Désirables? Indésirables ? Le Canada et la réinstallation de réfugiés chiliens, indochinois et somaliens

par Jan Raska PhD, Historien
(Mise à jour le 19 octobre 2020)

Introduction

Après la Seconde Guerre mondiale, la réponse du Canada aux crises internationales des réfugiés variait, selon l'idéologie de la guerre froide, des intérêts économiques, des considérations humanitaires, de la nécessité politique et de l'opinion publique. Au cours de cette période, le Canada était devenu l'un des états qui accueillaient le plus de réfugiés dans le monde. Les gouvernements fédéraux successifs tentaient de répondre aux obligations internationales du Canada pour trouver une solution permanente à la situation des réfugiés dans le monde. Avec des milliers de personnes déplacées, déchirées par la guerre et des réfugiés politiques fuyant les états satellites soviétiques, dispersées à travers les camps en Europe, en 1951, la communauté internationale ratifiait la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. La convention définissait un réfugié comme une personne qui ...

par suite d'événements survenus avant le premier janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.[1]

À l'époque, le Canada choisissait de ne pas devenir signataire de la Convention relative au statut des réfugiés de l'ONU. C’était à cause d'une crainte de la part des « gardiens de l’ordre » du gouvernement fédéral, y compris la Gendarmerie royale du Canada, qui considéraient que les réfugiés comme « indésirables » et « inadmissibles » seraient impossibles à déplacer du pays parce qu'ils seraient protégés contre l'expulsion en vertu de la convention des Nations Unies. La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés garantit l’asile en tant que droit international de la personne et protège les réfugiés conventionnels contre l’expulsion vers leur pays d’origine (non-refoulement).[2]

Après la révolution hongroise, près de 200 000 personnes quittaient leur patrie pour l'Occident. Les événements de 1956 étaient parmi les premières images d’un soulèvement diffusées à la télévision, dans le monde. Peu après, le public canadien commençait à faire appel aux fonctionnaires fédéraux pour aider ces anti-communistes ardents et ces « Combattants de la Liberté ». Comme beaucoup de réfugiés étaient d’ardents anti-communistes, jeunes, instruits et professionnels expérimentés et multilingues qui pourraient faire une contribution importante à l'économie canadienne, les agents d'immigration fédéraux les considéraient comme la « crème de la crème ». Le Canada renonçait aux critères d'admission existants, y compris l'examen médical et la sécurité, afin de relocaliser environ 37 500 réfugiés hongrois.

Près d'une décennie plus tard, en 1967, les fonctionnaires fédéraux libéralisaient la politique canadienne d'immigration avec l'introduction du Décret du Conseil CP 1967-1616. Communément appelé le Système de points, ce règlement supprimait toutes restrictions ethno-raciales et géographiques. Un an plus tard, le Canada renonçait encore une fois à ses critères d'admission, y compris des examens médicaux et des évaluations de sécurité afin de relocaliser près de 12 000 réfugiés du Printemps de Prague qui fuyaient l'invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie. Comme pour les réfugiés hongrois, bon nombre des personnes qui fuyaient leur patrie en 1968 étaient de jeunes professionnels bien éduqués qui étaient aussi farouchement anti-communistes. Les agents d'immigration canadiens et le grand public voyaient ces réfugiés comme du « bon matériel. »» en raison de leurs compétences linguistiques et de leur expérience de travail. Bien que le Canada soit devenu signataire de la Convention relative au statut des réfugiés de l'ONU, en 1969, le pays demeurait sans politique officielle sur les réfugiés jusqu'à la mise en place de la Loi sur l'immigration de 1976, qui définissait les obligations légales du Canada envers les réfugiés. En vertu de la Loi, trois catégories distinctes d'admission étaient reconnues : immigrant indépendant choisi selon le Système de points, le regroupement familial et les réfugiés.

Qu’en est-il de certains des mouvements de réfugiés qui ont été admis au Canada depuis les événements qui se sont déroulés en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968? Voici trois résumés de cas comparables mettant en évidence ces préoccupations gouvernementales et publiques : les réfugiés chiliens de 1973; les réfugiés indochinois qui avaient fui la guerre civile au Cambodge, au Vietnam et au Laos, entre 1975 et 1981; et les réfugiés somaliens qui avaient cherché refuge ailleurs suite à la sécheresse, la famine et la guerre civile, entre 1989 et 1995.

