Étude de l’Île Lawlor

Un puits abandonné couvert de mousse et d’herbe.
Puits abandonné à l’Île Lawlor, en septembre 2011.
Crédit : Photo de Steven Schwinghamer

Les historiens ont tendance à tendre l’oreille lorsqu’un lieu semble « muet » dans la mémoire collective. Cela s’est vérifié avec un lieu public situé près du Quai 21, dans le Port d’Halifax. L’Île Lawlor est voisine de l’Île McNabs, tout près de la passe de l’Est. Les gens d’Halifax adorent les îles du port. Tout le monde sait cela. L’Île du Diable (Devil’s Island), les îles Georges et McNabs – les gens ne s’en lassent pas. Mais curieusement, personne en ville ne sait grand-chose au sujet de l’Île Lawlor ou de son histoire.

Une vie aérienne de l’Île Lawlor qui montre son contour et la verdure.
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C’est bizarre. Pourquoi tout cet engouement pour les autres îles et cette indifférence envers celle-ci ? Éh bien, l’Île Lawlor a une histoire complexe. C’était là que se trouvait la quarantaine d’Halifax, de la fin du 19e siècle jusqu’au milieu des années 1930. Elle abritait aussi un hôpital pour maladies vénériennes durant la Deuxième Guerre mondiale. Peut-être le lieu porte-t-il les stigmates de ces fonctions historiques ? Ou bien encore le fait que l’Île ait été désignée zone de protection environnementale (interdisant les visites impromptues) qui l’ont mise en marge de la mémoire collective ? Si peu de gens s’y rendent, l’absence d’interactions efface-t-elle le lieu de la conversation et de la conscience du public ? Les gens n’ont pas l’habitude de se rendre à l’île George non plus, mais ce lieu occupe une place importante dans l’esprit du public et a fait l’objet de nombreux travaux historiques, notamment un projet énergique de restauration et de commémoration mené par Parcs Canada !

Je ne peux fournir une réponse unique expliquant pourquoi nous semblons toujours regarder au-delà de cette île magnifique et historiquement importante du Port d’Halifax. Néanmoins, c’était un lieu de quarantaine, important pour de nombreux immigrants se dirigeant vers tout le pays, et donc, il est de notre ressort au Musée de travailler un peu avec ce patrimoine.

Dans le cas de l’Île Lawlor, nous avons eu de la chance. Le Dr Ian Cameron, docteur en médecine et historien chercheur accompli a effectué une importante somme de travaux au sujet de l’histoire de l’Île et même publié récemment une monographie à son sujet. Il y a dix-huit ans que l’édifice de la quarantaine s’est écroulé, ses restes ayant été éparpillés par un ouragan en 2003, mais nous espérions qu’une reconnaissance de l’Île nous permettrait de faire le décompte des ressources patrimoniales subsistantes. Si vous voulez en apprendre davantage dans une perspective de recherche historique, voir ci-dessous ; ma prochaine publication détaillera nos trouvailles !

Des gens portant des gilets de sauvetage dans un hors-bord en mouvement.
Les membres de l’équipe de recherche en route pour l’Île Lawlor, en septembre 2011.
Crédit : Photo de Sara Beanland

Contexte historique

Le travail du Dr Cameron nous offrait un excellent point de départ afin de comprendre le rôle du poste de quarantaine de l’Île Lawlor. Halifax avait connu plusieurs problèmes de santé publique, dans les années 1860, après que des mises en quarantaine insuffisantes entrainèrent la propagation du choléra auprès de plusieurs résidents de la ville. Durant les années 1870, les premiers édifices médicaux furent construits sur l’Île Lawlor et, en 1876, un quai fut installé.

Après une utilisation sporadique étalée sur près de 20 ans, l’Île fut soudain remplie au delà de sa capacité à l’arrivée des Doukhobors en 1899. Près de 2 000 immigrants russes durent être logés à l’Île Lawlor, faite pour accueillir au maximum 1 400 patients. Les Doukhobors durent combler le manque de place, ce qu’ils firent en construisant un édifice distinct et en s’occupant eux-mêmes de leur cuisine et de la blanchisserie. Mais la taille de la cohorte fit en sorte qu’on manqua d’eau potable au bout de six jours. Malgré ces problèmes et d’autres anicroches, ce groupe s’en tira bien au plan de la santé et reçut rapidement l’autorisation de poursuivre son voyage vers sa destination dans l’Ouest canadien.

Je me permets de mentionner que la communauté doukhobor figure dans notre exposition temporaire, Façonner le Canada : Explorer nos paysages culturels, qui a été présentée en 2012.

La quarantaine affecta aussi les soldats en transit, en raison d’éclosions de typhoïde et de la fameuse « Grippe espagnole » entraînant une mise en quarantaine et des décès parmi les passagers arrivant à Halifax dans le cadre du transit militaire, au début des années 1900.     

L’Île Lawlor ne fut jamais un endroit idéal pour un poste de quarantaine. Elle ne dispose d’aucune source d’eau potable et elle est parfois entourée de glace durant l’hiver. Plus encore, les gens continuaient de venir y pique-niquer même lorsqu’il s’y trouvait des personnes en quarantaine (Encore un peu de salade de pommes de terre William ? Oui, merci Jenny, et passe-moi donc le choléra, s’il te plaît !)

Ces diverses contraintes firent en sorte que, dès 1906, les autorités sanitaires d’Halifax cherchèrent un autre lieu pour y installer la quarantaine. Il fallut 30 ans pour y parvenir, mais celle-ci fut finalement déménagée vers le Rockhead Hospital dans le quartier Nord.  Pendant ce temps, les besoins de mise en quarantaine déclinèrent. Les microscopes et cette folle « théorie des germes » firent faire des pas de géant au domaine de la microbiologie. La science médicale progressa suffisamment pour que beaucoup de bactéries et de virus responsables de plusieurs graves maladies contagieuses nécessitant la quarantaine soient identifiés. Dans bien des cas, des vaccins et des traitements furent mis au point. Après ces avancées, la quarantaine devenait moins nécessaire.

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Author(s)

Steve Schwinghamer

Un homme, vêtu d'une chemise et d'un pantalon kaki et portant un sac à dos, se tient sur un terrain rocheux.

Steve Schwinghamer est historien au Musée canadien de l’immigration et est affilié au Centre d’histoire orale et de récits numériques de l’Université Concordia. Avec Jan Raska, il a co-écrit Quai 21 : Une histoire Il s’intéresse aux politiques et aux lieux de l’immigration canadienne, en particulier au XXe siècle.