkson, en Ontario. À cette époque, beaucoup d’emplois étaient trouvés par du bouche à oreille, par l’entremise d’amis et d’amis de nos amis. Je posai ma candidature à un emploi et je fus engagé comme travailleur d’usine par Diversey Canada Limited, une entreprise manufacturière fabriquant des produits industriels de nettoyage. Le travail se faisait par quarts au tarif de 1,15 dollar de l’heure. Au fil des ans, mes responsabilités changèrent et s’accrurent alors que je devins successivement chef de quart, puis directeur de l’usine. En 1964, je passai trois mois et demi en France pour aider au démarrage d’une nouvelle usine. Peu de temps après, je fus promu au poste de directeur des achats. Par la suite, je devins directeur responsable des usines et matériaux pour l’ensemble du Canada. En cette qualité, j’étais pleinement responsable de nos usines à Dartmouth, Montréal, Mississauga, Winnipeg, Calgary et Vancouver. Cette responsabilité englobait les activités manufacturières, l’entreposage, le contrôle des stocks et le transport. Notre flotte se composait de camions citernes, de camions remorques et de camions de livraison ordinaires. En plus, cette fonction englobait la pleine responsabilité quant aux approvisionnements en matières premières, récipients, etc., ainsi que les fournitures de bureau. J’ai travaillé 37 ans et demi pour Diversey et pris ma retraite en 1990, à l’âge de 60 ans.

Au moment de ma retraite, ma femme Margo et moi achetâmes une maison mobile et nous avons depuis voyagé beaucoup dans toute l’Amérique du Nord. Nous avons vraiment vu et expérimenté beaucoup de belles choses. Margo et moi sommes maintenant mariés depuis plus de 47 ans et nous avons eu la chance d’avoir cinq enfants. Très tôt dans notre vie de couple, nous avons décidé de parler anglais à la maison, ce qui fait que nos enfants parlent peu ou pas le néerlandais, bien qu’ils aient tous les cinq visité les Pays-Bas. En y repensant, nous souhaiterions leur avoir enseigné notre langue maternelle. Nous avons aussi 15 petits-enfants. Trois de nos enfants ont marié des conjoints dont les parents étaient nés aux Pays-Bas. Notre fille aînée a marié un Canadien et notre plus jeune fils a marié une Américaine et vit aux États-Unis depuis 20 ans. Nous vivons actuellement à Brampton, Ontario, dans un complexe pour retraités nommé Holland Christian Homes.

En bref, je voudrais dire que le Canada a été un bon pays pour nous. Nous adorons y vivre et nous n’avons aucun regrets d’avoir immigré dans ce merveilleux pays. Nous y avons connu de riches bénédictions.

Une note à propos de ma famille :

Ma mère est morte en 1941, alors que j’avais onze ans. Mon père s’est remarié en 1943. Comme je l’ai mentionné précédemment, Bert est venu au Canada en 1951, moi en 1952, ma sœur aînée en 1953 et mon autre sœur et son mari ainsi que leurs deux enfants ont immigré en 1954 et enfin, mon plus jeune frère, en 1957. En 1975, mon frère le plus âgé et son épouse, ainsi que leurs trois enfants adultes, sont venus se joindre à nous. Deux de leurs fils avaient déjà émigré quelques années auparavant. Ma seconde mère mourut en 1975. C’était une bonne mère et nous avons tous réussi à trouver du temps pour aller à la maison passer du temps avec elle avant qu’elle nous quitte. L’année suivante, en 1976, mon père, âgé de 76 ans, immigra lui aussi. (En prenant de l’âge, j’ai souvent pensé à quel point il avait dû être pénible pour mes parents de nous voir tous partir l’un après l’autre, en particulier les premières années alors qu’au moment de notre départ, chacun d’entre nous pensait que nous ne nous reverrions probablement jamais). Avant de quitter les Pays-Bas, papa avait clairement établi que même s’il nous aimait profondément, il ne voulait pas vivre chez l’un d’entre nous. Il était décidé à préserver son indépendance. Lorsque nous l’aidâmes à ouvrir sa caisse de transport (kist), l’une des premières choses que nous y trouvâmes fut sa fidèle bicyclette et, à l’encontre de tous nos conseils, il s’en servit régulièrement. Il est mort en 1983. Ma sœur aînée est morte en 1995, de même que mon frère aîné et ma sœur la plus âgée nous a quittés en 1997, me laissant la place d’aîné.