Le mouvement des réfugiés chiliens, 1973

En septembre 1973, un coup d'état militaire dirigé par le général Augusto Pinochet a conduit à la mort de Salvador Allende, le président socialiste-communiste démocratiquement élu du pays. Au début, le Canada bougeait lentement pour admettre des réfugiés en raison de leur orientation politique de gauche et plus d'un an après l'assassinat d'Allende, le Canada acceptait à contrecœur des réfugiés chiliens. Les agents d'immigration se montraient prudents pour admettre des réfugiés gauchisants, fuyant les états de droite, à l’opposé de l’admission de grandes vagues de réfugiés fuyant les régimes communistes, lors de la guerre froide. En effet, le gouvernement du Canada démontrait une plus grande prudence et demeurait réticent à mettre en œuvre une politique de réfugié plus libérale que les programmes précédents de relocalisation des réfugiés.[3] Il est révélateur, par exemple, que les premiers communiqués de presse et les déclarations publiques faites par les fonctionnaires fédéraux, en ce qui concerne la crise chilienne, provenaient du ministère des Affaires extérieures plutôt que de la Main-d’œuvre et de l'Immigration. Bref, les considérations idéologiques remplaçaient les critères raciaux comme facteur discriminatoire de la recevabilité des réfugiés.[4] En partie à cause de la pression de comités universitaires, de groupes religieux et humanitaires, le gouvernement fédéral avait finalement permis à environ plus de 7 000 réfugiés chiliens de se relocaliser de façon permanente au Canada.

Mouvement des réfugiés indochinois, 1975-1981

En comparaison avec l'admission des réfugiés chiliens, le gouvernement canadien était beaucoup plus humanitaire dans sa réponse à la situation indochinoise des « boat people », les personnes qui fuyaient les régimes communistes du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Après la chute de Saigon en 1975, des milliers de personnes et des familles fuyaient leur pays d'origine à la recherche d'un refuge sûr, dans toute l'Asie du Sud. Il aura fallu trois ans avant que le Canada réponde à cette vague de réfugiés. Le catalyseur de la réponse du gouvernement fédéral avait été le sort réservé au navire Hai Hong. Avec un moteur en panne, le navire avait à son bord environ 2 500 réfugiés. À cause de la permission refusée d’accoster en Malaisie, le navire s’était ancré au large des côtes de Port Klang. Le Hai Hong manquait d'eau, de nourriture et de fournitures médicales. Il était surpeuplé et faisait face à une situation désastreuse. En 1978, le gouvernement canadien annonçait qu'il allait relocaliser 600 des réfugiés à bord du navire. L'élection du premier ministre Joe Clark coïncidait avec une augmentation du nombre de réfugiés fuyant le Vietnam. En grande partie en raison de l’intense lobbying politique mené par des groupes religieux et humanitaires, en juillet 1979, le gouvernement fédéral acceptait d'admettre 50 000 réfugiés avant la fin de 1980. Pendant le programme de réfugiés indochinois, plus de 60 000 personnes et familles étaient relocalisées de façon permanente au Canada entre 1979 et 1981. Au total, plus de 77 000 réfugiés indochinois étaient relocalisés de façon permanente au Canada, entre la chute de Saigon et la conclusion du programme spécial pour les réfugiés indochinois.[5] L'incident du Hai Hong avait lancé un mouvement de parrainage privé à grande échelle, au Canada, qui a également conduit à la mise en œuvre généralisée de la nouvelle politique des réfugiés du Canada.[6]

Mouvement de réfugiés somaliens, 1989-1995

Contrairement aux deux précédentes études de cas, l'arrivée des réfugiés somaliens n'était pas été le résultat d'un programme pour réfugiés parrainés par le gouvernement qui répondait à un événement ou à une crise internationale spécifique. Après les grandes sécheresses des années 1970, la Somalie avait été ravagée par la famine, et plus tard par la guerre civile. L'opposition populaire au gouvernement marxiste de Siad Barre avait été rapidement organisée par divers groupes politiques qui étaient divisés selon l'appartenance à un clan. En 1986, une guerre civile éclatait en Somalie qui forçait l'Organisation des Nations Unies et divers organismes d'aide internationale à se retirer du pays. Face à la sécheresse, la famine, la sous-alimentation et la guerre civile, des milliers de Somaliens avaient fui leur pays en quête de refuge. En 1989, le taux d'acceptation des demandeurs d'asile somaliens au Canada était de 95 pour cent. Cela avait conduit à un processus accéléré une année plus tard. En 1991 et 1993, la Somalie générait le plus grand nombre de demandeurs d'asile au Canada et le troisième en 1992. En décembre 1992, le Conseil de sécurité des Nations Unies autorisait une mission internationale de maintien de la paix. L'aide humanitaire qui avait bientôt suivi sauvait quelque 300 000 Somaliens de la famine. Comme les factions de clans augmentaient, les Somaliens continuaient à se relocaliser ailleurs, y compris aux États-Unis et au Canada. En 1995, la mission internationale de maintien de la paix prenait fin. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié indiquait plus tard qu’au milieu des années 1990, la migration des réfugiés somaliens au Canada avait atteint le stade de la réunification de familles.[7]

Conclusion

Principalement en raison des efforts de lobbying par les organisations internationales, les groupes religieux et humanitaires locaux, la pression des médias et la volonté politique du gouvernement fédéral, les agents d'immigration avaient finalement admis ces réfugiés au Canada. Dans un premier temps, certains Canadiens craignaient l'admission et la relocalisation de ces vagues de réfugiés. Au fil du temps, les réfugiés chiliens, indochinois et somaliens s’étaient bien adaptés à leur nouveau pays, devenant pleinement intégrés dans la société canadienne.

Un groupe de personnes assises devant un agent d'immigration.
Une plaque présentant une photographie de réfugiés indochinois, en Thaïlande, travaillant avec l’agent d'immigration canadien Scott Hetherington. Au cours de la période 1982-1983, un grand nombre de Hmong, Lao, Khmers et Vietnamiens résidaient dans les camps de réfugiés de Thaïlande, de Ban Vinai à Khao I Dang. La photo a été prise en août 1983.
Crédit : “Faces behind the Lines” par Liza Linklater et James Trottier, août 1983, Collection du Musée canadien de l’immigration du Quai 21 (D2014.377.12)

  1. Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), “Convention and Protocol Relating to the Status of Refugees,” http://www.unhcr.org/3b66c2aa10.html, 14.
  2. Gerald Dirks, Canada’s Refugee Policy: Indifference or Opportunism (Montréal : Presses de l’Université McGill-Queen, 1977), 247; Reginald Whitaker, Double Standard: The Secret History of Canadian Immigration (Toronto: Lester & Orpen Dennys, 1987), 255-261; Hawkins, Canada and Immigration: Public Policy and Public Concern (Kingston: Presses de l’Université McGill-Queen, 1988), 385.
  3. Voir pour un exemple, Dirks, Canada’s Refugee Policy, 244-250; Whitaker, Double Standard, 254-261; Valerie Knowles, Strangers at Our Gates: Canadian Immigration and Immigration Policy, 1540-2006 (Toronto: Dundurn Press, 2007), 215; Francis Peddie, Young, Well-Educated and Adaptable: Chilean Exiles in Ontario and Quebec, 1973-2010 (Winnipeg: Presses de l’Université du Manitoba, 2014); 58-59, 63.
  4. Valerie Knowles, Forging Our Legacy: Canadian Citizenship and Immigration, 1900-1977 (Ottawa: Travaux publics et Services gouvernementaux, 2000), 91-93; Knowles, Strangers at Our Gates, 216-217.
  5. Dara Marcus, “The Hai Hong Incident: One Boat’s Effect on Canada’s Policy towards Indochinese Refugees,” Canadian Immigration Historical Society / Société Historique de l’immigration Canadienne (CIHS-SHIC), accédé le 22 novembre 2021, http://cihs-shic.ca/wp-content/uploads/2013/10/Marcus_IMRC_Submission.pdf, 2, 16.
  6. John Sorenson, “Somalis,” In Encyclopedia of Canada’s Peoples, éd. Paul Robert Magocsi, 1195-1201 (Toronto: Presses de l’Université de Toronto, 1999), 1196-1197.
Author(s)

Jan Raska, PhD

Un homme se tient devant des étagères de livres allant du sol au plafond.

Dr. Jan Raska est un historien au Musée canadien de l’immigration du Quai 21. Il est titulaire d’un doctorat en histoire canadienne de l’Université de Waterloo. Il est le conservateur d’anciennes expositions temporaires du Musée, dont Safe Haven : Le Canada et les réfugiés hongrois de 1956 et 1968 : le Canada et les réfugiés du printemps de Prague. Il est l’auteur de Czech Refugees in Cold War Canada: 1945-1989 (Presses de l’Université du Manitoba, 2018) et co-auteur de Quai 21 : Une histoire (Presses de l’Université d’Ottawa, 2020).